La France devrait finalement obtenir gain de cause, en dépit de l’opposition allemande, et obtenir la reconnaissance par les institutions européennes qu’utiliser de l’électricité nucléaire décarbonée permet de produire de l’hydrogène bas carbone. Cela aura des conséquences évidemment importantes sur les conditions de financement des investissements dans les infrastructures de production d’hydrogène.
Paris et Berlin se sont à nouveau affrontés depuis des mois à Bruxelles autour du nucléaire, mais cette fois via l’hydrogène. Pour produire ce vecteur d’énergie, -comme l’électricité l’hydrogène n’est pas une source d’énergie mais un moyen de la stocker, la transporter et de l’utiliser- il y a une façon carbonée, à partir de gaz ou de charbon, et une autre décarbonée par électrolyse avec de l’électricité décarbonée. Dans ce dernier cas, on parle alors d’hydrogène vert ou durable. Il s’agit du carburant qui doit en théorie un jour remplacer une partie du pétrole, du gaz et du charbon utilisé dans l’industrie, les transports et la chaleur. L’hydrogène fabriqué par électrolyse est aussi un moyen éventuel de stocker l’électricité.
Pour fabriquer de l’hydrogène vert, il faut des quantités considérables d’électricité décarbonée
Problème, produire de l’hydrogène vert par électrolyse demande des quantités considérables d’électricité notamment parce que l’efficacité énergétique de l’opération est faible. Les capacités de production de renouvelables intermittents (éolien et solaire) seront loin d’être suffisantes et présentent par ailleurs des problèmes techniques. Les électrolyseurs qui produisent l’hydrogène fonctionnent mal quand ils ne sont pas alimentés en électricité de façon constante et soumis aux fluctuations de productions intermittentes dépendantes des vents et de l’ensoleillement.
Pour donner un ordre d’idée des besoins électriques à venir, l’Union européenne a fixé comme objectif d’avoir sur les routes d’ici 2030 cent mille camions fonctionnant avec des piles à combustible et de l’hydrogène décarboné. Au regard des trois millions de camions qui circulent en Europe, l’objectif de 100.000 camions à l’hydrogène semble raisonnable. C’est bien moins le cas quand on mesure la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter en hydrogène cent mille camions de plus de seize tonnes parcourant en moyenne 160.000 kilomètres par an. Il faudrait 92,4 TWh/an (térawattheures par an), soit quinze réacteurs nucléaires ou 910 km2 de panneaux solaires…
Un accord entre le chancelier Olaf Scholz et Emmanuel Macron «oublié» par les négociateurs allemands
L’Allemagne qui a renoncé au nucléaire et fait le pari depuis quinze ans des renouvelables intermittents, éolien et solaire, veut pourtant que seul l’hydrogène produit avec de l’électricité provenant de renouvelables soit considéré comme décarboné. Un accord avait pourtant été soi-disant trouvé entre le chancelier Olaf Scholz et Emmanuel Macron. En échange de l’acceptation comme durable de l’hydrogène fabriqué avec de l’électricité nucléaire, Paris avait accepté le projet de réseau transeuropéen de pipelines d’hydrogène entre l’Espagne et l’Allemagne passant par la France. Une annonce sur la création de ce gazoduc a été faite en octobre dernier.
Mais les négociateurs allemands à Bruxelles ont fait comme si cet accord n’existait pas… à la grande colère d’ailleurs de la ministre française de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Cette dernière avait même parlé d’une position allemande «climaticide».
La France, aux côtés de huit autre pays de l’Union Européenne (Roumanie, Bulgarie, Pologne, Slovénie, Croatie, Slovaquie, Hongrie, République tchèque), se trouvait ainsi à nouveau en opposition frontale avec l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas qui se refusaient à qualifier de «durable» l’hydrogène fabriqué avec de l’électricité nucléaire. Mais la position française semble aujourd’hui sur le point de l’emporter.
Exception à la règle pour les pays ayant une production électrique décarbonée
D’abord, le 9 février, en commission Énergie (ITRE), les eurodéputés ont entériné la définition française de l’hydrogène bas-carbone avec de l’électricité renouvelable mais aussi nucléaire. Et surtout le 10 février, la Commission est parvenue, avec plus d’un an de retard, à établir les règles définissant l’hydrogène durable. Le document n’a pas encore été publié officiellement, mais il ne devrait plus être modifié. La Commission a fixé deux critères. D’ici 2030, la production d’hydrogène doit être alignée sur la production d’électricité renouvelable sur une base horaire. Jusque-là, le lien doit être établi sur une base mensuelle. D’ici 2028, les producteurs d’hydrogène devront prouver que leurs électrolyseurs sont connectés à des installations d’énergie renouvelable datant de moins de 36 mois.
Mais, il y a une exception de taille. Les pays ayant un mix électrique bas carbone seront exemptés de ses règles. Selon Euractiv, l’exception s’appliquera tant que la production d’électricité d’un pays émettra moins de 65 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure. Et parmi les 27 pays de l’Union Européennes, seuls la France et la Suède répondent à ce critère en ayant une production d’électricité très majoritairement nucléaire et hydraulique.
Enfin, tous les critères imposés aux producteurs européens s’appliqueront également à l’hydrogène importé de l’étranger, une autre victoire pour la France qui a lutté contre la pression de Berlin pour imposer des critères plus souples à l’hydrogène importé.