Le chantier de l’EPR de Flamanville est sans doute l’échec le plus cuisant d’EDF et de la filière nucléaire française dans son ensemble. On peut parler d’une malédiction marquée par une succession presque ininterrompue de problèmes techniques. Affaiblie par les désinvestissements, l’incapacité à gérer un chantier de cette taille et à remplacer et renouveler les équipes et les compétences, l’industrie nucléaire française, qui était un modèle à la fin du siècle dernier, a multiplié à Flamanville les erreurs, les malfaçons, les errements. Dernier épisode en date, l’annonce le 16 décembre d’un report de six mois de l’entrée en service du réacteur du fait de la révision de procédures de traitement de soudures …
Le retard atteint maintenant 12 ans par rapport au calendrier initial et le coût de construction du réacteur a encore augmenté de 500 millions d’euros pour atteindre officiellement 13,2 milliards d’euros. Le chantier a été lancé en 2007 et son coût était estimé alors à 3,3 milliards d’euros…
Des problèmes sur la quasi-totalité des équipements majeurs
A Flamanville, des problèmes graves ont été détectés sur la quasi-totalité des équipements majeurs: cuve du réacteur, béton des enceintes et circuits de refroidissements et sur de multiples soudures. Si des EPR conçus en France et avec des équipements fabriqués en France fonctionnent, c’est en Chine avec les réacteurs Taishan 1 et Taishan 2, lancés après Flamanville et finis bien avant, et le prototype finlandais Olkiluoto qui lui non plus n’a pas été épargné par les retards, les malfaçons et les surcoûts.
Dans un reportage publié en 2020 dans le magazine Transitions & Energies, des ingénieurs présents à Flamanville reconnaissaient, sous le couvert de l’anonymat, les innombrables problèmes de ce chantier. «Les EPR en Chine et en Finlande sont nickels. Les chantiers propres, organisés… à Flamanville c’est sale, chaotique… Des centaines de malfaçons et de non-conformités ont été détectées… Bien plus que sur les réacteurs et les centrales fabriquées dans le passé. L’EPR est le réacteur le plus sûr au monde mais compte tenu de la mauvaise qualité générale du travail effectué, le sera-t-il vraiment? À part le primaire [tout ce qui concerne le réacteur] Flamanville a été mal fabriqué par des équipes manquant de savoir-faire, d’expérience, de rigueur et mal contrôlées. De nombreux sous-traitants ont travaillé comme s’il s’agissait d’une centrale thermique, incapables de faire un travail de la qualité exigée. Une qualité qui existait pourtant dans les années 1970. Certaines équipes sur le chantier ne comprenaient pas le français et les directives…».
Dans les témoignages recueillis alors, tous n’étaient pas aussi alarmistes. Certains ingénieurs soulignent le chemin parcouru. «Il faut bien se rendre compte de ce qui a été fait à Flamanville. Nous avons reconstruit en partant de presque rien la filiale nucléaire française. Elle était morte cette filière. Nous avons construit Flamanville et il fonctionnera et très bien avec des gamins de 24 ans qui sortaient de l’école. Aujourd’hui, ils ont appris de leurs erreurs et ils savent faire.» Pas tout à fait.
Un problème lié au traitement thermique des soudures
Pour en revenir, aux problèmes détectés cet été sur les soudures, il est apparu quand il a fallu procéder au traitement thermique de «détensionnement» de soudures. Le processus a fait apparaître une «non-conformité de comportement» de matériels sensibles affectés par de trop fortes températures. «Nous avions un comportement des températures des vannes non conforme à ce que l’on attendait», a expliqué Alain Morvan, le directeur du projet. «Nous avons stoppé le traitement thermique l’été dernier et repris les études pour définir une méthode, et réaliser des tests permettant de garantir le bon niveau de réalisation de ces traitements thermiques», a-t-il précisé. «Ces dossiers ont été présentés à Bureau Veritas, qui les analyse, et d’ici la fin de l’année nous aurons l’autorisation de reprendre les traitements thermiques dits «complexes»», a expliqué M. Morvan.
Le chargement du combustible est désormais annoncé pour le premier trimestre 2024. Ensuite, le réacteur enverra ses premiers électrons sur le réseau quand il aura atteint près de 25% de sa puissance, «environ trois mois plus tard», donc d’ici à la mi-2024. Mais il ne s’agira que de quelques mois de fonctionnement, de tests. Car un arrêt total du réacteur est déjà prévu pour changer, d’ici à la fin 2024, le couvercle de sa cuve qui présente des anomalies… découvertes en avril 2015.
Arrêt du réacteur peu de temps après son démarrage pour remplacer le couvercle de la cuve
Il était alors apparu que le couvercle et le fond de la cuve du réacteur, fabriquée par Creusot Forge, présentaient des défauts et recelaient des «ségrégations carbone». Cela signifie qu’ils ont peut-être des zones fragiles. La cuve est un élément très particulier d’un réacteur. C’est la seule pièce qu’on ne peut pas remplacer au cours de sa durée de vie, qui peut être de soixante à cent ans… L’acier de la cuve a une épaisseur de 33 centimètres. L’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a considéré en octobre 2017 que le couvercle «ne peut être utilisé au-delà de 2024», ce qui nécessitera son remplacement et un long arrêt du réacteur. L’Autorité avait alors fait sans doute preuve d’un excès de zèle. Pour les experts indépendants, il n’y a pas de risques avec la cuve. Mais à Flamanville, l’ASN a perdu toute confiance dans la compétence d’EDF et de la filière nucléaire française.