Trois cent milliards de dollars. C’est à la fois beaucoup d’argent et très peu à l’échelle de la transition énergétique et de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. C’est le Produit Intérieur Brut (PIB) du Chili et les dépenses militaires mondiales en deux mois. C’est la somme nécessaire, selon des scientifiques de l’ONU spécialistes du climat, pour «gagner» 20 ans et s’attaquer plus efficacement au réchauffement climatique.
Cette somme ne servirait pas à financer le développement de nouvelles technologies et de projets ambitieux d’économies de l’hydrogène, de centrales spatiales solaires ou de capture et séquestration massives du CO2 présent dans l’atmosphère. Non. Il s’agirait «simplement» de «mettre» des tonnes de CO2 dans le sol.
«Nous avons perdu la fonction biologique des sols. Nous devons inverser cela», explique Barron J. Orr, Professeur à l’Université de l’Arizona et principal responsable scientifique de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification. «Si nous le faisons, nous allons faire des sols une bonne partie de la solution du changement climatique».
René Castro Salazar, Directeur général assistant de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), estime que sur les 2 milliards d’hectares de terres qui ont été dégradées sur terre par la déforestation, la culture trop intensive et la mauvaise utilisation, 900 millions peuvent être sauvés. Et transformer ces terres en pâturages, cultures vivrières ou forêts convertira suffisamment de CO2 en biomasse pour stabiliser les émissions de dioxyde de carbone dans le monde pendant 15 à 20 ans. Cela nous permettre d’acheter le bien le plus précieux aujourd’hui, le temps, pour mettre en place les stratégies politiques et économiques et développer les technologies permettant une transition énergétique ordonnée et efficace.
Renverser le processus de désertification
«Avec la volonté politique et un investissement de l’ordre de 300 milliards de dollars, c’est faisable», affirme René Castro Salazar. «Nous utiliserons ainsi la solution la moins coûteuse à notre disposition en attendant que les nouvelles technologies de l’énergie et des transports soient matures et totalement disponibles sur le marché».
Au coeur de cette idée, se trouve l’ambition de lutter contre le problème grandissant de la désertification des sols, la dégradation des zones arides au point qu’elles ne sont presque plus capables de supporter la moindre vie. Au moins un tiers des terres sont affectées à des degrés divers estime Eduardo Mansur, Directeur de la division des terres et de l’eau à la FAO. Cela est la conséquence à la fois de l’accélération du changement climatique et de la croissance de la population mondiale. Les zones géographiques les plus en danger se trouvent en Afrique subsaharienne et en Asie du sud.
«L’idée consiste à mettre naturellement plus de carbone dans le sol», affirme Barron J. Orr. «Cela ne sera pas facile à cause des conditions naturelles. Pour cela, il faut restaurer la végétation, les herbages, les arbres et leur permettre de prospérer à nouveau. Nous savons le faire.»
Ces terres ont été abîmées par des décennies de mauvaises pratiques agricoles dans les pays riches comme dans les pays pauvres avec la mauvaise utilisation de produits, l’utilisation de produits inadaptés, trop d’engrais ou, dans certaines régions, trop peu d’utilisation d’engrais. Tout cela a conduit à ce que les sols perdent leurs nutriments. Ils peuvent les reconstituer.
«Il ne faut surtout pas confondre désert et désertification», explique Eduardo Mansur. Il ne s’agit pas, ajoute-t-il, «de transformer les déserts mais de redonner vie à des friches qui étaient productives avant que les humains les dégradent». Et les solutions existent et sont déjà mises en oeuvre par une vingtaine de pays. Elles ont pour nom: gestion durable des terres, gestion durable de l’eau, gestion durable des sols.