En compensation de l’aide militaire et financière fournie à l’Ukraine par les Etats-Unis depuis son invasion par la Russie en février 2022, l’administration Trump a exigé que Kiev lui concède le contrôle de l’exploitation d’une partie de ses ressources minérales et notamment de ses terres rares. Et quand Volodymyr Zelensky a demandé en compensation des garanties de sécurité, il a fait l’objet dans le bureau ovale de la Maison Blanche et devant les caméras de télévision du monde entier d’une séance sans précédent de menaces et de récriminations de la part de Donald Trump et du vice-président américain J.D. Vance (voir la photographie ci-dessus).
Quelques jours plus tard, Volodymyr Zelensky a finalement accepté de signer le contrat avec la Maison Blanche. Et Donald Trump n’a pas relâché, depuis, la pression sur le Président ukrainien. Pas plus tard que dimanche 30 mars il l’a accusé de tergiverser sur l’accord et l’a menacé à nouveau. « Je vois qu’il essaie de se retirer de l’accord sur les terres rares. Et s’il le fait, il aura des problèmes. De gros, gros problèmes », a-t-il encore déclaré.
La plupart des gisements se trouvent dans les territoires occupés par l’armée russe
Le plus étonnant dans cette affaire est que le contrat en question et l’intérêt extrême manifesté par l’administration Trump pour les ressources minérales ukrainiennes semblent incompréhensibles pour bon nombre d’experts des questions minières. Surtout, quand ils se penchent d’un peu plus près la réalité du potentiel ukrainien et plus encore la possibilité de l’exploiter. Pour employer une expression américaine triviale, revenue à plusieurs reprises depuis quelques jours, tout cela est « dumb and dumber » (idiot et encore plus idiot).
Il y a trois problèmes principaux. Premièrement, les gisements en question se trouvent pour la plupart dans des territoires occupés par la Russie à l’est du pays. Deuxièmement, leur potentiel est aujourd’hui très difficile à estimer et sans doute pas gigantesque. Enfin, les gisements de terres rares sont difficiles à trouver en étant suffisamment riches pour que leur exploitation soit économiquement rentable. Elle nécessite, en outre, des équipements industriels importants et techniquement pointus pour raffiner les minerais et obtenir les terres rares utilisables dans les téléphones portables, les véhicules électriques ou l’armement de haute technologie.
Des ressources théoriques
L’accord, qui reste aujourd’hui assez flou, prévoit qu’un fonds d’investissement pour la reconstruction de l’Ukraine sera créé utilisant une partie des profits générés par l’exploitation des ressources naturelles du pays. L’Ukraine contribuerait au fonds à hauteur de 50% des bénéfices provenant de l’exploitation des ressources minérales. On ne sait pas exactement quel contrôle les États-Unis exerceraient sur les recettes sachant que les États-Unis s’engageraient à soutenir les efforts de l’Ukraine pour s’assurer une paix durable, mais n’offrent aucune garantie en matière de sécurité.
Lors de la tristement célèbre rencontre dans le bureau ovale du 28 février dernier, Donald Trump avait affirmé que les États-Unis ont apporté plus de 350 milliards de dollars d’aide militaire à l’Ukraine. Il avait avancé le chiffre de 500 milliards de dollars quelques jours auparavant. Des sommes contestées par Volodymyr Zelensky. Selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, qui étudie l’aide militaire, financière et humanitaire apportée à l’Ukraine depuis le début de la guerre, les États-Unis ont donné 118 milliards de dollars. Le Département américain de la défense estime lui ce montant à 183 milliards de dollars.
Des gisements dont l’évaluation remonte à l’ère soviétique
Selon le ministère ukrainien de l’économie, le sous-sol du pays possède des gisements de 22 des 34 minéraux classés comme critiques par l’Union européenne. Il y a notamment en quantités du titane, du zirconium, du graphite et du lithium. Et l’Ukraine possède aussi des terres rares telles que le lanthane et le cérium, utilisés dans les téléviseurs et l’éclairage, du néodyme, utilisé dans les éoliennes et les batteries des véhicules électriques, de l’erbium et de l’yttrium, dont les applications s’étendent de l’énergie nucléaire aux lasers et du scandium utilisé dans l’aéronautique. La valeur de ces ressources en terres rares est estimée par The Independent à la somme considérable de plus de 12.000 milliards de livres sterling ou 14.350 milliards d’euros. Mais faut-il encore que cette évaluation des ressources soit exacte, qu’elle ne soit pas seulement « théorique » et enfin et surtout que leur exploitation soit possible.
Car en dépit du battage autour des terres rares de l’Ukraine, le pays ne figure pas dans le top 12 des pays classés par l’US Geological Survey qui possédent les plus grandes réserves. Ils s’agit, dans l’ordre, de la Chine, du Brésil, de l’Inde, de l’Australie, de la Russie, du Viêt Nam, des États-Unis, du Groenland, de la Tanzanie, de l’Afrique du Sud, du Canada et de la Thaïlande. On comprend mieux l’intérêt de l’administration Bush pour le Groenland et le Canada.
En outre plus de la moitié des ressources en terres rares de l’Ukraine se trouvent dans les quatre régions (Louhansk, Donetsk, Zaporizhzhia et Kherson) que la Russie a illégalement annexé en septembre 2022 et dont son armée occupe aujourd’hui une grande partie des territoires.
Le raffinage demande des investissements importants et de grandes compétences
Selon IEEE Spectrum, il est aussi loin d’être assuré que l’Ukraine possède des gisements de terres rares réellement exploitables. La publication cite Erik Jonsson, principal expert du Service géologique suédois. Il affirme qu’il existe huit gisements substantiels de minerais de terres rares identifiés. Mais il est difficile d’évaluer leur taille réelle. Les chiffres disponibles datent de l’ère soviétique. Enfin, tous ces gisements, sauf un, se trouvent dans une zone actuellement contrôlée par l’armée russe.
Toujours interrogé par IEEE Spectrum, Jack Lifton, président exécutif du Critical Minerals Institute, est encore plus dubitatif. « Si vous voulez des minéraux critiques, ce n’est pas en Ukraine qu’il faut les chercher. C’est un fantasme… Tout cela n’a aucun sens. Il y a un autre agenda qui se trame ici. Je n’arrive pas à croire que quelqu’un à Washington pense réellement qu’il est judicieux de chercher des terres rares en Ukraine ».
Et puis, si l’extraction des minerais contenant des terres rares est techniquement relativement simple, l’étape ensuite du raffinage des demande bien plus d’équipements, d’investissements et de compétences. Les équipements de broyage – concasseurs, broyeurs, séparateurs électrostatiques – doivent tous être configurés en fonction du type de minerai extrait. Il n’y a pas deux minerais qui réagissent de la même manière. L’étape suivante, plus compliquée encore, consiste à extraire chimiquement les terres rares du minerai. Elle est aussi extrêmement néfaste à l’environnement. Ainsi, les États-Unis ne comptent aujourd’hui sur leur sol qu’une seule mine de terres rares en activité, à Mountain Pass en Californie. Les minerais sont extraits et transformés en concentré avant… d’être ensuite envoyés en Chine pour y être raffinés.