La densification des villes est bonne pour l’environnement… et l’économie

8 novembre 2022

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La densification des villes est bonne pour l’environnement… et l’économie

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L’humoriste Alphonse Allais proposait de mettre les villes à la campagne. Mais étaler les villes présente de nombreux inconvénients en terme environnementaux et économiques. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut les densifier. Ce qui n’est pas forcément ce que souhaitent leurs habitants.

C’est payant pour une ville de se densifier, à condition que cette densification soit planifiée et adaptée à chaque contexte territorial.

La transformation des milieux urbains en espaces plus compacts de vie, de travail et de loisirs peut suivre des trajectoires très différentes d’une ville et d’un quartier à l’autre – en fonction de leurs caractéristiques actuelles, leur rythme de croissance démographique et leurs ambitions. Il existe de nombreux exemples innovants de densification pour des grandes villescomme Québec et Montréal, mais aussi pour des villes de taille moyenne et de petites villes avec des choix d’aménagement, de design et d’architecture potentiels de grande qualité très diversifiés.

Les arguments les plus populaires en faveur des villes plus compactes sont généralement environnementaux : soutenir des mesures de densification serait une façon efficace pour les États d’accélérer la réduction des émissions de GES sur leur territoire. En effet, les villes étalées, peu denses et compartimentées seraient propices à une consommation individuelle élevée de ressources, d’énergie et d’espaces menant à un niveau élevé d’émissions de GES nationales.

Mais à ces arguments environnementaux en faveur de la densification s’ajoute une série d’arguments économiques, que l’on attribue entre autres aux économies d’agglomération. On parle ici des profits et des gains de productivité dont les entreprises, les commerces et les consommateurs bénéficient en étant regroupés dans un même lieu.

Professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal, mes recherches portent entre autres sur les indicateurs de développement durable des villes et des régions.

Des sources de revenus plus diversifiées et pérennes pour les villes

D’abord, contrairement à la construction de simples tours à logements sur un terrain aléatoire en périphérie de la ville, le développement de quartiers mixtes de haute qualité contribue à rendre la ville plus attractive auprès de futurs citoyens. Ces derniers sont en effet prêts à payer plus cher pour bénéficier de localisations centrales caractérisées par la qualité des espaces de bureaux, des cafés, des commerces et des services, par exemple. Et cette attraction permet à la ville de bénéficier d’un bassin plus important de contribuables.

Ensuite, lorsqu’elle est bien planifiée, la densification suivant une approche axée sur la mixité rend également la ville plus attractive à des entreprises et des commerces de biens et de services spécialisés et de meilleure qualité. Ceci permet à la ville de bénéficier de revenus fiscaux provenant de diverses sources directes (bureaux, commerces) et indirectes (utilisation plus fréquente des services publics). La densification pourrait ainsi faire partie d’un cocktail de solutions au besoin manifesté par de nombreuses villes de trouver de nouvelles sources de revenus.

Finalement, comme la majorité de la croissance démographique dans le monde se produira dans les villes de petite et moyenne taille selon les estimations du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), ces milieux urbains de plus en plus convoités seront un jour inévitablement saturés. Ce n’est qu’une question de temps.

En commençant à mieux organiser et préparer le territoire dès maintenant, les villes éviteront de subir ce flux démographique et pourront plutôt planifier une offre urbaine continue en fonction de la demande sur un horizon de long terme. En d’autres termes, elles bénéficieront de nouvelles opportunités de revenu sur une plus longue période de temps qu’une ville qui aura rapidement atteint son niveau de saturation par manque de planification de l’occupation future du territoire.

Diminution des dépenses publiques

En étant plus compactes, les villes économisent sur leurs dépenses. Il est certain qu’il est plus facile de construire sur des territoires encore vierges pour les promoteurs immobiliers. Mais pour les villes, ce type de construction implique l’ajout d’infrastructures, d’équipements et de services qu’elles auraient pu épargner en encourageant la densification des espaces déjà desservis par de tels dispositifs. Ces dépenses additionnelles peuvent atteindre jusqu’à 60 % des coûts d’opération des services existants dans les pays industrialisés.

Il s’en suit alors un cercle vicieux : les logements construits à l’extérieur de la ville finiront à long terme par créer une plus grande demande en transport, qui générera à son tour plus de congestion urbaine, obligeant la construction de nouvelles routes dont le potentiel sera rapidement atteint. Et c’est sans parler de la prise en charge de nouvelles dépenses d’entretien et d’opération des services municipaux, qui crée une augmentation inévitable des frais et des taxes afin de couvrir ces nouvelles dépenses.

Soutien au développement économique local et régional

Finalement, lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie de développement urbain et régional plus large, la densification des espaces déjà urbanisés devient un vecteur de développement économique et de qualité de vie.

De nombreuses municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal peuvent en témoigner, avec des développements de quartiers mixtes autour des stations de transport collectif. En devenant plus denses, elles comptent davantage d’entreprises et de commerces qui pourront bénéficier d’un bassin plus large de consommateurs potentiels. Ces entreprises et ces commerces créent à leur tour des emplois pour la main-d’œuvre locale ou en attirent sur leur territoire.

Plus d’emplois diversifiés signifient plus de possibilités pour les jeunes aux compétences et aux ambitions variées de trouver du travail à une distance raisonnable de leur domicile, ce qui leur permet de participer activement à l’économie locale.

Le cycle se poursuit, puisqu’avec plus de contribuables et d’entreprises sur leur territoire, les villes bénéficient de revenus plus substantiels provenant des taxes pour financer les travaux publics, les infrastructures et les services. Elles deviennent aussi susceptibles de disposer d’un plus large éventail d’offres culturelles, ce qui attire à la fois les touristes et des résidents potentiels.

En somme, densifier ne signifie pas condenser plus de personnes dans un espace plus restreint. Il s’agit plutôt de tirer parti de tout l’espace urbain déjà disponible et de l’utiliser de façon créative et innovante en anticipant les besoins sociaux et économiques ainsi que les préoccupations environnementales à court, moyen et long terme.

C’est aussi ça, un développement urbain durable.

Juste Rajaonson Professeur en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation Canada sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.

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