L’un des arguments parfois avancé par les opposants au nucléaire repose sur son rendement énergétique finalement assez faible. Ainsi, on considère la plupart du temps qu’un réacteur nucléaire à fission a un rendement moyen d’environ 33%. C’est à dire que pour 100 unités d’énergie produites, 33 unités seulement sont converties en électricité. Les 67 autres sont dissipées et perdues, sous forme de chaleur. Cette chaleur doit en outre être traitée, et l’on dédie à cette tâche d’importantes infrastructures (tours aéroréfrigérantes) et des quantités d’eau astronomiques.
Un véritable gâchis
Quand, dans le même temps, nous continuons d’utiliser des énergies fossiles pour produire la chaleur dont l’industrie et l’agriculture ont besoin ou pour chauffer et refroidir les logements et bâtiments.
Il en résulte un véritable gâchis : plusieurs centaines de TWh dissipés alors que le pays importe toujours des dizaines de milliards d’euros de gaz, de pétrole et même de charbon afin de produire… cette même chaleur. Sans parler des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent.
Pourtant, il est possible de récupérer, et d’utiliser cette chaleur pour des usages domestiques, industriels ou agricoles. Plusieurs dizaines de réacteurs nucléaires dans le monde pratiquent déjà cette cogénération. En France, une partie de la chaleur de la centrale de Gravelines (voir la photographie ci-dessus) est déjà utilisée par le terminal méthanier voisin dans ses étapes de regazéification du GNL (gaz naturel liquéfié).
Le potentiel est théoriquement considérable. La récupération de l’intégralité de la chaleur produite par les 56 réacteurs du parc suffirait à chauffer l’intégralité des logements français tous les hivers, les bâtiments tertiaires, avec même encore de la marge pour des applications agricoles ou industrielles. Ce sont des milliards de mètres cubes de gaz et de pétrole qui pourraient ainsi être économisés et remplacés par une solution souveraine non émettrice de CO2.
Chauffer les serres
Mieux encore, cela permet d’envisager des applications différentes. Par exemple, le premier fournisseur de fleurs en Europe n’est autre que les Pays-Bas où des milliers d’hectares de serres chauffées au gaz approvisionnent les pays de l’Union durant la majeure partie de l’année. Et tout cela en transformant le traditionnel bouquet de roses de la St Valentin en gouffre écologique au bilan carbone équivalent à plusieurs centaines de kilomètres en voiture.
Il pourrait donc être envisagé un partenariat entre EDF et le ministère de l’agriculture pour relocaliser une grosse part de cette production et ainsi fournir à toute l’Europe des fleurs bas carbone, vraisemblablement à un coût inférieur.
La responsabilité d’EDF
Dès lors, on peut se demander pourquoi il n’est pas prévu, urgemment, de tout faire pour mettre fin à ce gaspillage insensé, et surtout, pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt.
Il semblerait que l’exploitant EDF ne puisse s’en prendre qu’à lui-même. Tandis que le commissariat à l’énergie atomique (CEA) a défendu cette option durant des décennies, l’énergéticien français s’y est toujours refusé. Dominique Minière, ancien directeur délégué à la production interrogé sur cette question en 2013 expliquait que la rentabilité économique de l’opération n’était pas démontrée…
Maintenant, est-il possible de modifier les centrales existantes afin de multiplier les systèmes de cogénération ? Techniquement, indubitablement, oui. Mais la problématique serait vraisemblablement et avant tout réglementaire. Nous sommes en France. Toute modification des réacteurs ne peut être envisagée sans des démonstrations de sûreté très poussées et des procédures très longues.
Il faut ainsi prendre en compte le fait que les modifications prendraient du temps sur un parc vieillissant, ne permettant pas d’assurer une rentabilité optimale et nécessiterait des moyens financiers et humains qu’EDF n’a pas ou n’a plus.
Cette question mérite tout de même qu’on y consacre une réflexion à l’heure du lancement d’un nouveau programme nucléaire en France. Le pays va renouveller une partie de son parc électronucléaire, et intégrer – dès l’origine – la cogénération dans les schémas techniques ne présenterait que des avantages. Cela permettrait notamment de renforcer le poids du nucléaire bas carbone dans le mix énergétique français et d’augmenter ainsi les chances d’atteindre les objectifs de décarbonation très ambitieux que se sont fixés les pouvoirs publics.
Philippe Thomazo