L’État détient aujourd’hui un peu plus de 84% du capital EDF et pour détenir totalement le contrôle de l’entreprise a annoncé mardi 19 juillet son intention de lancer une offre publique d’achat (OPA) sur les actions restantes. L’opération devrait coûter 9,7 milliards d’euros et donnera ensuite les coudées franches à l’Etat pour gérer et restructurer sa dette et lui donner les moyens financiers et industriels de devenir l’outil de la transition énergétique en France et de relancer un programme de construction de réacteurs nucléaires.
«Cette opération donne à EDF les moyens nécessaires pour accélérer la mise en oeuvre du programme de nouveau nucléaire voulu par le président de la République, et le déploiement des énergies renouvelables en France», a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, cité dans le communiqué de Bercy.
12 euros par action
L’énergéticien public sortira ainsi de la cote 17 ans après une entrée en Bourse en fanfare marquée par une valorisation très élevée d’une entreprise que l’Etat n’avait pas encore lourdement pénalisé et affaibli. La renationalisation a été annoncée le 6 juillet par la Première ministre Élisabeth Borne, dans son discours de politique générale.
Avec l’OPA, le gouvernement a choisi la voie la plus simple au lieu de faire voter une loi de nationalisation qui aurait contraint les actionnaires à céder leurs titres et aurait été une première depuis 1981. Il aurait aussi fallu obtenir une majorité pour cela à l’Assemblée nationale.
L’OPA sur les 15,9% du capital côtés en Bourse se fera sur la base d’une offre de 12 euros l’action. Ce prix représente une prime de 53% sur le cours relevé la veille de l’annonce de la renationalisation. C’est aussi une hausse de 34% par rapport à la moyenne des cours de des douze mois précédents, souligne Bercy. L’État prévoit par ailleurs de proposer 15,64 euros par obligation convertible OCEANE.
Évidemment, les salariés actionnaires ne sont pas satisfaits de l’offre, notamment par rapport au prix d’introduction en Bourse… il y a 17 ans. A savoir 32 euros pour les particuliers et 25,60 euros pour les salariés. Etre actionnaire aux côtés de l’Etat est rarement une bonne chose. «Le prix de 12 euros par action nous apparaît clairement insuffisant, notamment au regard de ceux qui ont souscrit en 2005 et qui ont conservé leur action», a déclaré Energie en actions, une association qui représente des actionnaires salariés.
Toujours mardi 19 juillet, EDF a réuni son conseil d’administration afin de créer un «comité ad hoc», constitué de quatre administrateurs dont un élu par les salariés. Ce comité sera chargé d’émettre une recommandation sur le niveau de l’offre, et trouver un expert indépendant. Sur cette base, le conseil émettra un avis motivé.
Une accumulation de déboires et une dette insupportable
Le gouvernement déposera son offre d’ici début septembre auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF), avec pour ambition de terminer l’opération fin octobre. Mais il devra tout de même en passer par le Parlement qui devra voter les crédits nécessaires à l’OPA, dans la loi de finances rectificative pour 2022. Ce texte est en cours d’examen devant l’Assemblée nationale.
La cotation d’EDF, suspendue le 13 juillet le temps que le gouvernement précise ses intentions, a repris mardi 19 juillet et le cours a rapidement convergé vers les 12 euros.
EDF accumule les déboires depuis de nombreuses années plombé par des moyens financiers et humains insuffisants et par des injonctions contradictoires de l’Etat qui ne lui donne pas les moyens de remplir ses missions et le contraint, par exemple, à vendre à perte une partie de sa production électrique pour créer une concurrence totalement artificielle.
Illustration, les performances industrielles d’EDF sont devenus catastrophiques. Le seul réacteur EPR de nouvelle génération construit en France par EDF, à Flamanville, accumule les retards (plus de dix ans), les malfaçons et les surcoûts. Plus de la moitié des 56 réacteurs du parc nucléaire français actuel est aujourd’hui à l’arrêt à la fois pour des opérations de maintenance qui n’ont cessé de prendre du retard et à al suite également de la découverte préoccupante ou de problèmes de corrosion sur un certain nombre de circuits critiques.
Un vaste chantier
En outre, l’entreprise est affaiblie par une dette qui pourrait atteindre plus de 60 milliards d’euros fin 2022. EDF a vu la dégradation de sa situation financière s’accélérer avec la décision du gouvernement de lui faire payer une partie du soutien au pouvoir d’achat des ménages frappés par la hausse des prix de l’énergie en contraignant l’entreprise à vendre encore de plus grande quantités d’électricité à perte à ses concurrents.
La nationalisation ne sera donc que la première étape d’un vaste chantier qui va nécessiter des investissements publics et privés considérables et un changement d’équipe de direction. L’Etat va ainsi lancer rapidement le processus de succession à la tête de l’entreprise, pour remplacer Jean-Bernard Lévy, l’actuel Pdg du groupe dont le mandat arrive à échéance en mars 2023.
Pour donner un ordre d’idée de ce qui attend l’énergéticien public. Il va lui falloir prolonger la vie de réacteurs vieillissants de plusieurs dizaines d’années et être capable dans le même temps fabriquer d’ici 2050 de 6 à 14 réacteurs de nouvelle génération (EPR II). Et sans doute plus. Il faut aussi que des investissements estimés à plus de 200 milliards d’euros dans les quinze prochaines années puissent en partie être financés par des capitaux privés, ce que la décision de qualifier de «durable» l’énergie nucléaire par les institutions européennes va faciliter.