L’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait qualifié dans une étude publiée en juin 2021 l’hydroélectricité de «géant oublié» qu’il était indispensable de réveiller pour permettre à de nombreux pays de tenir leurs objectifs de neutralité carbone. Un an et demi plus tard, une étude publiée par le journal Nature Water va encore plus loin. Elle souligne que le potentiel de développement d’infrastructures hydroélectriques avec des critères environnementaux stricts est bien plus important que ce qui est estimé.
Les possibilités sont considérables notamment en Asie et en Afrique. En Afrique, où l’hydroélectricité est aujourd’hui très peu développée, «la plupart des pays» pourraient répondre à leurs besoins actuels en électricité en développant ce potentiel.
Des avantages importants par rapport à l’éolien et au solaire
L’hydroélectricité est de loin la source d’énergie renouvelable la plus développée dans le monde. Elle offre des avantages considérables notamment par rapport à l’éolien et au solaire intermittents. Elle assure des puissances importantes et n’est pas intermittente. Elle permet de stocker l’énergie. Pour autant, elle ne bénéficie pas des faveurs des investisseurs, des gouvernements et des écologistes. Son développement est entravé par l’importance des investissements à mobiliser et les conséquences de la construction de barrages et de réservoirs sur les populations, sur la géographie et sur la faune et la flore.
Les projets de barrages se heurtent à de nombreuses oppositions locales et ne sont pas ou peu soutenus par des lobbys politiques et économiques contrairement à l’éolien par exemple…. Pourtant, ils offrent une source d’électricité décarbonée abondante, fiable et compétitive. Il s’agit en outre d’investissements réalisés pour de très nombreuses décennies. Ils devraient être prioritaires dans la transition énergétique et montrent comment les stratégies dans ce domaine sont peu rationnelles.
L’hydroélectricité fournit près d’un sixième (15%) de l’ensemble de la production d’électricité dans le monde (12% en France), ce qui en fait la troisième source après le charbon et le gaz naturel. Elle représente 54% de l’électricité renouvelable produite dans le monde et 3% de l’énergie primaire. Elle répond à plus de 50% de la consommation nationale d’électricité dans 35 pays dont 28 dits émergents dont les populations cumulées représentent 800 millions d’habitants.
Une étude de 2,89 millions de cours d’eau
L’étude de Nature Water a analysé le potentiel hydroélectrique non utilisé à ce jour de pas moins de 2,89 millions de cours d’eau en s’appuyant sur des données relatives à l’hydraulique mais aussi aux variables démographiques et environnementales. «Pour éviter des emplacements sensibles, nous avons appliqué des critères stricts afin de limiter les impacts environnementaux et sociaux», explique les auteurs.
De nombreux emplacements ont ainsi été éliminés par principe: zones protégées et réservoirs de biodiversité, forêts, régions sujettes aux tremblements de terre ou fortement peuplées… Tout projet nécessitant le déplacement de plus de 50.000 personnes a été éliminé d’office. Les projets envisagés doivent aussi pouvoir maintenir l’intégrité des écosystèmes des rivières et la disponibilité en eau.
Les chercheurs concluent que le potentiel pour de nouveaux projets hydroélectriques rentables et respectueux de critères environnementaux stricts représente 5,27 pétawattheures par an (PWh), soit 5.270 TWh le cinquième de la consommation mondiale actuelle. L’Asie et l’Afrique représentent 85% du potentiel identifié, avec respectivement 3,9 PWh et 0,6PWh, avec d’importantes possibilités notamment autour de l’Himalaya.
Moderniser les installations existantes dans les pays développés et en France
Et il existe encore un potentiel, plus limité, dans les pays développés, d’amélioration notamment des équipements existants. En Amérique du nord, les barrages ont en moyenne 45 ans et en Europe près de 50 ans. D’ici 2030, plus de 20% des installations auront plus de 55 ans, un âge qui nécessite le remplacement des équipements lourds électromécaniques.Cela offre une excellente opportunité pour améliorer les performances et la marge est grande. Le dernier projet de modernisation a été inauguré à la fin de l’année 2020 par EDF. Il s’agit du barrage de Romanches-Gavet, en Isère, entré en service après dix ans de travaux. Il peut assurer la consommation en électricité de 230.000 personnes. Il s’agit du plus grand barrage souterrain de France avec une galerie de 10 kilomètres creusée dans la montagne, l’équivalent du tunnel du Mont-Blanc. Ce chantier de 400 millions d’euros a permis de remplacer six usines et barrages vieux de plus d’un siècle. Il produit 560 GWh par an… 40% d’électricité de plus que les vieilles installations.
Et ce n’est qu’un petit exemple de ce qu’il est théoriquement possible de faire. La France compte aujourd’hui 8 STEPs ((Stations de Transfert d’Energie par Pompage) en activité, pour un total de puissance de 5.000 MW fournissant un appoint bienvenu durant les pics de consommation. Selon une étude réalisée à la fin de l’année dernière par TerraWater, il est possible d’augmenter ces capacités à 47.000 MW, et ce principalement en modernisant des installations déjà existantes!