La multiplication depuis plusieurs années de sanctions prises contre des pays exportateurs de pétrole, de l’Iran au Venezuela en passant maintenant depuis quelques jours par la Russie afin de réduire ses capacités à financer la guerre menée contre l’Ukraine, a contribué à créer un marché très lucratif du pétrole de contrebande.
La Russie aurait d’ailleurs constitué en prévision d’un embargo annoncé en juin contre son pétrole une flotte clandestine de tankers. Cela devrait lui permettre de pouvoir vendre une partie de son pétrole hors de la contrainte d’un prix maximum de 60 euros le baril fixé depuis le 5 décembre par les pays du G7 et de l’Union Européenne. Mais surtout cela permettra aux acheteurs d’éviter d’être sanctionnés par les Etats-Unis et l’Union Européenne. Le marché européen représentait avant l’embargo environ la moitié des ventes de barils réalisées par Moscou.
Près de 200 tankers de plus de 15 ans ont changé de main en quelques mois
Selon plusieurs sources dont l’agence Reuters, entre janvier et novembre au moins 60 supertankers entrant dans la catégorie des VLCC (Very Large Crude Carriers) de plus de 250.000 tonnes, 42 tankers Suezmax (les plus importants capables de passer par le canal de Suez) de 120.000 à 200.000 tonnes, et 93 tankers Aframax (entre 80.000 et 120.000 tonnes) ont changé de propriétaires. Ces tankers avaient en général plus de 15 ans, un âge auquel normalement ils finissent à la casse. En conséquence de cet intérêt pour les vieux tankers, leur valeur a considérablement augmenté. Un Aframax de 20 ans dont la valeur moyenne était de 11,8 millions de dollars le 1er janvier 2022 vaut aujourd’hui sur le marché plus de 22 millions selon VesselsValue.
L’existence d’un marché noir du pétrole n’a rien de nouveau. Il est seulement en train de changer de dimension parce que la Russie est ou était le deuxième exportateur mondial de pétrole derrière l’Arabie Saoudite. Cela fait des années que des propriétaires de navires peu scrupuleux, des armateurs et des courtiers vendent, avec des profits considérables, du pétrole sous embargo à ceux qui sont prêts à prendre le risque de l’acheter. Les tactiques pour éviter d’être repéré sont bien rôdées. Elles consistent à falsifier l’origine du pétrole et même à cacher la position géographique réelle des tankers en piratant leur système de repérage GPS appelé Automatic Identification System (AIS).
Les raffineurs chinois indépendants ne craignent pas les sanctions
Tous les acheteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Les sociétés chinoises indépendantes de raffinerie ont moins à craindre d’éventuelles sanctions de la justice américaine et européenne que des armateurs et des courtiers importants qui ne peuvent se passer des financements et des assureurs occidentaux. D’ailleurs, la Chine, premier importateur mondial de pétrole achète depuis des années des barils iraniens et vénézuéliens à prix cassés présentés officiellement la plupart du temps comme provenant de Malaisie ou du sultanat d’Oman. Les quantités de pétrole soi-disant malaisien importé par la Chine sont telles qu’elles apparaissent à de nombreux spécialistes comme trop importantes par rapport à la production de ce pays.
Une autre enquête récente de Reuters a aussi montré que le Venezuela utilise de faux documents et des pétroliers liés à l’Iran et connus pour avoir transporté du brut iranien dans le passé. Une des méthodes utilisées pour brouiller les pistes consiste à transférer dans les eaux malaisiennes des cargaisons de pétrole d’un tanker à l’autre et à mélanger ainsi des barils iraniens et malaisiens pour rendre très difficile de retrouver leur origine et leur signature.
Cet été, un pétrolier battant pavillon russe en Méditerranée a été pris en Méditerranée en train de falsifier son système de repérage AIS selon des recherches menées par Global Fishing Watch et SkyTruth. L’enquête sur les mouvements du pétrolier russe Kapitan Schemilkin a montré que le navire avait modifié son signal pour montrer qu’il naviguait au large de la Grèce, alors qu’en réalité, le navire s’est rendu près de Malte et de Chypre. Pour SkyTruth, «cela s’avérerait être la première détection d’un pétrolier battant pavillon russe diffusant de fausses coordonnées – et ce pourrait être la première d’une longue série».
Même aux Etats-Unis, on trouve parfois des cargaisons de pétrole d’origine douteuses. L’un des cas récents révélé par l’agence Bloomberg est celui d’une offre faite à des acheteurs de la région de Houston au Texas, le cœur de l’industrie américaine du raffinage qui se trouve le long du golfe du Mexique. Le négociant Jonathan Plemel de Sidewalks Holdings a récemment proposé du brut lourd provenant soi-disant Mexique à un prix inférieur de 30 dollars le baril à celui du marché. Les acheteurs potentiels n’ont pas voulu prendre de risques et ont décliné. Jonathan Plemel a déclaré à Bloomberg qu’il n’était lui-même pas certain de l’origine du brut. «Le pétrole pourrait-il provenir de puits abandonnés au Mexique? Du Venezuela? Honnêtement, je ne peux pas le dire.»