Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des consommateurs, pour la lutte contre l’inflation et pour soutenir une croissance chancelante en Europe et aux Etats-Unis. C’est aussi une question qui agite depuis plusieurs semaines les marchés financiers, les banques centrales, les gouvernements et les pays producteurs de pétrole. La baisse accélérée des prix du pétrole est-elle pérenne ou s’agit-il d’un énième soubresaut de marché alimenté par le reflux de la spéculation ?
Le baril est tombé mardi 10 septembre à 66 dollars pour la qualité américaine WTI, son plus bas niveau depuis 39 mois (mai 2021) et à 69 dollars pour la qualité européenne Brent, son plus bas niveau depuis décembre 2021. Peut-être plus significatif encore, les gérants de fonds spéculatifs ont considérablement réduit leurs positions à la hausse sur le pétrole, à leur plus bas niveau depuis 2011, et jouent massivement la poursuite de la baisse… La banque américaine Citi vient de réviser à 60 dollars ses prévisions de cours du baril pour l’année 2025.
L’échec du cartel Opep+
Une chose est sûre, la stratégie du cartel Opep+ qui réunit les 13 pays historiques de l’Opep menés par l’Arabie Saoudite et leurs dix alliés menés par la Russie ne fonctionne plus. Elle a consisté depuis 2020 et le choc économique lié à la pandémie de Covid-19 de réduire la production un peu en-dessous du niveau de la consommation afin de faire monter les prix. Cela devait permettre aux pays producteurs d’équilibrer leurs budgets, de financer des projets de développement faramineux, pour l’Arabie Saoudite, et même une guerre, pour la Russie depuis février 2022.
Mais le calcul de l’Opep+ est contrarié depuis des mois par deux imprévues. D’une part, la faiblesse de l’activité économique, en Chine, en Europe et aux Etats-Unis, et ensuite le fait que des pays producteurs extérieurs au cartel en ont profité pour produire plus, notamment les Etats-Unis, le Canada et le Brésil. Il faut y ajouter la montée en puissance de nouveaux producteurs à l’image du Guyana. Et les annonces récentes par l’Opep+ d’un report pour deux mois de l’augmentation progressive de la production des 23 pays du cartel n’y changent rien.
Faiblesse inattendue de la demande en Chine, aux Etats-Unis et en Europe
« Le marché a obtenu un sursis pour deux mois, mais vraiment très peu », a déclaré Ben Luckock, responsable mondial du pétrole chez Trafigura, lors de la Conférence Asie-Pacifique sur le pétrole (APPEC), ajoutant que les prix du pétrole pourraient tomber « autour des 60 dollars dans un avenir relativement proche… Le marché veut savoir que l’OPEP ne ramènera pas ces barils supplémentaires sur le marché ou, au mieux, qu’elle les ramènera beaucoup plus lentement et de manière différée ».
« En maintenant contre vents et marées une production limitée avec l’objectif de prix plus élevés, l’Opep+ a cédé involontairement des parts de marché à d’autres producteurs », explique pour sa part Kieran Tompkins, de Capital Economics. Et la conséquence de cela est que le cartel a perdu ainsi une partie de son contrôle sur le marché.
La chute des cours met aussi en lumière les limites mêmes du cartel. Il peut peser sur l’offre, mais pas vraiment sur la demande. « Et la faiblesse de la demande est actuellement la principale préoccupation et le moteur de la faiblesse des prix observé », affirme pour sa part Ole Hansen, de Saxo Bank.
Les soubresauts géopolitiques ne font plus peur
« Le juste prix du pétrole est autour de 70 dollars le baril, car la production mondiale est supérieure à la consommation et ce déséquilibre ne fera que s’aggraver au cours des prochaines années », a expliqué à l’agence Reuters, Torbjorn Tornqvist, cofondateur et président de la société de négoce d’énergie Gunvor. « Le problème ne vient pas de l’Opep qui a fait un excellent travail de gestion. Mais le problème est qu’ils ne contrôlent pas la croissance de la production en dehors de l’Opep, qui est considérable ».
Alors bien sûr, le marché pétrolier reste, comme toujours, à la merci d’évènements géopolitiques, d’une guerre directe entre l’Iran et Israël par exemple, ou d’évènements climatiques comme des ouragans qui réduiraient fortement la production, notamment aux Etats-Unis. Mais cette crainte est maintenant assez limitée. Le marché est persuadé qu’il existe des millions de barils de capacités de production de secours facilement mobilisables.
Selon les prévisions de l’’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’offre de pétrole devrait augmenter cette année de 770.000 barils par jour, ce qui portera son niveau à un sommet historique de 103 millions de barils par jour. Et l’an prochain, la progression de l’offre devrait plus que doubler pour atteindre 1,8 million de barils par jour, ce qui profitera avant tout aux États-Unis, au Canada, au Guyana et au Brésil.