«Haut dans les Andes et s’étendant sur les frontières de trois pays d’Amérique du Sud[Chili, Bolivie, Argentine], une zone connue sous le nom de «triangle du lithium» contient plus de la moitié des réserves mondiales connues de ce précieux métal blanc argenté. Les entreprises des États-Unis et d’Australie dominent les mines existantes, mais les entreprises chinoises sont les investisseurs les plus audacieux dans les nouveaux projets, soutenus par un solide soutien politique et financier de Pékin.»
Telles sont les premières lignes d’un article récent du cabinet international de conseil financier Gavekal. Il souligne comment la Chine étend sa domination et son contrôle sur la production et le raffinage du métal le plus léger, indispensable à la fabrication des batteries qui portent son nom (lithium-ion) et à la transition énergétique. Selon les projections de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande de lithium dans le monde devrait être multipliée par 13 entre 2020 et 2030… et rien ne garantit que l’offre soit suffisante.
La Chine raffine sur son sol 60% du lithium mondial
Selon Bloomberg New Energy Finance (NEF), la Chine raffine aujourd’hui sur son sol 60% du lithium mondial, contrôle 77% des capacités de production de cellules de batterie et 60% de la fabrication mondiale de composants de batteries. Sur les 200 méga-usines de batteries en projet d’ici 2030, pas moins de 148 se trouvent en Chine. Le soutien financier public permet aux entreprises chinoises d’investir massivement et très rapidement pour saisir les opportunités dans des conditions que leurs concurrents occidentaux sont incapables de suivre. Les groupes chinois ont ainsi acheté presque autant de réserves de lithium en 2021 que le reste du monde combiné en a acquis en 2020, selon S&P Global Market Intelligence.
Le fameux «triangle du lithium» se trouve entre le Chili, la Bolivie et l’Argentine. La Bolivie possède les plus grandes réserves de lithium identifiées au monde et le Chili est le plus grand producteur de la région. Mais la ruée actuelle vers les ressources se concentre sur l’Argentine, qui cherche activement à attirer des investissements étrangers pour développer des gisements largement inexploités.
Le Chili possède aujourd’hui les mines de lithium les plus développées et est le deuxième producteur mondial après l’Australie. Il a un climat désertique aride propice à l’extraction et à l’évaporation des saumures contenant le métal, un accès facile au transport maritime dans l’océan Pacifique et une politique relativement stable et favorable aux investissements étrangers. L’exploitation de mines de lithium est une activité difficile.
Montée du souverainisme économique
Le lithium n’est pas un métal rare. Mais son exploitation est très exigeante. Parce que ce métal est très réactif au contact de l’air, il n’existe que quand il est enfermé et protégé dans une gangue d’autres matériaux. Ainsi, il est enfoui profondément dans la croûte terrestre. Cela signifie que pour l’extraire, il faut des mines importantes dont l’exploitation est coûteuse et qui nécessitent des investissements de long terme pas toujours rentables au cours des dernières années. Pour donner un ordre d’idées, la batterie lithium-ion d’un véhicule électrique pèse environ 400 kilos. Elle contient 15 kilos de lithium. Pour les obtenir, il faut traiter 10 tonnes de saumure de lithium…
Autre risque pour les investisseurs, la montée du souverainisme et du nationalisme économique qui en Amérique latine est avant tout tournée contre la domination des Etats-Unis. Le Parlement mexicain a adopté le mois dernier un projet de loi déclarant le lithium «minéral stratégique» et interdisant les investissements privés. En Bolivie, un mélange d’instabilité politique et de politiques protectionnistes a empêché le développement sérieux de ses vastes réserves. La politique d’extraction des ressources du pays a oscillé entre privatisation et nationalisation. En 2018, une entreprise allemande avait battu ses rivaux chinois pour former une coentreprise de lithium avec une entreprise publique bolivienne, mais l’accord a été annulé par le gouvernement l’année suivante.
Pour l’instant, le Chili résiste à cette tentation. Une proposition du nouveau gouvernement progressiste de nationaliser les ressources naturelles, y compris les mines de lithium, a été rejetée il y a deux semaines par l’assemblée constitutionnelle du pays. Elle pourrait revenir.
L’Argentine est le nouvel eldorado
Ce n’est pas le cas en Argentine, qui possède les deuxièmes plus grandes réserves de lithium au monde, et est le pays qui suscite aujourd’hui le plus grand intérêt des investisseurs étrangers… notamment chinois. Et en Argentine, les entreprises chinoises ont obtenu un large soutien politique. Bon nombre des concessions sont détenues par des prospecteurs juniors enregistrés et répertoriés au Canada, qui visent à confier des projets à des entreprises aux poches profondes. Le géant minier australien Rio Tinto a acquis l’un de ces projets pour 825 millions de dollars auprès d’un groupe de capital-investissement en mars. Mais les entreprises chinoises ont été les acheteurs les plus efficaces et les plus réactifs, se faisant parfois concurrence pour s’emparer des actifs miniers. Le Français Eramet est tout de même présente et construit en Argentine une usine dans le désert des hauts plateaux andins, à plus de 3.800 mètres d’altitude. Elle pourrait alimenter 15% des besoins européens en lithium.
Mais pour beaucoup de firmes occidentales considèrent que l’Argentine est un pays trop risqué. En 2020, le PIB de l’Argentine a chuté de -10 %, sa monnaie s’est dépréciée de -29 % et l’inflation a bondi à 36 %. Pour les firmes chinoises, ce n’est pas un problème…
L’appétit de la Chine pour les réserves de lithium est évidemment alimenté par le soutien presque inconditionnel du gouvernement à l’acquisition de ressources à l’étranger et par une volonté stratégique de devenir le leader mondial de l’électrification des véhicules. Les occidentaux et notamment les Européens qui dominaient techniquement et économiquement l’industrie automobile depuis des décennies ont ouvert la voie à l’industrie chinoise en contraignant à marches forcées leurs constructeurs à basculer vers la motorisation électrique, un domaine dans lequel ils n’ont plus aucun avantage technique vis-à-vis de leurs concurrents chinois et américain avec Tesla.