<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Europe s’est mise entre les mains de la Russie par «cupidité»

27 mai 2022

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Photo : EU Commissioner for Competition, Danish, Margrethe Vestager
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L’Europe s’est mise entre les mains de la Russie par «cupidité»

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En matière de souveraineté, qu'elle soit énergétique vis-à-vis de la Russie ou pour les métaux stratégiques de la transition vis-à-vis de la Chine, la Commission Européenne est un modèle d'hypocrisie. Elle reproche, par la voix de la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, aux entreprises et aux Etats, les conséquences de ses propres erreurs stratégiques. Et elle persiste par ailleurs dans ses errements, d'une part en refusant de développer l'extraction minière sur le sol européen, et de l'autre en ne voulant pas entendre parler de réforme du fonctionnement pourtant aberrant du marché européen de l'électricité. La future ou le futur Commissaire à la Concurrence pourra ainsi, dans dix ans, expliquer que les gouvernements et les entreprises des pays de l'Union n'ont pas pris les bonnes décisions...

Même au sein de l’Union Européenne, qui en matière de transition énergétique vit dans un monde imaginaire, il y a parfois des éclairs de lucidité. Ainsi, la commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager, a reconnu dans un entretien accordé à plusieurs journaux européens qu’en faisant dépendre une grande partie de leur approvisionnement énergétique de la Russie, gazier et pétrolier, les Européens se sont montrés plus «cupides» que stupides.

Une stratégie qui crée de la dépendance et était défendue… par la Commission

«Nous n’avons pas été naïfs, nous avons été cupides. Notre industrie s’est beaucoup construite autour de l’énergie russe avant tout car elle n’était pas chère», explique Mme Vestager, qui est aussi vice-présidente de la Commission européenne, dans cette interview publiée en France par Les Echos. Elle ajoute que l’attitude des Européens est la même «avec la Chine pour de nombreux produits ou avec Taïwan pour les puces, où nous sommes avant tout allés chercher des coûts de production plus bas».

Ce constat est extraordinaire! Parce que la stratégie de transition énergétique prônée et même imposée par la Commission, qui consiste à reproduire le modèle allemand du tout renouvelable appuyé sur des centrales thermiques à gaz et à rendre obligatoire de fait les véhicules électriques à batteries, crée la dépendance et la perte de souveraineté dénoncée par la même Commission…

Le problème avec le gaz et le pétrole est «qu’il y avait une grosse prime de risque -la dépendance- que nous payons aujourd’hui». Elle ajoute que pour se défaire d’une dépendance envers la Russie, devenue problématique après l’invasion de l’Ukraine le 24 février, il faudra maintenant «payer une prime à la sécurité», en misant par exemple sur le gaz naturel liquéfié (GNL), plus cher mais qui pourra apporter «la stabilité et la prédictibilité».

Bras de fer avec la Hongrie autour de l’embargo sur les importations de pétrole russe

Concernant la mise en place d’un embargo européen sur le pétrole russe, qui pourrait être annoncé dans les jours à venir, mais est bloqué par la Hongrie de Viktor Orban, Mme Vestager se dit «persuadée qu’un accord sera trouvé». Mais elle ajoute conciliante «nous ne pouvons pas laisser les Etats les plus dépendants du pétrole russe sur le bord du chemin», dont la Hongrie et la Slovaquie, et qu’il faut «sécuriser leur approvisionnement».

Ces deux pays dépendent totalement des oléoducs russes pour leur approvisionnement. Il n’ont pas de ports et ne sont reliés à aucun oléoduc européen. Il faut donc construire rapidement de nouvelles infrastructures ou trouver des alternatives pour leur fournir du pétrole et des produits pétroliers. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a estimé «très improbable» un accord dans les prochains jours, dans une lettre au président du Conseil européen Charles Michel. La présidence française a pour sa part indiqué dans la foulée qu’un accord était encore possible «dans les jours qui viennent». Une partie de bras de fer se joue clairement avec la Hongrie qui reste un allié, plus distant et plus ambigu, mais un allié de la Russie.

L’Europe veut mettre fin à toutes les importations de pétrole et de produits pétroliers, notamment de diesel, de Russie car l’impact économique sera important. Contrairement aux idées reçues, les achats de pétrole brut et de produits pétroliers raffinés russes par les pays européens ont un poids économique bien supérieur aux importations de gaz naturel. Et il est aussi relativement plus facile de s’en passer et de trouver d’autres fournisseurs.

Aveuglement sur les métaux stratégiques et le marché européen de l’électricité

Margrethe Vestager a aussi abordé le sujet de la dépendance européenne grandissante aux métaux et aux terres rares indispensables à la transition énergétique et notamment à la fabrication des batteries, des panneaux solaires et des éoliennes. Mme Vestager plaide pour «de nouveaux partenariats internationaux», plutôt que le développement d’extraction minière sur le sol européen, «car cela prendrait au moins dix ans»… et surtout se heurte à des oppositions locales farouches. Le problème, c’est que le mécanisme sur le gaz et le pétrole russes, qui a créé une dépendance insupportable, réapparait sous une autre forme mais ne gêne par la Commission européenne. Il s’agit aussi évidemment de cupidité et… d’une forme de lâcheté politique.

«Pour les panneaux solaires et les semi-conducteurs, beaucoup de matériaux proviennent aujourd’hui de Chine, de Russie ou d’Ukraine. Il faut là aussi diversifier notre approvisionnement. Nous ne pouvons pas miser uniquement sur l’idée de développer des mines et des raffineries sur notre sol», affirme Mme Vestager. Enfin, du côté du fonctionnement aberrant du marché européen de l’électricité, qui renchérit un vecteur d’énergie qui doit être le fer de lance de la transition, la Commission reste toujours sourde et aveugle.

La Commissaire à la Concurrence se déclare ainsi opposée à une généralisation des mesures de plafonnement du prix de l’électricité décidées, par exemple, par le Portugal et l’Espagne. «C’est une question qui doit s’étudier au cas par cas… Nous ne devons surtout pas renationaliser le marché européen de l’électricité, cela mènerait tout droit à des blackouts». C’est plutôt la stratégie menée par l’Allemagne, le modèle de la Commission, qui mène tout droit aux blackouts. Elle a consisté à multiplier les capacités de production électriques intermittentes et dans le même temps à réduire les capacités dites pilotables qui ne dépendent pas du vent et du soleil.

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