D’abord, plantons le décor. L’automobile française se trouve dans une situation difficile et depuis de nombreuses années. Elle a perdu 40% de ses volumes de production sur le sol français en quinze ans (2,2 millions d’unités en 2019 y compris les utilitaires qui sauvent la mise). Et, cette année, elle risque de s’effondrer à 1,3-1,4 million, à cause de la crise de la Covid-19. Le pays n’était plus l’an dernier qu’au dixième rang des producteurs d’automobiles. Il était encore le cinquième en 2004…
Ce n’est pas pour rien si l’usine de pneumatiques Bridgestone de Béthune ferme ses portes. Le numéro un mondial du pneu a moins d’usines automobiles à alimenter en France. Bridgestone met la clé sous la porte à Béthune après, toujours dans les pneumatiques, Continental en 2009 à Clairoix, Goodyear en 2013 à Amiens et Michelin en 2019 à La Roche-sur-Yon.
L’automobile est devenue le quatrième poste le plus déficitaire de la balance commerciale. Elle dégageait 10 milliards d’euros d’excédent annuel au milieu des années 2000. Elle affichait un déficit record de 15,3 milliards l’an passé, et encore 7,78 milliards au premier semestre 2020.
Déjà 36% des recettes fiscales nettes
Par ailleurs, l’automobiliste reste une vache à lait pour l’Etat. L’automobile assurait l’an dernier 36% des recettes fiscales nettes du pays! Cela représentait 83,9 milliards d’euros, une somme du même ordre de grandeur que le plan de relance. Sans surprise, la France est aussi le pays européen qui taxe le plus les carburants avec un total l’an dernier de 42,8 milliards d’euros. Pour finir, après l’embellie des mois de juin et de juillet, liée à la prime à la conversion et aux aides à l’achat, le marché automobile en France est retombé. Les ventes de voitures neuves ont baissé de 20% en août. Dans un tel contexte, est-ce une bonne idée d’augmenter les taxes sur les véhicules pour «verdir» le parc? Sachant que ce qui permet réellement de le faire, ce sont les subventions à l’achat. Une hausse de la fiscalité automobile est pourtant à l’étude. Le projet de loi de finances 2021 et la loi à venir issue des propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat pourraient se traduire par plus de 4 milliards d’euros supplémentaires de taxes…
Taxes supplémentaires sur les émissions de CO2 et le poids des véhicules
Le super-malus, reprenant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, frapperait de plein fouet ce qu’il reste de production automobile sur le sol français. L’impact serait supérieur à 1.000 euros sur environ 70% des modèles fabriqués dans l’Hexagone. Autant dire que cela accélérerait encore le déclin de cette industrie en France.
La Convention citoyenne ne s’est en aucun cas souciée à la fois de l’efficacité, de la faisabilité et des conséquences économiques et sociales de son catalogue de propositions. Et pour couronner le tout, le président de la République a annoncé publiquement qu’il retenait 146 propositions sur 149 dont celle du super-malus. Emmanuel Macron doit les soumettre au gouvernement, au Parlement, ou directement au peuple français via un référendum.
Plus précisément, la Convention veut ramener de 138 à 123 grammes de CO2/km le seuil d’émission de CO2 passible d’une surtaxe. Tout en supprimant le plafond du malus pour les véhicules émettant plus de 212 grammes. Ce n’est pas tout. Les citoyens tirés au sort devenus en quelques semaines des experts de la transition par la grâce d’une formation accélérée prodiguée par de nombreuses associations «bien intentionnées» entendent ajouter une autre taxe, en fonction cette fois du poids des véhicules. Avec un abattement prévu tout de même pour les familles nombreuses.
Même les modèles électriques d’entrée de gamme seraient touchés
Cela reviendrait selon les différents calculs effectués à ponctionner l’an prochain 4,4 milliards d’euros supplémentaires sur la vente d’automobiles, à savoir 3,2 milliards via le nouveau malus sur le CO2 et 1,2 milliard provenant de la nouvelle taxe sur le poids. Le montant des recettes a été calculé par les ministères de la Transition écologique et celui de l’Economie et des finances.
Et il ne faut pas croire que seuls les gros SUV seraient pénalisés. La taxation supplémentaire des véhicules commencerait à partir de 1,4 tonne… et toucherait fortement les voitures de cœur de gamme. En application de ce malus, une Porsche Cayenne de 1.985 kilos serait pénalisée d’un malus de 5.850 euros. Mais une Peugeot 5008 hybride rechargeable pesant 1.853 kilos serait elle aussi pénalisée d’un malus s’élevant à 4.530 euros. Elle bénéficie actuellement d’un bonus écologique à l’achat de 2.000 euros pour ses émissions de CO2 réduites. En suivant cette logique, une Renault Zoé 100% électrique pesant 1,5 tonne serait aussi sous le coup d’un malus au poids de 1.000 euros. Les batteries pèsent lourd…
Pour finir, le «en même temps» qui consiste à la fois à soutenir l’activité économique, l’emploi et la filière automobile et également à satisfaire les écologistes qui sont dans la détestation de l’automobile individuelle et veulent s’en débarrasser, est intenable et même absurde. La filière automobile a bénéficié fin mai d’un plan de soutien d’urgence des ventes de 8 milliards d’euros… A un moment donné, les contradictions deviennent insurmontables. Selon une formule célèbre de Pierre Mendès France, «gouverner c’est choisir».