La question est obsédante, et devient urgente. Avant même l’arrêt de la pandémie du Covid-19, dans une phase de démarrage du chômage de masse et pour ne pas risquer un blocage mortel, comment remettre la machine économique en marche? La crise sanitaire nous interroge. Elle a mis en évidence la fragilité de l’économie française et sa dépendance à l’égard de pays producteurs de biens ou de produits intermédiaires cruciaux.
Il convient d’identifier des secteurs stratégiques, essentiels pour nous protéger des effets dangereux des crises futures, et éviter des chocs profonds, susceptibles de déstabiliser notre économie, mais aussi toute la société.
Certains prétendent que ces secteurs devraient tenir compte avant toute chose des impacts environnementaux. Mais cette position est-elle tenable dans un contexte de recul des produits intérieurs bruts (PIB), de montée du chômage, de risque d’explosions sociales, d’accroissement de la pauvreté, de la misère et de l’exclusion?
Quels pourraient être les secteurs stratégiques, ceux qui, si nous faisons l’effort nécessaire, nous permettront de ne pas être démunis face à une nouvelle pandémie ou à un évènement encore plus grave? Les commissions mises en place au cours des années ont peiné à les définir, mais la crise redessine les contours et les urgences.
Pourtant il est possible, avec une grosse dose de volontarisme, d’identifier trois catégories de secteurs stratégiques.
Les secteurs vitaux
Ce sont les activités essentielles à la satisfaction des besoins vitaux de la population. Des moyens supplémentaires doivent être mis en place pour les protéger et les développer. Elles sont au nombre de deux seulement, la santé et l’alimentation. Leur relocalisation nous protégera, tout autant qu’elle limitera les longs trajets polluants et consommateurs d’énergies fossiles.
La crise du coronavirus a prouvé tout l’intérêt du secteur de la santé. La non disponibilité de masques, de gel hydro alcoolique, de respirateurs, ou de tests, mais plus encore l’impossibilité d’en produire rapidement, font l’objet de toutes les critiques et de toutes les inquiétudes.
La pénurie de médicaments fait aussi courir un grand danger, la plupart des molécules étant fabriquées en Chine ou en Inde, des antibiotiques aux médicaments les plus banals comme le paracétamol.
Il apparaît donc essentiel de relocaliser une partie de ces productions sur le territoire national pour un accès direct et permanent et préserver ainsi la possibilité d’augmentation rapide des capacités de production.
L’autre activité vitale est l’alimentation, et donc les industries et activités agricoles assurant sa fabrication et sa livraison. Il s’agit de nourrir la population française et d’éviter les famines et restrictions alimentaires qui commencent déjà en Inde ou, plus près de nous, au Portugal.
Une grande partie des produits consommés par les ménages français ont suivi des chaînes de valeurs internationales qui sillonnent de nombreux pays. Au vu des risques de coupure des transports, re-territorialiser une partie des productions agricoles permettrait de préserver la souveraineté alimentaire de la nation.
Sans exclure un commerce avec les autres pays, en particulier européens, il apparaît nécessaire de construire et de favoriser les systèmes agricoles, circuits courts, usines de transformation et de conditionnement ou les chaînes logistiques pour nourrir la population.
Les secteurs entraînants
Le deuxième groupe d’activités stratégiques concerne les industries possédant un contenu en emploi conséquent ou qui entraînent des emplois indirects ou induits, par leurs activités de sous-traitance ou leurs achats.
Le premier secteur est évidemment le tourisme, qui génère plus de trois millions d’emplois directs ou liés, en particulier à la suite de la désindustrialisation massive et aux délocalisations de l’économie française.
Cette activité, à la base d’un projet économique mais aussi d’aménagement du territoire, est très fortement menacée en raison des restrictions de déplacements des personnes, qui vont entraîner une diminution des emplois, des licenciements massifs, ainsi que la mise à pied de millions de travailleurs saisonniers. N’oublions pas qu’elle est également terriblement exigeante en termes de pollution des airs ou des mers, ainsi qu’en matière de consommation énergétique.
Au-delà, nous avons l’opportunité de renouer avec une véritable politique industrielle, de définir et protéger des industries essentielles au maintien et au développement d’une activité économique qui ne repose pas sur les seuls services.
Les tableaux d’entrées-sorties de l’Insee, qui analysent chacun des secteurs en fonction de l’origine et de la destination de sa production, nous permettent d’identifier les activités qui génèrent le plus de productions et d’emplois induits et exercent des effets d’entraînement sur l’ensemble de la structure productive nationale, comme cela a été fait récemment pour le Brésil par exemple.
On cite souvent le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui demande la mise en œuvre de nombreuses industries liées, en amont comme en aval, «quand le bâtiment va tout va».
La production automobile, la chimie, l’industrie alimentaire, constituent également des candidats sérieux, et pourraient contribuer à une réindustrialisation graduelle de l’espace économique national.
Une mission d’étude devrait permettre de repérer les secteurs entraînants et de les aider par une politique volontariste de l’État. Elle aurait deux intérêts: pérenniser les emplois ou les développer, et diminuer notre dépendance toxique au tout tourisme ou au tout service.
Le maintien de la cohérence territoriale
Enfin, un autre objectif reste de ne pas creuser les inégalités entre territoires, en favorisant Paris au profit du «désert» français, ou les métropoles par rapport aux campagnes, et donc d’introduire une dimension locale, afin d’éviter un trop fort déséquilibre régional et des concentrations trop massives d’activités portant atteinte à l’environnement.
La spécialisation intelligente de l’Union européenne, qui identifie des domaines d’activités compétitives, nous montre la voie.
À chaque région de faire un choix d’activités où elle excelle ou se montre compétitive, des technologies de pointe comme les microprocesseurs aux productions traditionnelles comme la viticulture, en passant par la production automobile.
C’est un réseau d’activités complémentaires qui doit être promu, afin d’éviter de créer des cathédrales dans le désert, coupées de leur environnement local.
Les aides se répercuteront sur la structure régionale, en bénéficiant aux activités et industries liées locales. La Normandie vient ainsi de décider de renforcer son industrie pharmaceutique, pour des raisons stratégiques et pour favoriser la croissance du tissu local d’entreprises.
L’Île-de-France de son côté souhaite redonner une importance à son activité de production agricole dans le but de nourrir une partie de sa population et de limiter l’étalement urbain incontrôlé.
Seul le retour d’une vraie politique industrielle et d’aménagement du territoire, avec des objectifs clairs, permettra donc de remettre en marche la machine de production de biens et de produits manufacturés.
C’est également un levier qui nous protégera de manière efficace des atteintes sociales et économiques les plus violentes des futures crises et pandémies, tout en maintenant une balance environnementale satisfaisante à défaut d’être idéale.
Cela suppose du volontarisme, une vision claire et l’identification de cibles concrètes. Tout le contraire de l’argent hélicoptère ou des milliards accordés sans contrepartie certaine à de grandes sociétés dans des secteurs en perdition ou premiers pollueurs.
André Torre Directeur de recherche en économie à l’INRA, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.