<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> EDF en faillite virtuelle

18 février 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Centrale-nucleaire-Saint-Laurent-des-Eaux
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EDF en faillite virtuelle

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Sans surprise, EDF a annoncé des résultats catastrophiques pour l’exercice 2022. La nationalisation totale de l’énergéticien public à la fin de l’année dernière lui évite une faillite virtuelle. Ses pertes atteignent près de 18 milliards d’euros, un niveau comparable aux profits records de TotalEnergies (20,5 milliards d'euros)… L’Etat qui n’a cessé d’affaiblir EDF depuis près de deux décennies en multipliant les contraintes et les exigences contradictoires est maintenant contraint de renflouer l’entreprise. Difficile de trouver un exemple plus caricatural de mauvaise gestion.

La renationalisation d’EDF, retiré du marché boursier et dont l’Etat possède aujourd’hui 96% du capital, a sauvé l’entreprise publique tant sa situation financière est dégradée. Le paradoxe est que l’Etat est directement responsable de cette situation en multipliant depuis près de deux décennies les contraintes et exigences contradictoires qui ont terriblement affaibli EDF au point qu’il est maintenant contraint de renflouer l’entreprise qu’il a mis à genoux. Une caricature de gestion irresponsable et inconséquente menée depuis près de deux décennies par les gouvernements successifs.

En tout cas, l’électricien public, qui a une époque pas si lointaine était le premier exportateur d’électricité en Europe et au monde et produisait une électricité abondante et bon marché qui était un des principaux atouts de l’économie française, a connu l’an dernier une année catastrophique. Elle a notamment été marquée par les déboires de son parc nucléaire affecté par des retards et des problèmes répétés de maintenance et par une contribution forcée extrêmement coûteuse au «bouclier tarifaire» des ménages Français imposé par le gouvernement pour de l’habillage budgétaire.

64,5 milliards d’euros de dettes

Résultat, le chiffre d’affaires d’EDF a certes augmenté de 70% à 143,5 milliards d’euros du fait de l’envolée des prix de l’électricité, mais le groupe affiche une perte nette abyssale de 17,9 milliards d’euros, presque l’équivalent des profits records de TotalEnergies (20,5 milliards d’euros). EDF avait dégagé en 2021 un bénéfice de 5,1 milliards. Avec la flambée générale des prix de l’électricité, EDF a vu revenir de nombreux clients français, mais n’a pas pu assez produire avec ses propres centrales dont bon nombre était à l’arrêt pour maintenance et contraint en plus de vendre une part toujours plus grande de sa production à prix cassés à ses concurrents. Une aberration concoctée en 2010 par des esprits malades à Bercy baptisée Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui a contraint le groupe a dû acheter à prix d’or de l’électricité sur les marchés… EDF a ainsi acheté l’an dernier 13,8 TWh sur les marchés de gros après avoir été vendeur net en 2021 de 69,5 TWh.

Résultat, l’endettement affiché par EDF a atteint l’an dernier un niveau record de 64,5 milliards d’euros. «Malgré une forte hausse du chiffre d’affaires soutenu par les prix de l’électricité et du gaz, l’Ebitda (marge brute d’exploitation) est fortement pénalisée par la baisse de production nucléaire ainsi que les mesures régulatoires exceptionnelles mise en place en France pour 2022, dans des conditions de marché difficiles», a expliqué le 17 février le nouveau PDG Luc Rémont, arrivé à l’automne dernier pour remplacer Jean-Bernard Lévy en conflit ouvert avec le gouvernement.

Une production au plus bas et la vente forcée d’une part toujours plus grande de celle-ci aux concurrents et à prix cassés!

Luc Rémon a confirmé par ailleurs «la fourchette de production nucléaire de 300 à 330 térawattheures (en 2023), soit une sortie progressive de la crise de la corrosion sous contrainte». Une partie du parc des 56 réacteurs nucléaires en service, les modèles les plus récents, est affectée par des microfissures découvertes sur des circuits auxiliaires au circuit primaire qui évacuent la chaleur dégagée dans le cœur du réacteur grâce à une circulation d’eau sous pression. Ces canalisations sont utilisées lors des tests de sécurité et lors d’opérations de maintenance nécessitant le refroidissement à l’arrêt du réacteur. Détecté pour la première fois en novembre 2021, ce défaut de conception qui touche les réacteurs des paliers N4 (1500 MW) et P4 (1300 MW) a entrainé l’arrêt momentané des réacteurs les plus récents et les plus puissants du parc, signant une baisse de production historique en 2022. Les réacteurs concernés le sont parce que sur ses modèles la géométrie des coudes des canalisations en acier inoxydable permettant de refroidir le réacteur a été modifiée.

Ces difficultés expliquent pourquoi l’année 2022 a vu la production électrique nucléaire française tomber à des niveaux historiquement bas en pleine crise énergétique et climatique mondiale. La disponibilité moyenne du parc de 56 réacteurs est tombée à 54% (contre 73% sur la période 2015-2019), faisant planer la menace de coupures électriques en plein hiver. Le pire a tout de même été évité grâce aux importations d’électricité, aux efforts de sobriété des Français et à la course d’EDF pour rebrancher ses réacteurs.

Pour autant, la France n’avait plus produit aussi peu de térawattheures d’origine nucléaire depuis 1988, soit 279 TWh en 2022. Pour donner un ordre d’idée, en 2005, année record, le parc nucléaire d’EDF avait produit 430 TWh. Un malheur ne venant jamais seul. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une flambée, notamment en Europe, des prix du gaz et de l’électricité dont EDF a été la victime. Pour contenir la facture des Français grâce au bouclier tarifaire, l’Etat, actionnaire majoritaire et bientôt unique, a contraint le groupe à vendre en 2022 encore davantage de sa production d’électricité, au plus bas, à bas prix à ses concurrents, fournisseurs d’électricité alternatifs. Une mesure au coût exorbitant de 8,34 milliards d’euros…

EDF doit reconstituer en urgence son potentiel financier et humain

Même Luc Rémont tout juste nommé à la tête d’EDF par le gouvernement affirmait que le système de l’Arenh est «à bout de souffle». Mais pour autant, il reconnaissait aussi qu’EDF avait besoin d’un soutien massif de l’Etat , «on ne sera pas tout seul», face à une dette abyssale et la nécessité de l’entreprise publique de reconstituer ses capacités financières, humaines et techniques pour remettre à niveau son parc nucléaire, lancer un grand programme de construction de nouveaux EPR et investir dans les renouvelables intermittents (éolien et solaire) et aussi dans les renouvelables pilotable, notamment l’hydraulique trop négligé. «L’état va nous permettre de financer les investissements et de faire face aux besoins de financement du groupe», a affirmé le 17 février Xavier Girre directeur financier d’EDF. Ces besoins sont gigantesques. Le seul coût de la construction des six EPR2 prévus aujourd’hui qui pourraient passer à quatorze est chiffré de façon optimiste à à 51,7 milliards d’euros. L’épargne des Livrets A pourrait même être sollicitée.

Luc Rémont doit présenter sa feuille de route pour redresser le groupe et en faire l’outil indispensable à la transition énergétique en France à Elisabeth Borne, la Première ministre, avant l’été. Entretemps, il risque de devoir faire face à des grèves massives dans les centrales à partir du 7 mars

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