Une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule. Après le gaz, le charbon et l’électricité, c’est maintenant au tour des prix du pétrole de s’envoler. Le baril est encore loin, contrairement au gaz naturel, d’atteindre des sommets historiques, mais les cours ont atteint mardi 18 janvier leur plus haut niveau depuis sept ans. Le prix du baril de Brent de la mer du Nord pour échéance en mars a dépassé les 88 dollars, au plus haut depuis octobre 2014. À New York, le baril de West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en février est monté jusqu’à près de 86 dollars, également son record de prix depuis octobre 2014. Le record absolu, atteint en août 2008, est de 146 dollars pour le baril de Brent.
Tensions géopolitiques au Moyen-Orient et à l’est de l’Europe
«Outre l’offre restreinte évoquée depuis quelques jours, les acteurs du marché voient dans les tensions géopolitiques croissantes au Moyen-Orient l’une des raisons de cette dernière embellie», estime Carsten Fritsch, analyste de la Commerzbank.
Les rebelles yéménites Houthis ont ciblé lundi des installations civiles aux Emirats arabes unis faisant trois morts, et menacé de lancer de nouvelles attaques en appelant les civils et les compagnies étrangères à éviter les «sites vitaux» dans ce pays. Trois camions-citernes ont explosé lundi «près des réservoirs de stockage d’ADNOC», la compagnie pétrolière d’Abou Dhabi. Pour Louise Dickson, analyste du cabinet Rystad Energy, l’élargissement de la guerre civile au Yémen «pourrait donner le signal qu’un nouvel accord sur le nucléaire iranien n’est plus d’actualité dans un avenir proche, ce qui priverait le marché de barils iraniens», a-t-elle écrit dans une note. Les rebelles Houthis sont soutenus et armés par l’Iran.
Les craintes géopolitiques ne sont pas limitées au Moyen-Orient. La possibilité d’un conflit d’ampleur entre la Russie, qui a massé des troupes à la frontière, et l’Ukraine est présente dans tous les esprits. D’autant plus que le Bélarus a annoncé mardi l’arrivée d’un nombre indéterminé de troupes russes pour des exercices de «préparation au combat» en février. Le Bélarus est un allié de Moscou situé au nord de l’Ukraine.
Difficile d’imaginer une baisse rapide des prix des carburants
Et puis il y a des raisons techniques derrière cette hausse. «L’une des raisons présumées de la récente flambée des prix est l’incapacité de l’alliance des producteurs de l’Opep+ à produire autant de pétrole que les pays membres y sont autorisés par l’accord actuel», explique Tamas Varga, de PVM Energy. Les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs 10 partenaires (Opep+) ont progressivement augmenté leurs objectifs de production pour faire face à l’augmentation de la demande. Mais certains producteurs, dont l’Angola, le Nigeria ou la Libye, peinent à atteindre leurs quotas. Dans une note envoyée à ses clients lundi, la banque Goldman Sachs pronostique un baril de Brent au-dessus de 100 dollars cette année.
Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que les prix des carburants à la pompe vont baisser rapidement. Depuis le début de l’année, ils vont de record en record avec le gazole qui a dépassé pour la première fois les 1,60 euros le litre. Et cela même si seulement un peu plus d’un tiers du prix du carburant dépend des cours du pétrole et plus de la moitié est liée à la taxation, entre TVA et taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Selon l’Union française des industries pétrolières (Ufip), pour un litre de gazole à 1,62 euro, les taxes se montent à près de 88 centimes, soit plus de 54% du prix total. Sur l’essence sans plomb 95, les taxes représentent 57% du prix à la pompe. Concrètement, la TVA est appliquée une première fois avant TICPE, puis une seconde fois sur le montant incluant la TICPE. La conséquence pour le consommateur est un effet démultiplicateur au bénéfice de l’Etat. Une hausse du prix du pétrole entraîne un renchérissement des deux taxes, qui augmentent du même coup plus fortement le prix à la pompe.
Vers une baisse des capacités de production de pétrole, faute d’investissements
Mais le gouvernement ne veut pas toucher à un dispositif qui est la quatrième source de recettes fiscales de l’Etat après la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. En octobre, alors que le prix du gazole était 10 centimes plus bas qu’actuellement, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili avait, sans honte, appelé les distributeurs à «faire un geste (…) en réduisant leurs marges». Le président de l’Ufip (Union française des industries pétrolières) avait alors expliqué que la marge nette des distributeurs «est de l’ordre d’un centime par litre».
A plus long terme devrait se poser le problème d’une baisse des capacités de production de pétrole dans le monde et des conséquences alors sur les prix du baril. Le ministre du pétrole saoudien, Abdulaziz ben Salman, a raison. Il a mis en garde il y a quelques jours contre un risque majeur de crise énergétique dans les prochaines années du fait de l’effondrement des investissements pétroliers. Il estime que la production mondiale pourrait baisser de 30 millions de barils par jour (environ 30%) d’ici 2030. Avec un déclin de la production des champs existant aujourd’hui dans le monde de 4% à 8% par an, les investissements nécessaires pour seulement stabiliser la production sont considérables. Et ils ne sont pas au rendez-vous. Selon l’agence Bloomberg, les investissements dans le pétrole et le gaz ont plongé de 30% en 2020 à 309 milliards de dollars et ont seulement remonté un peu cette année. Il faudrait qu’ils reviennent quasiment à leurs niveaux d’avant la pandémie, de 525 milliards de dollars par an, pendant le restant de la décennie pour pouvoir répondre à la demande estiment le think tank the International Energy Forum et le consultant IHS Markit. Les grandes compagnies pétrolières occidentales, à l’image de Royal Dutch Shell, BP ou TotalEnergies réduisent leurs investissements dans le pétrole et se tournent en priorité vers les gaz et les renouvelables.