Pour tenter de limiter le risque de pénuries d’électricité cet hiver et réussir à redémarrer dans les prochaines semaines l’essentiel de son parc de réacteurs, EDF a sur ordre du gouvernement tout lâché aux grévistes et à la CGT après deux jours de négociations. Commencé le 13 septembre, le mouvement de grève s’est étendu au fil des semaines, jusqu’à toucher vendredi 21 octobre 12 centrales. Vendredi, avant la levée partielle de la grève, quatre réacteurs avaient connu une baisse de production et surtout les travaux de maintenance étaient bloqués par la CGT sur 18 réacteurs. La France en compte 56 au total et le redémarrage de la grande partie de ses réacteurs est indispensable pour éviter des pénuries d’électricité cet hiver en France et même en Europe. Au début de la semaine dernière, le gestionnaire du réseau électrique RTE avait prévenu qu’«une prolongation du mouvement social aurait des conséquences lourdes sur le cœur de l’hiver». Voilà pourquoi la direction d’EDF a été sommée de mettre un terme au conflit à n’importe quel prix.
«Ils ont dû tout lâcher»
Un accord salarial a donc été trouvé vendredi 21 octobre entre la direction d’EDF et les syndicats. S’additionnant aux hausses décidées au niveau de la branche des industries électriques et gazières, l’accord d’entreprise se traduira par une hausse de 9,47 % de la masse salariale du groupe, contre 4,3 % en 2022. «Les négociations sont terminées, un accord va être soumis aux organisations syndicales qui les soumettront au personnel», a indiqué laconiquement un porte-parole d’EDF. «Ils ont dû tout lâcher, reconnait une source proche du dossier. Le politique a donné l’ordre à la direction de débloquer rapidement la situation.»
Les grévistes ont commencé à relâcher la pression dès vendredi matin. Les salariés de la centrale de Gravelines (Nord), la plus puissante d’Europe de l’Ouest, ont été les premiers à suspendre la grève. D’autres ont suivi dans l’après-midi: Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), Bugey (Ain), Chinon, Dampierre, Saint-Alban et Penly (Seine-Maritime). Quatre des douze centrales en grève vendredi doivent encore se prononcer lundi 24 octobre sur la suspension ou non du mouvement, a indiqué Julien Lambert, secrétaire fédéral de la FNME-CGT. L’accord doit être ratifié par les organisations syndicales et ensuite soumis à la consultation du personnel de chaque site. «Pour faire bref, en cumul des mesures, on obtiendrait 200 euros a minima pour tous», a déclaré un représentant de la CGT à l’agence Reuters.
EDF encore affaibli
Cet accord s’il dégage les perspectives de production électrique dans les prochaines semaines aggrave encore un peu plus la situation économique et financière déjà désastreuse d’EDF. Mais la CGT n’en a rien à faire. Rappelons au passage, que la CGT bénéficie à EDF d’un privilège hallucinant. Elle gère le plus gros comité d’entreprise de France dont le budget représente 1% du chiffre d’affaires de l’entreprise publique. Le comité d’entreprise d’EDF emploie 5.000 personnes…
L’entreprise publique détenue à 84% par l’Etat et bientôt renationalisé à 100% est laminée par les exigences contradictoires à son égard des gouvernements depuis de nombreuses années. Ces capacités humaines comme financières n’ont cessé de s’affaiblir. Cela se traduit aujourd’hui par la forte baisse de sa production électrique, conséquence de l’indisponibilité d’une bonne partie de son parc nucléaire en raison de problèmes de retards de maintenances et de la découverte de corrosion sous contraintes sur un certain nombre de réacteurs. Il faut ajouter à ce tableau les errements, les surcoûts et les malfaçons du chantier du réacteur de nouvel génération, EPR, de Flamanville (Manche). Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement a aussi contraint cette année l’entreprise en difficultés à prendre à sa charge une partie du coût du bouclier tarifaire qui protège les Français de hausses trop importantes du prix de l’électricité. Cela devrait coûter 10 milliards d’euros à EDF dont l’endettement record devrait atteindre 60 milliards d’euros à la fin de cette année.
Face à l’état catastrophique des finances d’EDF, le gouvernement a tout de même décidé de réduire légèrement la quantité d’électricité qu’EDF doit vendre à prix cassé à ses concurrents à 100 TWh en 2023, après avoir été rehaussé à 120 TWh cette année.
Les fournisseurs alternatifs d’électricité et leurs clients sont en partie protégés de l’explosion des prix grâce à l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), une usine à gaz absurde inventée en 2011 par l’administration française pour créer une concurrence totalement artificielle sur la distribution d’électricité en France et satisfaire ainsi les exigences de la Commission européenne. Il contraint EDF à vendre 100 TWh de production du parc nucléaire historique (soit un tiers de sa production) à perte au prix de 42 euros/MWh, hors marché. En février, le gouvernement a décidé de relever ce plafond à 120 TWh tout en augmentant symboliquement le prix de vente de cette seule portion à 46,50 euros le MWh. EDF dénonce en vain depuis des années un dispositif qui grève sa rentabilité et ses capacités d’investissement. Le futur nouveau patron de l’entreprise renationalisée, Luc Rémond, aura une tâche impossible…