La fabrication de nos appareils numériques a une énorme empreinte carbone

30 décembre 2022

Temps de lecture : 5 minutes
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La fabrication de nos appareils numériques a une énorme empreinte carbone

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En 2019, les quatre milliards d’utilisateurs de services numériques dans le monde possédaient 34 milliards d’appareils numériques. Le nombre d’appareils électroniques connectés à l’internet devrait atteindre 200 milliards d’unités d’ici 2030. À l’échelle mondiale, 1,43 milliard de téléphones intelligents ont été vendus en 2021. Le trafic de données numériques est passé de 100 Go par jour en 1992 à 46 000 Go par seconde en 2017, et pourrait atteindre 150 000 Go par seconde avant la fin de 2022.

La période des fêtes arrive à grands pas et vous cherchez à offrir des appareils électroniques à vos proches? Téléphones intelligents, consoles vidéos, tablettes, liseuses, montres connectées, ordinateurs, batteries externes; le moins qu’on puisse dire, c’est que les options sont nombreuses.

Mais, en tant que consommateurs de ces produits, sommes-nous vraiment conscients de l’énorme coût carbone associé à tout le cycle de vie de notre cadeau, de la fabrication, à l’utilisation et à la fin de vie de ces appareils électroniques? Dans un article publié récemment, mes collègues et moi avons montré que l’empreinte carbone associée à l’utilisation des services numériques (regarder des films et de séries en diffusion en continu, écouter de la musique, envoyer des courriels, faire des rencontres en visioconférence) est dominée par la fabrication des appareils électroniques.

En tant que chercheurs travaillant sur les impacts environnementaux des systèmes économiques, nous pensons qu’il est important d’alerter les utilisateurs de services numériques sur les enjeux associés à la production de leurs appareils électroniques. Nous fournissons également quelques trucs et astuces à celles et ceux qui souhaitent offrir un produit électronique comme cadeau.

Une production effrénée de produits électroniques et de déchets

Le trafic de données numériques est passé de 100 Go par jour en 1992 à 46 000 Go par seconde en 2017, et pourrait atteindre 150 000 Go par seconde avant la fin de 2022. La numérisation de notre société s’est également accompagnée d’une utilisation intensive d’appareils électroniques.

En 2019, les quatre milliards d’utilisateurs de services numériques dans le monde possédaient 34 milliards d’appareils numériques. Le nombre d’appareils électroniques connectés à l’internet devrait atteindre 200 milliards d’unités d’ici 2030.

La production effrénée d’appareils électroniques produite chaque année génère aussi une quantité importante de déchets électroniques à traiter en fin de vie. On estime que le monde a généré 53 millions de tonnes de déchets électroniques en 2019, dont seulement 17 % ont été recyclés. En moyenne, un Canadien génère 20 kg de déchets électroniques par an.

L’empreinte carbone des appareils électroniques

Dans un article publié récemment, nous avons créé plusieurs profils d’utilisation de services numériques (intensif, modéré et consciencieux) afin de comparer l’empreinte carbone des utilisateurs en fonction d’un certain nombre de paramètres. On parle notamment du nombre d’appareils électroniques achetés, le modèle et le temps que les consommateurs décident de les garder.

Uniquement à cause de la fabrication des appareils électroniques, l’empreinte carbone varie de 90 kg à 327 kg d’éq. CO₂ par an.

Pour mettre ces chiffres en perspective, il suffit de les relativiser par rapport au budget carbone disponible pour chaque habitant de la terre (2,1 t éq. CO₂ par an) afin de respecter les accords climatiques. À titre comparatif, les émissions par personne des Québécoises et Québécois représentent en moyenne près de 10 t éq. CO₂ par an. On estime ainsi que le poids annuel de la fabrication des appareils électroniques dans le budget carbone des utilisateurs varie entre 4 % (utilisateur consciencieux) à 16 % (utilisateur intensif).

Empreinte carbone de la fabrication des appareils électroniques en fonction des profils des utilisateurs. (Luciano Rodrigues Viana), Fourni par l’auteur.

Le budget carbone des utilisateurs peut être encore plus compromis lorsqu’on y ajoute la consommation d’électricité des appareils électroniques. Un utilisateur intensif en Alberta consommerait ainsi 25 % de son budget carbone (électricité très carbonée). Ces chiffres s’élèvent à 17 % pour le même profil d’utilisation au Québec (électricité bas carbone).

N’oublions pas qu’il faut également ajouter à ce budget carbone ce que nous mangeons, les transports que nous utilisons, nos vacances, nos voyages d’affaires, nos vêtements, le chauffage de notre maison, et j’en passe. Bref, vous avez compris que chaque choix de consommation est important dans l’équation de notre budget carbone, budget que nous souhaitons respectueux des objectifs climatiques mondiaux.

À la lumière de ces résultats, acheter moins de produits électroniques et surtout prolonger leur durée de vie sont les deux actions les plus efficaces pour réduire l’empreinte carbone des utilisateurs des services numériques.

Bien que cette solution semble triviale, l’obsolescence technologique rapide et les pressions sociales incitent les utilisateurs à acheter régulièrement de nouveaux appareils électroniques au lieu de les conserver plus longtemps.

Aux États-Unis, par exemple, les téléphones intelligents sont remplacés, en moyenne, après 2,75 ans d’utilisation. À l’échelle mondiale, 1,43 milliard de téléphones intelligents ont été vendus en 2021. Ces chiffres renforcent la nécessité d’une utilisation plus raisonnée des produits numériques.

D’où provient cette empreinte carbone aussi élevée ?

L’impact carbonique élevé des produits électroniques provient notamment de la production de cartes et de composants électroniques de puissance et de contrôle, ainsi que de la production d’écrans pour les produits concernés.

L’extraction et la transformation de minéraux indispensables à la fabrication des produits électroniques (or, argent, cuivre, cobalt, lithium, terres rares et autres) nécessitent une grande quantité d’énergie.

En outre, la production de composants et l’assemblage de produits finis sont en grande partie réalisés en Chine (61 % de la production du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour 2015), où la production d’électricité est très carbonée.

Empreinte carbone de la fabrication de certaines marques et modèles de téléphones intelligents. Le transport, l’utilisation et les étapes de fin de vie ne sont pas inclus dans l’évaluation. (Luciano Rodrigues Viana), Fourni par l’auteur.

Au-delà de la culpabilisation des utilisateurs des TIC

Si l’action individuelle peut réduire notre empreinte écologique liée à la fabrication des appareils électroniques, elle est largement insuffisante pour l’émergence d’une industrie numérique compatible avec les limites planétaires. Les États et les entreprises ont donc un rôle fondamental à jouer.

Les gouvernements doivent, entre autres, créer des lois pour lutter contre le gaspillage de ressources matérielles et énergétiques. Par exemple, exiger que les fabricants des produits électroniques affichent le niveau de réparabilité de leurs produits et même interdire la commercialisation des produits non réparables et non recyclables.

Les entreprises doivent d’adopter des modèles économiques cohérents avec les enjeux environnementaux et sociaux de notre époque.

Aujourd’hui, le modèle économique utilisé par la plupart des fabricants des appareils électroniques est largement basé sur l’obsolescence programmée (technique, esthétique et logicielle). En d’autres mots, c’est une stratégie qui vise à créer, chez les consommateurs, un besoin constant l’amenant à racheter de nouveaux biens.

Ces pratiques sont vraisemblablement en contradiction avec les efforts actuels pour développer une industrie numérique cohérente avec une trajectoire de neutralité carbone.

Offrir des produits numériques

Si vous tenez absolument à offrir des produits électroniques à vos proches, n’oubliez pas de considérer au moins trois aspects dans votre décision.

En premier lieu, assurez-vous que votre cadeau sera réellement utilisé. Il est dommage de mobiliser autant de matières premières et d’énergie pour fabriquer des appareils qui seront très peu, voire jamais utilisé. L’empreinte carbone d’une liseuse, par exemple, est amortie entre 50 et 100 livres lus. Ainsi, pour une personne qui lit, disons cinq livres par an, il faut garder la liseuse de 10 à 20 ans pour que chaque livre électronique supplémentaire ait moins d’impact carbone que le format papier.

Deuxièmement, achetez de préférence des produits reconditionnés. Par exemple, en moyenne, un téléphone intelligent reconditionné est jusqu’à 8 fois moins impactant pour l’environnement que le neuf (82 kg de matières économisées et 87 % de gaz à effet de serre en moins). C’est bon pour la planète, mais aussi pour le porte-monnaie !

Enfin, cherchez des informations environnementales et sociales sur les produits que vous souhaitez acheter. Il faut choisir ceux qui sont plus facilement réparablesefficaces d’un point de vue énergétique, émettent moins de carbone et fabriqués dans le respect des droits de l’humain.

La prochaine fois que quelqu’un vous offrira un produit électronique, vous saurez désormais qu’il a un impact très important sur la planète. Assurez-vous au moins de lui donner la plus longue vie possible!

Luciano Rodrigues Viana Doctorant en sciences de l’environnement, Département des sciences fondamentales, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Jean-François Boucher Professeur, Eco-consulting, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Mohamed Cheriet Full Professor, System Engineering Department & General Director, CIRODD: Interdisciplinary Research Centre on the Opérationnalisation of Sustainability Development, École de technologie supérieure (ÉTS)

Cet article est republié à partir de The Conversation Canada sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.

 

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