Il ne manquerait plus que cela pour une Europe déjà en crise, économique, politique et géopolitique. Affronter une nouvelle crise énergétique, qui n’aura pas l’ampleur de celle tant redoutée de 2022, mais qui pourrait bien devenir réalité si l’hiver est rigoureux, bien plus que les deux dernières années qui ont été très clémentes. Cela viendrait compliquer encore une situation loin d’être idéale.
Avec une croissance faible, une compétitivité en berne, des groupes industriels majeurs en crise, de l’instabilité politique en France comme en Allemagne, la guerre en Ukraine et la menace russe, une sérieuse crise budgétaire en France et une stratégie européenne irresponsable de transition énergétique impulsée par la Commission à la fois coûteuse économiquement et socialement et en outre assez inefficace. Pour rappel, les prix du gaz sont aujourd’hui trois à cinq fois plus élevés en Europe qu’aux Etats-Unis et pour les prix de l’électricité des entreprises, deux à trois plus élevés qu’aux Etats-Unis et en Chine…
Des problèmes persistants d’approvisionnement et de capacités de production
Mario Draghi, l’ancien président de la BCE (Banque centrale européenne), a dans son volumineux rapport sur la compétitivité, plus exactement la perte de compétitivité, de l’Europe remis en septembre fait du coût de l’énergie l’explication majeure aux difficultés industrielles européennes… Cela n’avait d’ailleurs pas empêché, toujours en septembre, la commissaire européenne à l’Énergie, l’Estonienne Kadri Simson, de se livrer quelques jours plus tard à un exercice assez stupéfiant d’autosatisfaction sur la façon dont l’Europe a surmonté la crise énergétique de 2022 et réduit sa dépendance au gaz russe de 45% à 18%.
Mais cela n’a pas été sans créer des problèmes persistants. Première illustration d’une situation énergétique qui aujourd’hui se dégrade à nouveau rapidement, les cours du gaz naturel ne cessent de monter depuis une dizaine de mois. Ils sont passés sur le marché européen (Dutch TTF) de 26 euros le MWh en mars à plus de 48 euros au début du mois de décembre. Cela fait tout de même une progression de 85% ! Et cela même si les réserves de gaz naturel européennes étaient encore remplies au 30 novembre à plus de 85%. Mais les réserves en question diminuent pour cette période de l’année à un rythme qui est le plus rapide depuis 2016. A la même période, elles étaient remplies à 97% en 2023 et 94% en 2022.
L’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe est une nécessité absolue compte tenu des stratégies énergétiques adoptées et des besoins industriels et de chauffage des bâtiments. La contrepartie d’une politique imposant les renouvelables intermittents éolien et solaire est d’avoir, quand il n’y a pas de vent ou de soleil, des centrales capables d’alimenter les réseaux en quelques minutes, des centrales à gaz… Au point que pour la Commission européenne, le gaz naturel a même obtenu le qualificatif d’énergie de transition s’il permet de remplacer des centrales à charbon.
Un hiver moins clément
Il y a en fait trois explications majeures à l’envolée des cours du gaz en Europe.
D’abord, la météorologie qui a « sauvé » l’Europe en 2022-2023 et 2023-2024, mais pourrait compliquer les choses lors de l’hiver 2024-2025. Il s’annonce, selon les prévisions météorologiques à quelques mois, pas les plus fiables, comme plus froid que les précédents. Et si cela se vérifie, cela se traduira par une envolée de la consommation de gaz et d’électricité.
Ensuite, la difficulté à se passer du gaz russe est toujours présente, même si les importations ont considérablement diminué. La part du gaz russe importé par l’Europe via les gazoducs est tombée de 40% à 9% l’an dernier. Et elle sera réduite à presque rien à partir du premier janvier prochain avec la fin programmée de tout transit de gaz russe par le gazoduc traversant l’Ukraine, dont le fonctionnement était une aberration. En tout cas, cela privera l’Europe « d’environ 15 milliards de m3 par rapport à 2024 », selon l’Agence internationale de l’énergie. Mais l’Europe achète toujours et même en quantité croissantes du GNL russe dont elle affirme vouloir se passer. Cela explique pourquoi l’approvisionnement gazier provenant de Russie représentait encore l’an dernier 18% du total.
L’Allemagne, l’homme malade de l’Europe sur le plan énergétique
Enfin, les problèmes énergétiques de fond de l’Allemagne affectent le reste des pays de l’Union. Un épisode récent suffit à le résumer. Il s’est produit le 6 novembre en fin de journée. Faute de vent, les 1.602 éoliennes maritimes du pays étaient alors à l’arrêt tout comme les 72 gigawatts d’éoliennes terrestre, il y en a plus de 30.000… Il n’y avait tout simplement pas de vent, un calme plat qui se prolongera pendant trente heures. Le soleil étant couché, les 3,7 millions d’installations solaires (94 gigawatts de capacités) ne produisaient également plus rien. Mais la consommation, elle, était de 66 gigawattheures…
Le pays a alors du importer massivement et en catastrophe de l’électricité, merci le parc nucléaire français, et pousser au maximum ses centrales au charbon et à gaz. Le prix du mégawattheure sur le marché allemand s’est alors envolé à 820 euros ! Le pays a du importer environ 13 gigawatts d’électricité car il dispose de moyens pilotables nationaux d’une capacité de 53 gigawatts insuffisante pour couvrir la demande. Si un tel scénario se reproduit en janvier ou en février avec des températures plus basses de plusieurs degrés que celles du 6 novembre et une consommation encore plus élevée, l’Allemagne ne pourra pas échapper à un blackout…
Sur le plan énergétique, l’Allemagne est devenue l’homme malade de l’Europe. Son modèle de transition, l’Energiewende, est un échec monumental. Il s’est traduit par des investissements massifs dans les renouvelables intermittents (éolien et solaire), de l’ordre de 600 milliards d’euros en un peu plus d’une décennie, par la fermeture de toutes les centrales nucléaires du pays et par de fait un recours indispensable aux centrales thermiques quand la demande est forte, notamment en hiver, et quand il y a peu de vent et de soleil, en général pendant les périodes hivernales les plus froides marquées par la présence d’un anticyclone et évidemment par des journées courtes. Pas étonnant si les prix de l’électricité en Allemagne sont les plus élevés en Europe et ont affaibli bon nombre de ses activités industrielles.
La production d’électricité est soit trop importante, quand il y a beaucoup de vent et de soleil, et les prix effondrés, soit insuffisante et les prix s’envolent tout en obligeant l’Allemagne à faire tourner à plein ses centrales à charbon et à gaz, qui sont pourtant de moins en moins rentables avec des taux d’utilisation faibles. La situation est d’autant plus inextricable que les capacités de production pilotables, indépendantes de la météorologie, restent insuffisantes pour faire face aux pics de demande qui se produisent évidemment en hiver quand les températures sont basses.