Il va falloir se préparer à de sérieuses restrictions d’électricité. La situation de l’appareil de production était déjà préoccupante avant la «découverte» de problèmes de corrosion sur un nombre important de réacteurs nucléaires et avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Autant dire qu’elle s’est considérablement aggravée et cela signifie deux choses. Les capacités de production d’électricité en France se sont encore réduites et la possibilité d’avoir recours, pour compenser, à des importations de nos voisins européens de plus en plus incertaines. Ce n’est pas pour rien si pour compenser le manque de gaz livré par la Russie, l’Allemagne et d’autres pays européens, y compris la France, vont recourir de façon bien plus importante aux centrales au charbon.
RTE met en garde depuis des années… en vain
Pour en revenir aux capacités de production purement françaises, cela fait déjà plusieurs années que RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, met en garde sur les risques grandissant de pénuries d’électricité et de coupures du courant en France du fait de l’insuffisance des capacités de production. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir prévenu et de ne pas avoir ainsi montré qu’il ne pouvait être tenu responsable de la situation… Mais personne au gouvernement n’a vraiment écouté.
RTE estimait bien avant la guerre en Ukraine et la découverte de problèmes de corrosion sur plusieurs réacteurs nucléaires que le risque de pénurie est important tous les hivers au moins jusqu’en 2024… Et sans doute au-delà. Un constat partagé par France Stratégie à l’échelle de l’Europe qui considérait il y a un peu plus d’un an que compte tenu des politiques énergétiques suivies, privilégiant les énergies renouvelables intermittentes (éoliennes et panneaux solaires), la situation ne pouvait qu’empirer d’ici 2030.
Interrogé il y a quelques jours sur TF1, RTE a rappelé cette réalité. «Nous avons, depuis plusieurs années, annoncé qu’une série d’hivers, de 2018 à 2024, seraient délicats (…) Nous nous trouvons dans une période charnière, marquée par une série d’événements à gérer –la fermeture des centrales au fioul et à charbon, celle de Fessenheim [les deux réacteurs nucléaires]–, mais aussi le retard quant au développement d’autres modes de production ».
EDF à la dérive
Et ce n’est qu’une partie du problème. Les multiples difficultés et désorganisations d’EDF concernant la maintenance de son parc nucléaire ont des effets dévastateurs. Les reports des opérations de maintenance des centrales, du fait de la pandémie, mais pas seulement, les graves problèmes de corrosion sur certains réacteurs, ou encore les retards répétés de la mise en service de l’EPR de Flamanville ont considérablement réduit les capacités de production du pays. Le mois dernier, pas moins de 29 des 56 réacteurs en exploitation étaient à l’arrêt… La production d’électricité en France provient en moyenne à 70% des centrales nucléaires. Faut-il encore que les centrales ne soient pas mises à l’arrêt par précautions.
La production d’électricité nucléaire est aujourd’hui en France à son plus bas niveau depuis 1993 à moins de la moitié de son potentiel de 61,4 gigawatts. Même si quelques réacteurs redémarrent d’ici la fin de l’année, la capacité de production devrait être inférieur d’au moins 25% à ce qu’elle est habituellement à cette période de l’année.
Et les renouvelables ne pourront pas compenser. En 2020, ils ont participé à hauteur de 26,9% à la couverture de la consommation d’électricité de France métropolitaine, l’essentiel provenant de l’hydroélectrique. Les capacités installées éoliennes et solaires augmentent certes, mais avec le sérieux inconvénient d’être aléatoires et intermittentes. Par définition, les journées sont plus courtes et l’ensoleillement plus faible en hiver, voilà pour le solaire. Et les conditions de vent sont difficiles à prévoir.
Des délestages tournants, comme dans les pays en développement
Conséquence, l’hiver sera un moment difficile à passer. S’il fait froid, il faudra jouer sur deux leviers: à savoir la qualité du courant, via une baisse de la tension, et la quantité avec des effacements de certains sites industriels durant les pointes. S’il fait très froid, ce qui reste d’être le cas aussi dans une bonne partie de l’Europe, on peut alors craindre des délestages tournants, comme dans les pays en développement… Cela signifie que les groupes électrogènes fonctionnant au gazole, des usines, des hôpitaux, des data centers, pourraient bien être contraints de prendre le relais. EDF réfléchit même à la mise en place de systèmes de groupes électrogènes mobiles pour approvisionner certains centres de population.
Dire qu’il y a deux décennies, EDF était le premier exportateur d’électricité au monde. C’était avant que par désinvolture, par lâcheté et par des calculs politiciens, les gouvernements successifs privent l’énergéticien public d’une bonne partir de ses moyens financiers et humains.