Le ministre du pétrole saoudien, Abdulaziz ben Salman, a raison. Il a mis en garde il y a quelques jours contre un risque majeur de crise énergétique dans les prochaines années du fait de l’effondrement des investissements pétroliers. Il estime que la production mondiale pourrait baisser de 30 millions de barils par jour (environ 30%) d’ici 2030. Et cela même si dans les prochains mois l’offre devrait être supérieure à la demande. Mais cela ne va pas durer. Tout simplement parce que les dépenses engagées pour développer de nouveaux gisements et pour en trouver (exploration) ne sont pas suffisantes et ne permettront pas de renouveler les capacités de production. Le pétrole et le gaz assurent encore 57% de la consommation d’énergie dans le monde…
On peut considérer, à juste raison, que l’Arabie Saoudite et son ministre du pétrole défendent uniquement leurs propres intérêts. Ils consistent à retarder le plus longtemps possible la transition du pétrole vers des sources d’énergie décarbonées. Le Royaume dispose de vastes réserves pétrolières. Elles lui assurent l’essentiel de ses revenus, sa prospérité et plus encore sa stabilité politique. Mais les choses sont un peu plus compliquées. L’Arabie Saoudite n’a en fait aucun besoin d’investissements étrangers dans le pétrole. Ils sont d’ailleurs interdits. En fait, l’Arabie Saoudite veut avant tout éviter le chaos sur le marché pétrolier et a besoin pour cela que d’autres producteurs, ses concurrents, restent puissants.
La demande de pétrole ne diminuera pas avant de nombreuses années
Cela montre deux choses. Le besoin dans le monde de pétrole à des prix accessibles ne va pas et ne peut pas disparaître en quelques années. Et l’Arabie Saoudite ne sera évidemment pas capable de réguler le marché à elle seule et de combler la baisse à venir des capacités de production.
Même l’Agence internationale de l’énergie (AIE) le reconnait implicitement après avoir pourtant appelé il y a à peine six mois à cesser tout nouvel investissement dans le pétrole. Une absurdité digne d’une étude réalisée sur un coin de table par une ONG. Mais cela a permis à l’AIE d’être citée abondamment dans les médias…
En tout cas, l’agence prévoit que la consommation de pétrole dans le monde sera encore en 2030 à des niveaux comparables à ceux d’avant la pandémie, de l’ordre de 100 millions de barils par jour. Même dans son scénario le plus optimiste et le plus improbable, dit de «développement durable», qui verrait les économies avancées atteindre le niveau net zéro d’émissions de CO2 en 2050 et la Chine en 2060, la baisse de la consommation de pétrole à la fin de la décennie serait de seulement 9%. Ce qui nécessiterait un niveau de production supérieur à 90 millions de barils. Selon le ministre saoudien du pétrole, il manquera alors 20 millions de barils par jour, plus que la consommation sur une année d’un pays comme les Etats-Unis…
Les investisseurs fuient le pétrole
Reste à savoir, si les prévisions d’Abdulaziz ben Salman sur le manque d’investissements sont plausibles et si les investisseurs se sont bien retirés du pétrole sous la pression de l’opinion, des écologistes et des gouvernements. Cela est en partie vrai pour l’Arabie Saoudite. Le Royaume investit pour augmenter ses capacités de production, mais prudemment et en ajoutant seulement un million de baril par jour dans les prochaines années. D’autres pays du Moyen-Orient comme les Emirats arabes unis, le Koweit et l’Irak investissent également pour augmenter leurs capacités. La Russie a des projets de grande ampleur pour exploiter le pétrole et le gaz de l’arctique, mais les conditions d’exploitation dans cette région sont particulièrement difficiles.
Il y a également des projets importants au Kazakhstan, en Azerbaïdjan et au Brésil. Aux Etats-Unis, la production progresse lentement. A la fin de l’année prochaine, elle devrait être inférieure de 760.000 barils à ce qu’elle était avant la pandémie. Les faillites en chaîne liées à l’effondrement des cours du baril au début de l’année 2020 ont laissé des traces.
Avec un déclin de la production des champs existant aujourd’hui dans le monde de 4% à 8% par an, les investissements nécessaires pour seulement stabiliser la production sont considérables. Et ils ne sont pas au rendez-vous. Selon l’agence Bloomberg, les investissements dans le pétrole et le gaz ont plongé de 30% en 2020 à 309 milliards de dollars et ont seulement remonté un peu cette année. Il faudrait qu’ils reviennent quasiment à leurs niveaux d’avant la pandémie, de 525 milliards de dollars par an, pendant le restant de la décennie pour pouvoir répondre à la demande estiment le think tank the International Energy Forum et le consultant IHS Markit. Les grandes compagnies pétrolières occidentales, à l’image de Royal Dutch Shell, BP ou TotalEnergies réduisent leurs investissements dans le pétrole et se tournent en priorité vers les gaz et les renouvelables.
Vers un nouveau choc pétrolier
L’Agence internationale de l’énergie dit finalement presque la même chose que le Prince Abdulaziz, mais cela est bien caché dans son rapport World Energy Outlook publié en octobre. «Le fait qu’aucun nouveau gisement de pétrole et de gaz naturel ne soit requis dans le scénario NZE [Net Zero Emissions d’ici 2050] ne signifie pas que la limitation des investissements dans de nouveaux gisements conduira au résultat de la transition énergétique dans ce scénario. Si la demande reste à des niveaux plus élevés, cela entraînerait une offre insuffisante dans les années à venir, augmentant les risques de prix plus élevés et plus volatils».
Si les prévisions de l’AIE et du ministre saoudien du pétrole se révèlent exactes, cela signifie que l’effondrement de l’offre de pétrole propulsera les prix du baril à des prix jamais vus jusqu’à aujourd’hui. Cela se traduira par un choc pétrolier comparable à celui des années 1970 et par un appauvrissement généralisé. Les militants écologistes ne pourront pas s’en réjouir longtemps, car cela signifiera que les dirigeants de la plupart des pays auront pour priorité de limiter les conséquences sociales et politiques d’un tel choc, pas de se donner les moyens de réussir la transition énergétique. Le magazine The Economist parvient à une conclusion similaire. Il décrit la flambée mondiale des prix du gaz comme «le premier grand choc énergétique de l’ère verte» lié à des investissements mal calibrés dans les énergies renouvelables comme dans les combustibles fossiles. Cela pourrait conduire à «une révolte populaire contre les politiques climatiques.»