Si entre, la France et l’Allemagne, les relations en matière d’énergie sont particulièrement difficiles tant les stratégies et intérêts sont divergents, la France vient de conclure un accord inattendu avec l’Espagne et le Portugal. Cela permet de mettre fin à un différend devenu de plus en plus problématique.
A l’origine de la brouille, le projet MidCat (abréviation de Midi-Catalogne). Né en 2003, il avait pour but de relier les réseaux gaziers français et espagnols, qui actuellement ne sont connectés que par deux gazoducs de faible capacité dans le pays basque.
Revenu sur le devant de la scène récemment avec la crise gazière, l’objectif était plus largement de permettre aux deux pays de la péninsule ibérique de rentabiliser leurs terminaux méthaniers (six en Espagne et un au Portugal), investissements lourds largement sous-utilisés, et d’approvisionner le centre de l’Europe, à commencer par l’Allemagne. Espagne et Portugal hébergent 34% de la capacité de regazéification de l’Union européenne et 45% de la capacité de stockage de gaz liquide dans six sites souterrains et des cuves.
Refus français catégorique
L’Allemagne voyait dans MidCat un moyen de remplacer une partie du gaz russe en important le GNL (Gaz naturel liquéfié) déchargé en Espagne à travers la France. La France, elle, n’y trouvait pas vraiment d’intérêt. Cela priverait de débouchées ces propres terminaux de GNL et pourrait remettre en cause la construction d’un quatrième terminal méthanier au Havre.
«Je ne suis pas convaincu qu’on ait besoin d’interconnexion gazière» avait déclaré Emmanuel Macron au chancelier allemand Olaf Scholz, puis «je ne comprends pas pourquoi on sauterait comme des cabris pyrénéens sur ce gazoduc» en direction du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez.
Tout cela avant un revirement spectaculaire et l’annonce en marge d’un sommet européen consacré à la crise énergétique d’un accord entre la France, l’Espagne et le Portugal sur la création d’une autre interconnexion, gazière dans un premier temps et d’hydrogène vert… un jour. Un tracé alternatif a été proposé et va être soumis à une étude. Exit la traversée des Pyrénées, celui-ci, dénommé BarMar (Barcelone-Marseille), serait un trajet sous-marin entre comme son nom l’indique Barcelone et Marseille.
Effet d’annonce et réalité
Toujours pour répondre à la demande française de privilégier les interconnexions électriques, le projet «Golfe de Gascogne» a été réaffirmé comme étant une priorité. Ces quatre câbles principalement sous-marins délivrant 2.000 mégawatts de puissance devraient relier en 2027 Bilbao à Bordeaux. Ce qui reviendrait à presque doubler la capacité d’interconnexion avec l’Espagne, aujourd’hui de 2.800 mégawatts.
Maintenant, au-delà de l’effet d’annonce, de nombreuses questions restent sans réponse sur la partie gazière. Tout d’abord, et c’est étonnant, l’absence de l’Allemagne dans l’accord. Si MidCat était fortement plébiscité par le chancelier allemand, celui-ci est absent des négociations autour du projet alternatif. Or l’Allemagne serait logiquement le principal débouché et bénéficiaire de cette nouvelle infrastructure.
De plus, il est annoncé que cette nouvelle connexion, qui devrait voir le jour autour de 2030, devrait être principalement conçue pour transporter de l’hydrogène vert et seulement à titre «d’énergie temporaire et provisoire», du gaz fossile. Mais la production d’hydrogène vert n’en est qu’à ses premiers balbutiements en Europe, et l’idée que, dans seulement 8 ans, celle-ci soit suffisante en Espagne et au Portugal pour l’exporter vers la France et l’Allemagne laisse dubitatif. Même la faisabilité technique d’un transport de ce vecteur énergétique par pipeline reste encore, aujourd’hui, soumise à interrogations.
L’hydrogène vert pourrait bien être avant tout du green washing pour habiller le projet et lui permettre de bénéficier de crédits européens. Dans les faits, cette nouvelle liaison sera dans un premier temps surtout utile pour irriguer l’Europe du GNL débarqué en Espagne et au Portugal. Prochaine étape, le 9 décembre à Alicante entre la France, l’Espagne et le Portugal afin de finaliser le projet.
Philippe Thomazo