Près du quart de l’accord de coalition signé par les partis au pouvoir en Allemagne, le SPD (sociaux-démocrates), les Verts et les libéraux du FDP est consacré à la politique énergétique. Cela représente 41 des 177 pages de ce document dans lequel les trois partis unis pour former le gouvernement fédéral énumèrent les promesses et détaillent les objectifs visant à accélérer la transition en Allemagne.
Le moins que l’on puisse dire est que le cabinet du nouveau chancelier Olaf Scholz n’a pas fait dans la demi-mesure. La République fédérale croit encore à son statut de modèle et de «bon élève» de la lutte contre le dérèglement climatique. Elle est bien la seule. Puisqu’elle reste, de loin, le principal émetteur de gaz à effet de serre en Europe et l’un des principaux par habitant.
Un conte de fées
La nouvelle coalition s’est donc donnée un programme à réaliser en huit ans qui ressemble à un conte de fées. À savoir, 80% d’énergies renouvelables (ER) et l’abandon du charbon dès 2030. Une hausse de 130% de la capacité de production des éoliennes terrestres grâce notamment à la mise en place d’une loi qui consacrera 2% des terres du pays aux «fermes à turbines». Un quadruplement de la capacité éolienne offshore en dix ans et un décuplement d’ici 2045. Et enfin, un quadruplement des installations solaires photovoltaïques dans les neuf prochaines années…
La grande crainte est que cette surenchère soit totalement irréaliste, compte tenu des obstacles auxquels se heurte déjà l’Energiewende depuis plusieurs années. À commencer par l’opposition massive à l’installation de nouvelles éoliennes ou le retard accumulé dans la construction indispensable de ligne à haute tension pour amener l’électricité là où elle est les objectifs consommée. Sans parler des problèmes d’intermittence de la production éolienne et solaire. Et puis l’électricité ne représente environ qu’un quart de la consommation énergétique…
«Tous ces objectifs sont supérieurs à ceux que nous avions le fixé dans nos scénarios, s’étonne Franck Steffe, chef de projet chez Agora Energiewende, un institut de recherche qui revendique «vouloir faire avancer l’objectif de neutralité carbone dans le monde. Ce programme est vraiment très ambitieux. La grande question est de savoir comment le nouveau gouvernement va pouvoir le mettre en place.» Cet ancien consultant du groupe écolo au Bundestag devrait partager ses interrogations avec son boss. Le directeur général d’Agora Energiewende, Patrick Graichen, vient en effet d’être nommé responsable de la mise en œuvre de la politique climatique et énergétique au sein du nouveau cabinet fédéral ! Voir un expert s’interroger sur la faisabilité d’un programme coordonné par son propre patron en dit long…
Le nouveau super-ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, a tout de même reconnu, le 7 décembre, que tripler voire quadrupler «la vitesse d’expansion [des énergies renouvelables] sera un effort majeur qui nécessitera un débat de société». La litote est tout un art… En 2030, les énergies renouvelables sont supposées générer 600 TWh d’énergies contre 237 TWh cette année.
Déplacer l’allemagne au sud
Pourvu que le réchauffement climatique fasse davantage briller le soleil au-dessus de l’Allemagne! C’est le pari absurde que font les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux. Leur programme de coalition prévoit que le solaire produise 200GW dès 2030 contre 55 GW aujourd’hui. Pour atteindre cet objectif, l’État va imposer l’installation de panneaux sur les toits de tous les nouveaux bâtiments commerciaux et industriels. Cette même consigne «deviendra la règle pour les nouvelles constructions privées, détaille le document gouvernemental qui promet de supprimer les obstacles notamment en accélérant les raccordements au réseau et la certification, en adaptant les taux de rémunération, en examinant l’obligation d’appel d’offres pour les grandes installations [et en] renforçant l’énergie solaire innovante, comme l’agrivoltaïque et le photovoltaïque flottant.»
Les engagements de la coalition sur l’éolien semblent tout aussi fantaisistes. Sa volonté est d’atteindre 100 GW de puissance installée supplémentaire d’ici 2030. Cet objectif peut sembler énorme quand on sait que le parc actuel produit tout juste 75 GW. Le bilan des dernières années ne pousse pas non plus à l’optimisme. En 2020, 420 éoliennes ont été construites et 203 anciennes installations ont été démantelées. La puissance nette raccordée au réseau a ainsi atteint 1.208 MW. Ce chiffre est largement supérieur aux 981 MW de l’année précédente mais il représente une chute brutale comparée aux 3,1 GW enregistrés chaque année entre 2009 et 2018. Pour ajouter 100 GW supplémentaires d’ici 2030, il va falloir installer 12,5 GW par an en ne fermant aucun parc éolien dans le même temps.
Les anti-éoliens ont multiplié avec succès les procédures
«En ce qui concerne l’expansion de l’éolien terrestre, l’Allemagne est passée de la voie rapide à la bande d’arrêt d’urgence», déplore Achim Derck, le président de la fédération allemande des chambres de commerce et d’industrie. Et pour cause… «Entre le lancement de l’appel d’offre, la préparation du dossier de candidature, la prise de décision des pouvoirs publics, les poursuites judiciaires que ne manqueront pas de lancer vos opposants et la construction de l’installation, vous devez de nos jours patienter en moyenne cinq ans, regrette Christoph Zipf, le porte-parole de l’association WindEurope. Au début des années 2000, ce processus ne prenait pas plus d’un an… » Les anti-turbines sont très bien organisés.
Plus de 1.130 «initiatives citoyennes» et associations ont été fondées pour lutter contre des projets éoliens. Les pouvoirs publics ont souvent plié devant cette résistance organisée. «Le gouvernement précédent n’a pas pris les bonnes mesures pour encourager les investisseurs à ouvrir de nouveaux parcs, constate Andreas Fischer, l’économiste en charge de l’environnement, de l’énergie et des infrastructures à l’Institut de recherche économique IW. La loi qui empêche de construire une turbine à moins de 1 kilomètre d’une maison a notamment stoppé net de nombreux projets.» Si une telle réglementation avait été mise en place en 2000, près de la moitié du parc actuel n’aurait pu voir le jour, selon Agora Energiewende.
Pour tenter de résoudre ce problème, le contrat de coalition promet de consacrer 2% des terres allemandes à des fermes éoliennes. Le nouveau gouvernement s’engage également à prendre «durant le premier semestre 2022 en collaboration avec l’État fédéral, les Lander et les communes toutes les mesures nécessaires pour organiser l’objectif commun d’accélérer l’expansion des énergies renouvelables et de fournir l’espace nécessaire». Les turbines les plus anciennes pourront être remplacées par des modèles plus puissants «sans d’importantes formalités administratives», les craintes des amoureux des animaux seront «désamorcées grâce à des techniques innovantes comme les systèmes anti-collision» et des permis de construire seront accordés dans des régions peu ventées pour «éviter les goulets d’étranglement du réseau» et rapprocher les parcs des zones consommatrices d’électricité. Voilà pour la théorie.
L’éolien marin est aussi en panne
Dans la pratique, penser que des réglementations effaceront d’un jour à l’autre toutes les procédures lancées en justice et qu’ériger des turbines, dans des communes où Éole souffle peu, produira de l’énergie pour tous risquent de décevoir plus d’un optimiste. Une option plus viable semble être le développement de l’éolien offshore.
Le potentiel est là. La mer du Nord et la Baltique sont peu profondes et bien ventées. Construire des fermes éloignées des côtes et donc invisibles depuis la terre ferme est tout à fait possible. Mais là aussi, les récentes années ont prouvé que la réalité pouvait parfois être très différente des projets couchés sur papier. «À part un cas unique il y a quelques mois de cela, aucun appel d’offre pour de nouvelles fermes offshore n’a été lancé depuis 2018, déplore Andreas Fischer. Ces dernières années ont vraiment été horribles.» Ce coup de frein brutal n’est pas lié à l’absence d’intérêt des investisseurs mais à de mauvais choix économiques du précédent gouvernement.
«Cette crise, qui est qualifiée de “rupture de fil” peut être attribuée à de mauvaises décisions lors de la conversion du régime de financement aux enchères», regrette l’Association fédérale des exploitants de parcs éoliens offshore (BWO). Le 2 décembre, une des dernières décisions du cabinet dirigé par Angela Merkel a été de signer avec la France, la Norvège, la Suède et d’autres États de la mer du Nord un accord qui vise à «faire progresser l’interconnexion énergétique» et à «atteindre des objectifs énergétiques et climatiques ambitieux de 2050 dans la région». Cette alliance pourrait aider à relancer des projets offshore en Allemagne. Pour atteindre une capacité éolienne offshore installée de 30 GW d’ici à 2030, de 40 GW en 2035 et de 70 GW en 2045, Robert Habeck a expliqué «se pencher maintenant sur des mesures à court terme. Celles à plus long terme et ensuite vraiment efficaces doivent, je pense, être trouvées, adoptées et aussi décidées dès la première année», a ajouté le ministre sans donner plus de détails.
Un problème de taille risque toutefois de contrecarrer les projets gouvernementaux. L’Allemagne ne dispose pas en effet de la surface nécessaire pour construire en mer des éoliennes capables de produire 70 GW. Les plans spatiaux allemands limiteraient actuellement à 54 GW la capacité éolienne offshore du pays, selon l’institut de recherche Fraunhofer. Pour atteindre ses objectifs, l’État devra donc réduire les zones maritimes allouées à l’armée et à la conservation de la nature pour les transformer en espaces dédiés aux fermes éoliennes. «Les installations offshore ont la priorité sur les autres formes d’utilisation», prévient d’ailleurs le nouvel accord de coalition. On peut facilement imaginer que certains Allemands ne risquent pas d’accueillir cette nouvelle avec le sourire…
Sortir du charbon en 2030, un rêve éveillé
Quant à l’hydrogène, Berlin souhaite disposer d’une capacité d’électrolyse annuelle d’environ 10 GW d’ici 2030. Aucun détail n’a toutefois été donné concernant les moyens d’atteindre cet objectif… Il faudra produire beaucoup d’électricité décarbonée pour y parvenir.
La sortie du charbon est, quant à elle, souhaitée «idéalement» pour 2030 et non plus 2038 comme il était jusqu’alors prévu. Les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral des statistiques (Destatis) montrent que ces vœux risquent de rester lettre morte dans les années à venir. Durant le troisième trimestre 2021, le charbon a permis de produire 31,9% de l’électricité allemande contre à peine 26,4% un an plus tôt. La dépendance de notre voisin vis-à-vis des centrales… nucléaires s’est, elle aussi, renforcée (14,2 % contre 12,9 %). Un comble pour une nation qui a prévu de déconnecter ses derniers réacteurs… en 2022.
Les sources d’énergie «conventionnelles» pour reprendre les termes officiels ont ainsi généré, de juillet à septembre 2021, 56,9 % des mégawatts produits en République fédérale (+ 0,8%), soit bien plus que les énergies renouvelables (43,1%). À court terme, l’Allemagne va devoir mettre davantage l’accent sur les centrales électriques au gaz pour s’éclairer. Un souci quand on sait que les prix du gaz naturel ont doublé en un an.
Dépenser encore près de 500 milliards d’euros
Produire de l’électricité est une chose mais le transporter vers le consommateur final en est une autre. «Les réseaux sont l’épine dorsale du système énergétique du futur, reconnaît l’accord de coalition. Pour le développement massif des énergies renouvelables, nous avons besoin de plus de rapidité et d’engagement dans l’extension du réseau à tous les niveaux. » Le nouveau gouvernement vient de demander à l’Agence fédérale des réseaux (BNetzA) de lui préparer un programme qui va bien «au-delà des plans de développement actuels» et de lui préciser les mesures à prendre pour le réaliser. Certains fonctionnaires ont dû avoir des sueurs froides en entendant cette nouvelle.
La dernière grande inconnue de taille concernant la politique énergétique du nouveau cabinet fédéral concerne son… coût. «Il est difficile de faire une estimation avec ce que l’on sait aujourd’hui, explique prudemment l’économiste d’IW. Une seule chose est certaine: ce programme ne sera pas bon marché.» Franck Steffe avance, lui, un chiffre. «La transition énergétique devrait coûter 460 milliards d’euros d’ici 2030, soit 46 milliards d’euros par an», prédit l’expert d’Agora Energiewende. À ce jour, notre voisin a déjà englouti plus de 500 milliards d’euros, si l’on en croît les calculs de l’Institut pour l’économie de la concurrence (DICE) basé à Düsseldorf.
Près de 1.000 milliards d’euros vont ainsi devoir être dépensés pour dire -éventuellement – adieu au charbon, au nucléaire et se focaliser sur les énergies renouvelables. Mais l’argent ne sera toujours pas une garantie de succès. La dépendance de l’éolien et du solaire aux aléas climatiques, les nombreuses questions laissées sans réponse par l’accord de coalition et les inconnues concernant les mouvements de protestation que pourraient provoquer ce programme sèment le doute. «Toutes les mesures annoncées sont réalistes», affirme Franck Steffe. Difficile pour lui de dire le contraire… «Donnons une chance au gouvernement», conclut, un brin plus fataliste, Andreas Fischer. De la «chance», Berlin va devoir en avoir beaucoup pour atteindre ses objectifs…
Frédéric Therin