Il y a maintenant tout juste un peu plus de 50 ans, Neil Armstrong a fait son fameux petit pas sur la surface poussiéreuse de la lune et accomplit ainsi la mission que lui avait confié le Président John F. Kennedy en 1961. A savoir que les Etats-Unis enverraient un homme sur la lune avant la fin de la décennie. Un objectif atteint cinq mois et demi avant l’échéance. La conquête de la lune est peut être la plus grande réussite technologique de l’histoire de l’humanité et a eu un impact considérable ensuite en accélérant le développement de l’informatique, de nouveaux matériaux et même sur la façon de conserver les aliments.
Mais comme le souligne un intéressant article du magazine Forbes, au début des années 1960, les administrations Kennedy et ensuite Johnson s’étaient données un autre objectif très ambitieux, mettre fin à la pauvreté aux Etats-Unis. Ils n’y sont pas parvenus… Car combattre la pauvreté ne nécessite pas seulement des moyens et de la technologie, c’est un problème ayant des dimensions sociologiques, psychologiques, économiques et politiques. Et elles sont bien plus difficiles à résoudre que de surmonter des difficultés, aussi grandes soient-elles, qui dépendent avant tout des lois de la physique, de budgets à financer et de libérer la soif de conquête de l’esprit humain.
Rendre la transition acceptable à la société
La grande question de notre temps est celle de la transition énergétique, de la décarbonisation massive de nos économies et de nos modes de vie. Dans un éditorial récent, le New York Times s’interroge: «Nous sommes bien allés sur la lune. Pourquoi nous ne pouvons pas régler la question du climat?» La question de la transition énergétique est en fait nettement plus compliquée. Il s’agit d’un mélange des deux grands défis américains des années 1960.
Notre système énergétique est construit à la fois sur la technologie, la science, l’économie et aussi sur la psychologie, les comportements, les rapports sociaux. Résoudre la question technique de la décarbonisation n’est pas facile, mais elle est sans doute faisable avec de très importants moyens financiers et avec les technologies actuelles et celles en développement: les renouvelables, l’hydrogène, les batteries, les moteurs électriques, la séquestration du CO2, le graphène, la géo-ingénierie…
Rendre la transition acceptable par la société s’annonce autrement plus compliqué. Car il faut qu’elle soit rapide, réellement efficace, que le nouveau système soit fiable et qu’il ne fasse pas s’envoler les coûts de l’énergie. Si les prix de l’énergie augmentent trop et si cette charge supplémentaire pèse trop lourdement sur une partie de la population, les efforts économiques et politiques s’arrêteront rapidement. C’est pour cela que les diktats et les prophètes de l’apocalypse sont contre-productifs.
D’abord les infrastructures
Juste pour mesurer l’ampleur de la tâche, il faut se rappeler quelle est la situation actuelle et quel est le chemin atteindre l’objectif… Le problème, ce sont les énergies fossiles. Et nous continuons à en consommer de plus en plus. La demande d’énergie mondiale a augmenté encore de 2,3% en 2018 selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), sa croissance la plus rapide en 10 ans. Cette croissance a été alimentée à 70% par des énergies fossiles et seulement à 30% par des renouvelables et du nucléaire. Tant que la croissance des renouvelables ne sera pas supérieure à celle des fossiles et par une marge importante, nous n’aurons pas une chance de régler notre problème.
Le principal blocage provient de la faiblesse des infrastructures. C’est pourquoi le charbon produit aujourd’hui dans le monde plus d’électricité que l’hydraulique, le nucléaire et les renouvelables réunis. Et les pays en développement continuent à privilégier le charbon. Non pas parce qu’il est moins cher. Il ne l’est pas. Mais parce que c’est plus facile. Il est facile à transporter, par bateau, par rail, par camion, et il est facile de faire fonctionner une centrale au charbon. Même le gaz est bien plus compliqué. Il faut des infrastructures lourdes, des gazoducs pour le transporter ou des terminaux portuaires spéciaux s’il est liquéfié. Dans les pays développés, les infrastructures sont aussi la principale raison de la relative inefficacité des renouvelables et des difficultés de la voiture électrique. Les réseaux électriques ne sont pas adaptés aux renouvelables, les bornes de recharge des véhicules électriques sont trop peu nombreuses et trop peu puissantes et les réseaux de stockage et de distribution d’hydrogène existent… sur le papier.
Pour en revenir au point de départ, l’acceptation sociale de la transition, elle ne se fera que si les infrastructures pour l’accompagner et la rendre efficace techniquement comme économiquement fonctionnent et soient accessibles. Voilà de quoi alimenter l’investissement et la croissance économique dans le monde pendant des décennies. Après, mesurer les besoins semble presque simple…
Il faut:
– Arrêter de construire le plus rapidement possible toute centrale électrique fonctionnant avec de l’énergie fossile.
– Installer 3,5 millions de MW de nouvelles éoliennes (12.000 milliards de kWh/an).
– Installer 1,4 million de MW de nouveaux réacteurs nucléaires (11.000 milliards de kWh/an).
– Installer 2,1 millions de MW d’énergie solaire (7.000 milliards de kWh/an).
– Installer 1,2 million de MW de capacités hydroélectriques (7.000 milliards kWh/an).
– Sécuriser les ressources en métaux et terres rares notamment de Lithium, Cobalt, Nickel…
– Construire 3 milliards de voitures électriques d’ici 2050. Si on fait moins, cela ne réduira pas suffisamment la consommation de pétrole.
Le coût de tous ses investissements est évalué à 65.000 milliards de dollars par Forbes sur trente ans. Il est de façon surprenante pas beaucoup plus élevé que les investissements prévisionnels sur le système énergétique existant au cours de cette même période (63.000 milliards de dollars). Il y a pourtant une différence de taille. Le capital nécessaire dès le départ pour la transition est de 28.000 milliards de dollars et pour la solution de continuité de «seulement» 11.000 milliards de dollars. Il va falloir et vite orienter l’épargne et les investisseurs mondiaux vers l’énergie.
Cela n’a vraiment rien à voir avec la conquête de la lune…