Airbus s’est engagé dans un pari très ambitieux. Il consiste à concevoir et fabriquer en moins de 15 ans des avions zéro émission. Il espère ainsi mettre sur le marché d’ici 2035 un avion à propulsion par hydrogène. Un pari technologique qui a beaucoup séduit le gouvernement et plus particulièrement le ministre de l’économie Bruno Lemaire. Il y voit le moyen de sauver un fleuron de l’industrie européenne et française malmené à la fois par la pandémie et l’avion bashing mis à l’honneur notamment par l’égérie écologiste suédoie Greta Thunberg. Elle a en quelque sorte inventé le terme de «flygskam», «la honte de voler» en suédois.
Intégrer la technologie de l’hydrogène liquide des fusées à l’aviation civile
Pour le démarrage des travaux de recherche et développement, Airbus a notamment pu compter sur un sérieux coup de pouce du gouvernement français. L’Etat va lui verser 1,5 milliard d’euros sur les trois prochaines années via le Conseil pour la recherche aéronautique civile.
Pour autant, le défi s’annonce compliqué. Certes, Airbus peut compter sur l’expertise d’ArianeGroup, maître d’œuvre des lanceurs d’Ariane, filiale à 50-50 détenue avec Safran. Ce dernier maîtrise parfaitement la propulsion à hydrogène liquide, refroidi à -253 degrés, qui équipe les moteurs Vulcain d’Ariane 5 et 6. Mais intégrer cette technologie cryogénique sur un avion de 200 passagers, qui doit être certifié par les régulateurs, représente un pas énorme en termes de sécurité aérienne. Autre problème, le stockage de l’hydrogène prend quatre fois plus de place que celui du kérosène. Il faut donc soit des avions plus gros, qui puissent embarquer des réservoirs de grande capacité, soit rogner sur le rayon d’action, ce qui rend l’équation économique de l’avion à hydrogène plus complexe. Enfin, pour avoir un avion vraiment zéro carbone, il faudra que l’hydrogène lui-même soit produit de façon propre, c’est-à-dire par électrolyse et avec de l’électricité décarbonée, renouvelable ou nucléaire ou via des énergies fossiles mais avec capture du CO2.
Equiper les aéroports parisiens
En tout cas, une nouvelle étape vient d’être franchie puisqu’Air Liquide, Airbus et le Groupe ADP ont annoncé au début de la semaine avoir signé un protocole d’accord pour préparer l’arrivée de l’hydrogène dans les aéroports. Ce partenariat permettra de créer les infrastructures pour approvisionner les avions.
Dans un premier temps, une étude portant sur une trentaine d’aéroports dans le monde «permettra de déterminer les différentes configurations du développement et de l’approvisionnement en hydrogène liquide». Des plans détaillés seront ensuite élaborés pour les deux principaux aéroports parisiens, Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly, afin de «définir les infrastructures requises, le dimensionnement et l’implantation, lesquels devront prendre en compte l’ensemble des contraintes liées d’une part aux normes de sécurité industrielle et d’autre part à celles de l’aéronautique».
Ce partenariat «est une étape importante et nécessaire pour préparer la mise en service d’un avion zéro émission d’ici 2035», s’est félicité Antoine Bouvier, directeur de la stratégie d’Airbus.
Airbus va devoir aussi rapidement définir une stratégie technologique et économique. L’avionneur européen a présenté l’an dernier trois prototypes théoriques très différents. Le premier concept est un turbopropulseur (avion à hélices), au design assez proche des appareils du toulousain ATR. L’appareil, qui embarquerait jusqu’à 100 passagers, serait dédié aux liaisons courtes (moins de 1.800 km). Le deuxième concept, doté de turboréacteurs comme les avions actuels, affiche un design assez proche de l’A320neo actuel, mais avec de longues ailes recourbées à leur extrémité. Cet appareil de 120 à 200 sièges, serait capable de liaisons de 3.600 km, soit 40% de moins que l’A320 actuel. L’hydrogène liquide, stocké derrière la cloison arrière de l’avion, alimenterait une turbine à gaz modifiée.
Une aile volante
Le troisième et dernier concept afficherait des performances comparables au deuxième, mais avec un design en rupture. Fini l’avion classique composé d’un tube et de deux ailes: place à l’aile volante qui intègre cockpit, passagers et carburant dans la même structure triangulaire, sans fuselage ni empennage (voir l’image ci-dessus). Etudié depuis 10 ans par Boeing et la Nasa, avec l’avion expérimental X48B, ce design a de nombreux atouts. Il permet un meilleur aérodynamisme, une grande capacité d’emport de carburant, et possède une excellente portance. Mais il est aussi naturellement instable, ce qui explique que le concept ait été pour l’instant réservé aux engins militaires.