C’est un argument classique qui revient très régulièrement dans le débat public sur le nucléaire. Nous pourrions même parler de lieu commun. Le parc nucléaire vieillit. Et, en vieillissant, il devient dangereux. Pire, nos réacteurs « auraient été conçus pour 40 ans » (sic) et leur prolongation à 50 ans serait terriblement risqué, d’après les détracteurs de l’atome.
Patatras. Le directeur général de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a détruit cet argumentaire au détour d’une table ronde il y a quelques jours.
A l’occasion de la COP27 à Sharm el-Sheikh, s’est déroulé l’événement #Atoms4Climate. L’AIEA, émanation de l’ONU dont l’existence et le rôle central sont apparus aux yeux du grand public à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et des tensions liées autour de la centrale de Zaporijjia, était bien entendu invitée à prendre la parole durant ces tables rondes.
«Le héros méconnu de la lutte contre le réchauffement climatique»
Et, interrogé par William Kennedy, journaliste de Bloomberg, Rafael Grossi, peu suspect de complaisance avec les problématiques de sécurité nucléaire, a choisi de mettre les pieds dans le plat. Le journaliste britannique lui a demandé si la plupart des centrales actuellement en activité ayant été construites dans les années 1970 et allant fêter leurs 50 ans, les discussions nationales portant sur leur prolongation d’activité à 60 voire 70 ans, cela ne posait pas des problèmes en termes de sûreté.
La réponse a été sans équivoque: «le héros méconnu de la lutte contre le réchauffement climatique est l’exploitation à long terme des réacteurs, qui consiste essentiellement à avoir, avec la moitié ou même moins de l’investissement initial, un nouveau réacteur qui sera là – vous dites 70 ans, je dis 100, vous savez, ce sera plus proche. Nous voyons aujourd’hui des réacteurs qui sont proches de 80 ans et qui sont parfaitement sûrs, ayant bénéficié d’opérations de remises en état très poussées».
Mais pour Rafael Grossi, le vieillissement ne doit en aucun cas être un prétexte pour transiger sur la sécurité. Et pour se faire, le rôle de l’AIEA est crucial: «parce que nous travaillons avec les régulateurs nationaux par le biais d’examens par les pairs très intensifs afin de nous assurer que l’exploitation à long terme vous donne un nouveau réacteur nucléaire, et pas simplement un vieux réacteur qui fonctionne plus ou moins bien».
Certaines choses restent à nuancer. En dehors de réacteurs de recherche, le plus ancien réacteur civil en activité commerciale dans le monde n’est pas proche des 80 ans. C’est un réacteur suisse, dont l’exploitation commerciale a débuté en 1969. Celui-ci n’a donc soufflé que 53 bougies récemment.
Aligner les exigences de sécurité des réacteurs de 2ème génération sur celles de la 3ème génération
Les propos de Rafael Grossi sur «les opérations de remises en état très poussées» ne peuvent que faire écho aux travaux en cours sur les 56 réacteurs français. Il a été décidé en 2014 d’opérer ce qu’on appelle vulgairement le «grand carénage». Derrière ce terme se cache la plus grande opération de modernisation au monde touchant l’intégralité du parc nucléaire français. Il a ainsi été décidé, simultanément aux modernisations liées à la prise en compte du retour d’expérience de l’accident de Fukushima, de moderniser en profondeur les réacteurs de deuxième génération en fonctionnement afin d’aligner leurs exigences sur la 3ème génération.
En pratique, cela implique, de façon non exhaustive, le changement des générateurs de vapeur, l’installation de diesels d’ultime secours (DUS) afin de palier à une éventuelle coupure de l’alimentation électrique, de fosses à corium afin d’éviter une éventuelle pollution en cas de fusion du cœur, la création de poste de contrôle de crise dans un bâtiment séparé pour palier à la destruction potentielle de la salle de contrôle principale…
Pour résumer, il s’agit de transformer d’ici 2025 les 56 réacteurs historiques français de deuxième génération en réacteurs de 3ème génération avec un niveau de sûreté équivalent à celui d’un EPR.
A l’origine, en partie, du nombre élevé d’arrêts de réacteurs en ce moment
Ce chantier titanesque et unique au monde, n’en déplaise à ceux qui pensent que la France délaisse son nucléaire, est en partie, à l’origine du nombre élevé d’arrêts de tranche en ce moment.
Son coût a été réévalué en 2022 à 49,4 milliards d’euros, et il vise à prolonger l’espérance de vie du parc à 60 ans. C’est en tous cas l’objectif assumé par EDF.
Pourrait-il permettre, sous réserve de futures améliorations, de faire de nos réacteurs de vénérables centenaires avec des exigences de sécurité toujours aussi strictes? Ce serait une excellente nouvelle pour notre sécurité d’approvisionnement, pour les finances… et pour le climat.
Philippe Thomazo