Le gaz naturel est indispensable à la transition énergétique allemande. A tel point que Berlin veut faire de cette énergie fossile, une énergie verte aux yeux de la Commission Européenne afin d’en faciliter le financement. Il faut dire que sans gaz naturel la très controversée stratégie de transition allemande, l’Energiewende, est dans une impasse. Elle a consisté avant tout jusqu’à aujourd’hui à investir massivement, des centaines de milliards d’euros, dans la constitution d’un parc de production électrique à partir de renouvelables, éoliennes, panneaux solaires et biomasse. Les renouvelables représentent maintenant plus de 40% en moyenne de la production électrique allemande. Mais le problème de l’éolien et du solaire est leur intermittence.
Cela signifie que quand il n’y pas de soleil, déjà la nuit, et peu de vent, comme depuis le début de l’année, pour éviter les pénuries et les black out, l’Allemagne doit faire fonctionner à plein régime ses centrales thermique… au charbon et au lignite. Résultat, les émissions de CO2 ne baissent pas. Elles ont même augmenté au premier semestre cette année avec des conditions météorologiques (vent et soleil) défavorables. Un comble pour une stratégie dont le principal objectif, normalement, est de réduire les émissions de gaz à effet de serre…
Du gaz pour sauver la révolution énergétique allemande
Une stratégie dénoncée cette année par la Cour des comptes allemande. «Cette forme de transition énergétique met en danger l’économie de l’Allemagne et sollicite de manière excessive la viabilité financière des entreprises consommatrices d’électricité et des ménages privés […] Cela peut alors mettre en danger, à terme, l’acceptation sociale de la transition énergétique», a déclaré Kay Scheller, la présidente du Contrôle fédéral des finances, lors de la remise en mai d’un rapport très critique sur l’Energiewende.
La solution est toute trouvée, remplacer les centrales au charbon par des centrales au gaz. Ces dernières émettent près de moitié moins de CO2. Les pays occidentaux qui ont réussi au cours des dernières années à baisser le plus rapidement leurs émissions sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni en remplaçant le charbon par du gaz.
Mais contrairement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, l’Allemagne n’a pas de gisements de gaz naturel à sa disposition. Il lui faut l’importer, notamment de Russie. D’ou l’importance du gazoduc Nord Stream 2 qui va permettre à l’Allemagne d’avoir un approvisionnement plus importants même s’il peut avoir un impact géopolitique problématique en augmentant la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie. D’ou l’opposition depuis des années des Etats-Unis qui au passage souhaitaient fournir à l’Allemagne du gaz sous sa forme liquéfiée (GNL) provenant de leurs propres gisements de gaz de schiste.
Cela explique pourquoi depuis des années, le chantier du gazoduc Nord Stream 2 a été au cœur d’une bataille géopolitique et économique. Durant plusieurs années, il a opposé les États-Unis et l’Allemagne, principal promoteur du projet, mais aussi les Européens entre eux, ainsi que la Russie et l’Ukraine.
Finalement, un surprenant revirement de Washington depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden a permis l’élaboration d’un compromis germano-américain pour tenter de clore ce litige même si pour Kiev, ce gazoduc reste «une dangereuse arme géopolitique du Kremlin».
Un doublement de capacité
Nord Stream 2 va relier la Russie à l’Allemagne via une canalisation de 1.230 kilomètres sous la mer Baltique d’une capacité de 55 milliards de m3 de gaz par an, sur le même parcours que son jumeau Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012. Contournant l’Ukraine, le tracé va augmenter les possibilités de livraison de gaz russe à l’Europe.
Exploité par le géant russe Gazprom, le projet, estimé à plus de 10 milliards d’euros, a été cofinancé par cinq groupes européens du secteur de l’énergie (OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell). L’Allemagne est évidemment au sein de l’UE le principal promoteur du gazoduc,
L’Ukraine en revanche craint, à terme, de perdre les revenus qu’elle tire du transit du gaz russe et d’être plus vulnérable aux pressions économiques de Moscou. Les États-Unis sont depuis le début vent debout contre un aménagement qui affaiblirait économiquement et stratégiquement l’Ukraine, augmenterait la dépendance de l’UE au gaz russe et dissuaderait les Européens d’acheter le gaz de schiste que les Américains veulent leur vendre.
Les Européens sont divisés. La Pologne ou les pays Baltes s’inquiètent de voir l’UE plier devant les ambitions russes. Même en Allemagne, Nord Stream ne fait pas l’unanimité. Les Verts y sont fermement opposés, notamment parce qu’il s’agit d’énergie fossile. La succession des conflits diplomatiques avec Moscou, de l’affaire Navalny aux soupçons de cyberattaques, a aussi nourri les appels à renoncer au projet, y compris dans le parti conservateur d’Angela Merkel. L’administration Trump avait aussi tenté de torpiller Nord Stream 2 en faisant voter en 2019 une loi imposant des sanctions contre les entreprises impliquées dans le chantier.
Le surprenant revirement de Joe Biden
Lancé en avril 2018, le chantier avait ainsi été interrompu en décembre 2019 alors qu’il ne restait que 150 kilomètres de tube à poser dans les eaux allemande et danoise. Il a repris un an plus tard et le gazoduc est aujourd’hui quasiment achevé. Il devrait être opérationnel dans quelques semaines.
Le plus surprenant dans cette affaire est que Joe Biden a commencé sa présidence sur une ligne hostile à Nord Stream 2. Mai à la surprise générale, l’administration américaine a annoncé fin mai qu’elle renonçait à sanctionner les entreprises impliquées dans la construction et l’exploitation du gazoduc.
Après plusieurs semaines de négociations, les États-Unis ont annoncé en juillet un accord avec le gouvernement allemand. Parmi les principales dispositions : de possibles sanctions contre Moscou en cas de dérapage, et un engagement de Washington et Berlin à plaider ensemble pour le prolongement de dix ans des mesures garantissant le transit par l’Ukraine du gaz russe.