<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’avenir de l’humanité, la voiture électrique? Vraiment?

7 novembre 2022

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L’avenir de l’humanité, la voiture électrique? Vraiment?

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Beaucoup de tenants de la disparition du moteur diesel puis du moteur à essence voient dans le véhicule électrique un premier pas vers la fin des automobiles individuelles. Mais il ne s’agit pas «seulement» d’un instrument de mobilité, c’est aussi une aspiration à la liberté, à ne plus être assigné à résidence et à ne plus dépendre des autres pour se déplacer. Par Loïk le Floch-Prigent. Article publié dans le numéro 14 du magazine Transitions & Energies.

La Commission européenne, précédée ou suivie par des gouvernements et des parlements, a orienté notre continent vers la voiture électrique à l’exception de toutes les autres solutions de motorisation, avec deux dates, celle de l’arrêt de la production en 2035 et celle de la fin de la circulation, en 2050, pour les moteurs thermiques. La cause répétée inlassablement, c’est l’urgence climatique et la lutte acharnée contre le « réchauffement climatique ».

Contester l’objectif de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre à partir d’une modification de l’activité humaine est devenu difficile, chaque canicule ou catastrophe naturelle étant régulièrement médiatisée comme la punition de la nature à l’égard de nos mauvaises actions, beaucoup s’y essaient néanmoins mais ont du mal à être entendus ou lus.

Le pari de Pascal

Je préfère baser mon opinion et donc mon raisonnement en faisant une sorte de pari de Pascal : « Et si c’était vrai, est-ce que remplacer la voiture thermique en Europe par des automobiles électriques est efficace pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ? »

Tout d’abord, il faut rappeler que la voiture automobile a remplacé la voiture à cheval en imaginant tous les modes de propulsion, vapeur (charbon), essence (pétrole) et électrique et que l’essence s’est rapidement imposée (Ford T), plus d’autonomie, moins lourde, plus pratique, moins chère… C’est ainsi qu’année après année nous sommes passés du bricolage à l’industrie avec des évolutions fondamentales sur les rendements, la sécurité, le confort, les aides à la conduite. Les véhicules d’aujourd’hui ont quatre roues, un volant, des pédales, mais n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des premiers temps tandis qu’une concentration industrielle s’est opérée aussi bien sur les véhicules eux-mêmes que sur les composants.

Les émissions de polluants à partir de la combustion ont modifié les vingt dernières années chez tous les constructeurs, des progrès ont été réalisés, mais les normes édictées par les États sous la pression des populations urbaines ont renchéri les automobiles malgré l’automatisation des chaînes et l’introduction du numérique dans les usines. L’excellence du véhicule thermique reste néanmoins l’apanage des constructeurs occidentaux, américains, européens, japonais et coréens, jusqu’à l’arrivée de la Chine et de l’Inde voulant disposer de solutions pour leur population.

Le bien commun revendiqué et imposé par la puissance publique au détriment des libertés et aspirations individuelles

L’automobile est ainsi devenue en une centaine d’années un instrument non seulement de mobilité comme nous le serinent les technocrates mais aussi de liberté et d’épanouissement personnel et familial. Elle a également structuré l’espace, résidences en périphérie des villes, centres commerciaux hors les murs, lotissements… C’est un mode de vie qui a ainsi été développé, et une aspiration à des choix de destinations non programmées ; cela a été pour beaucoup de générations un apprentissage de la liberté. Légiférer, règlementer, contraindre dans un tel domaine est clairement un danger pour la démocratie, les totalitarismes ont d’ailleurs toujours contrôlé sévèrement l’accession et l’usage des véhicules individuels avec des autorisations liées à une vision très hiérarchique de la société.

La gestion de l’avenir de l’automobile, les choix effectués par les pouvoirs publics ont donc quelque chose à voir avec la conception et le fonctionnement de la démocratie, c’est-à-dire le rapport entre le bien commun et les désirs individuels. Les modes de vie actuels se sont développés en utilisant les moyens mis à la disposition des citoyens par les nouvelles techniques ; le bien commun doit les réguler, mais jusqu’où peut aller la contrainte ? Doit-on, comme on l’écrit souvent, bannir la voiture individuelle ? Beaucoup de tenants de la disparition du moteur diesel puis du moteur à essence voient dans le véhicule électrique un premier pas vers la disparition des automobiles individuelles, un changement radical des modes de vie de ces cents dernières années « qui ont détruit la planète ».

Avant de partager cette opinion de façon majoritaire, il serait quand même bon que le débat existe et qu’il ne soit pas uniquement urbain et parisien dans notre pays, car il me semble que les périodes de vacances ou de week-ends plébiscitent l’usage de la voiture individuelle et que la population française n’a pas encore pleinement conscience de là où veulent aller vraiment les « sauveurs de la planète » avec leur sobriété devenue rapidement « décroissance ». L’automobile en Europe et en France, ce n’est pas « seulement » un instrument de mobilité, c’est une aspiration à la liberté.

On ne stocke pas l’électricité, on transforme les électrons et on en reproduit

On l’a vu, la pollution dans les villes, la qualité de l’air, les embarras de circulation ont conduit à légiférer sur les émissions de produits combustibles et donc à un retour de l’idée d’un véhicule électrique ne rejetant rien dans les agglomérations et donc pouvant être qualifié de « propre » dans des endroits encombrés. Les constructeurs, et l’ensemble des professionnels du secteur, composants et garagistes, n’étaient guère favorables à une augmentation de ce nouveau mode de propulsion, et les associations diverses favorables à cette évolution avaient du mal à percer les résistances de ce qu’elles appelaient les « lobbies » et qui représentaient la majorité. Cependant, depuis le choc pétrolier de 1973, un grand nombre de scientifiques s’étaient penchés sur la possibilité de disposer de nouvelles batteries ou des piles à combustible tandis qu’un grand constructeur, le japonais Toyota, a considéré très tôt que la solution idéale pouvait résider dans le véhicule « hybride », un fonctionnement électrique en ville, un fonctionnement thermique hors les murs, avec une alimentation thermique en continu de la recharge en électricité (faible consommation, émissions très réduites). Pour les batteries, le lithium, métal le plus léger et le plus réactif, était dominant dans la révolution du téléphone portable et on commençait à mieux maîtriser ses caractéristiques (explosion à l’air et à l’eau). Des industriels se sont donc lancés dans la conception d’une nouvelle électrochimie, des batteries lithium de grande capacité.

Petit retour sur la technique : l’électricité, ce sont des électrons en mouvement qui doivent être consommés dès qu’ils sont produits, on ne stocke donc pas de l’électricité contrairement aux raccourcis des politiciens et de certains commentateurs. En revanche, on peut transformer les électrons en un produit performant qui va en restituer en cas de besoin, ce sont les piles et les batteries ; on appelle batteries ces dispositifs lorsque l’on peut les « recharger ». Il y a donc changement d’état et non « stockage », ce qui veut dire « rendement » et « pertes », c’est-à-dire un bilan économique forcément dégradé par rapport à celui d’un stockage véritable de produits pétroliers ou gaziers.

Les batteries ont donc connu des progrès importants, mais en Asie, avec Toyota et Panasonic japonais, Toyota misant sur l’hybride et Nissan (avec Panasonic) misant sur l’électrique (lancement de la LEAF par Carlos Ghosn). Cependant, très rapidement, la fabrication et la technique sont parties en Chine qui a vu dans le véhicule électrique une chance de dépolluer ses conurbations. Les industriels européens continuaient à espérer que la consommation baissant et la combustion s’améliorant, le véhicule thermique allait pouvoir résister au rouleau compresseur de l’écologie politique. C’est le diesel qui a mordu la poussière le premier avec le diesel gate, et logiquement l’essence a suivi !

Sabordage industriel et désastres sociaux

De façon désordonnée, avec l’aide médiatique d’Elon Musk avec sa Tesla, les constructeurs se sont retrouvés piégés, sans stratégie, incapables d’une action collective. Nous nous retrouvons donc avec un plan européen d’éradication rapide des moteurs thermiques et des interdictions ici et là plus promptes encore pour faire disparaître des villes les véhicules impies. L’industrie vilipendée pour ses « mensonges » sur le diesel, étrillée par les annonces de 45 000 morts par an à cause de la qualité de l’air détestable dont elle serait la cause, partagée sur la conduite à tenir, ne voit pas venir « l’urgence climatique » qui va exiger qu’elle se saborde en abandonnant le continent tout entier sans pratiquement combattre.

Elle avait déjà fortement délocalisé ses productions, mais désormais, elle demande aux États de prendre à leur charge les désastres sociaux des changements à opérer, en particulier les licenciements et les formations mais aussi les unités de production nouvelles que l’on imagine pouvoir rivaliser avec les asiatiques. Mais la centaine d’années qui a permis à plusieurs générations de construire des véhicules thermiques de plus en plus sophistiqués à un prix acceptable est en train de s’effacer, c’est-à-dire que la compétence indiscutable des professionnels depuis l’usine jusqu’au garage ne va plus servir qu’à la décrue tandis qu’une bonne moitié du monde, incapable d’avoir une électricité abondante dans des délais brefs, continuera à utiliser et sans doute à fabriquer elle-même les véhicules thermiques. Avec cette directive européenne, tous nos pays se sont tirés une balle dans le pied dont je vais essayer de faire mesurer l’ampleur.

Changer de mode de vie

En reprenant l’usage actuel de l’automobile, chaque propriétaire peut décider à tout moment de partir où il le souhaite sur des distances importantes. Il suffit d’avoir un véhicule en état et un réservoir plein. Dans l’Europe tout entière, il va pouvoir remettre du combustible sans angoisse en cinq minutes. La limitation du véhicule électrique d’aujourd’hui est là, des bornes de recharge quasi inexistantes, un temps de recharge long et, par conséquent, un business plan pour la multiplication des bornes très difficile à bâtir sans aides des États à fonds perdus. On peut imaginer des progrès partout, dans les métaux des batteries, dans les puissances de recharge, et il y en aura, mais aujourd’hui la voiture électrique est deux fois plus chère qu’un véhicule thermique et son usage est dégradé par ses caractéristiques physiques.

C’est la raison de la baisse des achats de véhicules neufs en Europe, les consommateurs vont devoir changer non pas de véhicule mais de mode de vie et ils sont anxieux devant cet avenir qu’on leur promet radieux. Ils ne sont ni volontaires ni rassurés ! Parmi les bienfaits, on comptait sur le prix bas de l’électricité et sa disponibilité universelle ; les dernières semaines ont démontré que c’était une illusion. De même pour la « propreté », un véhicule électrique doit se définir par la provenance de l’électricité qui va recharger les batteries, en France la voiture est majoritairement « nucléaire », au Québec et en Norvège « hydraulique », en Chine « charbon », en Allemagne « charbon, lignite et gaz ». On observe donc que c’est bien la pollution de l’air qui détermine la volonté d’utiliser l’électrique et non la « planète et son climat ». Ne reste donc plus comme marché évident que celui d’une élite fortunée assez représentative du véhicule Tesla qui saura au cours du temps posséder le nombre d’automobiles lui permettant de satisfaire tous ses besoins, comme les propriétaires de cabriolets qui ne sortent que l’été sur certaines routes pittoresques !

Il n’y aura pénurie ni d’essence ni de diesel, mais la pénurie électrique nous guette!

Le véhicule électrique obligatoire est dès maintenant une catastrophe économique et sociale pour l’Europe tout entière ; elle a coûté en plans sociaux (en commençant par les fonderies devenues inutiles), en retraites anticipées, en plans de reconversion, en productions arrêtées sans avoir amorti les investissements, en nouveaux investissements en urgence sans expertise, en raccourcis techniques sans filets protecteurs… On a voulu faire en cinq ans un travail d’une vingtaine d’années uniquement sur injonctions politiques avec tous les corps techniques réticents : une folie qui met à plat l’existant sans aucune assurance de réussite technique et économique. Pour des politiques qui n’arrêtent pas de parler du principe de précaution, on peut dire que là ils n’en ont pris aucune. Ils ont foncé dans le brouillard et avec la crise énergétique européenne le brouillard s’épaissit encore. Il n’y aura pénurie ni d’essence ni de diesel, mais la pénurie électrique nous guette !

Si le véhicule électrique est clairement une solution intéressante en ville pour alléger les émissions dans l’air, est-il pour autant un défenseur de la planète qui voudrait améliorer son bilan carbone comme le disent les urgentistes de l’écologie politique ? Aucune démonstration, à ce jour, ne nous est parvenue pour nous faire préférer une des deux solutions en compétition, la thermique ou l’électrique. Mais si l’on passe par l’utilisation des fossiles pour faire de l’électricité, on sait déjà que l’on est dans l’absurde, et c’est le cas aujourd’hui dans beaucoup de pays qui ont tourné le dos au nucléaire.

L’électrification mondiale n’est pas pour demain ni même après-demain

Les énergies intermittentes, solaire et éolien, ont besoin de l’apport du pilotable fossile afin de satisfaire la demande. Pour conclure, il faudrait établir le bilan carbone global de tous les composants depuis la mine jusqu’au recyclage et, pour l’instant, il n’y a aucune certitude : cela va dépendre des progrès possibles dans les deux orientations. Il y a tellement de véhicules thermiques possibles, y compris ceux qui ont été expérimentés en 1973 lors des crises pétrolières à la consommation de un litre au cent km, il y a tant de recherches sur des métaux non rares et pas chers (donc ni le lithium, ni le cobalt, ni le nickel) susceptibles de rentrer dans la construction de nouvelles batteries, que ceux qui concluent aujourd’hui ne peuvent que mentir ou se tromper.

En revanche, ce qui est évident, face à la population mondiale galopante dans certains continents, c’est que l’électrification mondiale n’est pas pour demain ni après-demain, et la crise actuelle bâtie sur l’illusion d’une énergie abondante et bon marché issue du vent et du soleil doit ouvrir les yeux de tous les responsables gouvernementaux. Le monde a besoin de toutes ses énergies, d’un mix énergétique variable selon les pays, mais toujours d’un mix avec la perspective d’une souveraineté lui assurant la sérénité. L’humanité continuera à vouloir la liberté offerte par le véhicule individuel, son optimum actuel est assuré par l’essence ou le diesel ; tant qu’elle n’aura pas trouvé une alternative de la même qualité, elle utilisera cette technique. Les villes désirant la propreté généraliseront des véhicules plus propres. Seront-ils électriques, à hydrogène, ou thermiques de nouvelle génération, nul ne le sait, mais il y aura cohabitation, mix énergétique, comme depuis l’origine de l’humanité sur terre !

Pour l’Europe, les conditions de survie sont claires : il faut revenir à une politique raisonnable de l’énergie, si les politiciens n’y arrivent pas, les peuples se révolteront. Les choix effectués sous la pression de l’écologie politique ont été désastreux, les vrais défenseurs de l’environnement le constatent…

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