La mise en garde sur le coût de construction et donc de vente d’un camion électrique n’a pas été faite par n’importe qui. Martin Daum est le patron de Daimler Truck, le premier constructeur mondial de poids lourds. S’exprimant dans le Financial Times, il souligne que la guerre en Ukraine n’a fait qu’accélérer une tendance existante depuis de longs mois, celle de l’envolée des prix de matières premières stratégiques indispensables à la fabrication des véhicules électriques et plus particulièrement de leurs batteries. Des matériaux stratégiques comme le lithium, le nickel, le cobalt, le graphite, le cuivre, l’aluminium dont les cours ont de grandes chances de rester longtemps très élevés car ils font face à un déficit de capacités de production.
Et des cellules batteries, dans un camion il en faut beaucoup. Pour assurer une autonomie acceptable pour un poids lourd, il faut plusieurs tonnes de batteries par véhicule. «Si vous prenez l’ensemble du système motopropulseur, le moteur, la transmission, les essieux, le réservoir, le refroidissement… vous avez un maximum de 25.000 euros de matériaux nécessaires pour le fabriquer», explique Martin Daum. «Qu’est-ce que vous avez comme batterie pour 25.000 euros? Même si le coût des batteries tombait à la moitié de ce qu’il est aujourd’hui à 60 euros par kilowatt heure, ce qui est très loin d’être le cas, j’ai besoin de 400 kilowatt heures et donc 24.000 euros uniquement pour les cellules de la batterie», ajoute-t-il.
Trois fois plus cher que l’équivalent à moteur thermique
L’an dernier, le coût moyen du kilowatt heure de batterie était de 132 dollars. Avec l’envolée des cours du cobalt et du lithium qui ont doublé en 2021 et celui du nickel qui a augmenté de 40%, difficile d’imaginer que le prix des cellules de batteries va baisser dans un futur proche. Selon une étude menée par BloombergNEF, le prix des cellules de batteries ne devrait pas descendre sous les 100 dollars le kilowatt heure au moins jusqu’à la fin 2024. Pour Martin Daum, il sera difficile d’imposer le camion électrique sans subventions importantes des pouvoirs publics et surtout sans la mise en place d’une taxe carbone qui renchérira encore le coût du diesel. Mais ce faisant, les gouvernements prennent des risques sociaux, économiques et politiques considérables.
Daimler Truck est un précurseur du camion électrique à batteries qu’il a commencé à fabriquer depuis 2017. Il a triplé ses ventes l’an dernier pour atteindre… 712 camions et bus. Cela reste anecdotique pour un constructeur qui a vendu au total 455.000 véhicules lourds l’an dernier. Son poids lourd long courrier eActros (voir l’image ci-dessus), dont la production a commencé en 2021, coûte trois fois plus cher que l’équivalent à moteur thermique et encore, il présente un certain nombre d’inconvénients dans son utilisation. Plusieurs tonnes de batteries ne se rechargent pas n’importe où et en quelques minutes…
Martin Daum illustre aussi dans ses propos les difficultés des constructeurs de poids lourds. S’il plaide pour l’instauration d’une taxe carbone, il soutient aussi des mesures d’aides des gouvernements pour permettre de faire face aujourd’hui à l’envolée des prix des carburants et notamment du diesel. «Nous devons en augmenter le prix au fil du temps. Nous pouvons vivre avec 2 ou 3 euros par litre, mais nous ne pouvons le faire si l’augmentation se fait en une nuit», explique-t-il.
La solution passe par l’hydrogène et la pile à combustible
Pour Daimler Truck, la solution à la décarbonation du transport routier se trouve sans doute à terme plus du côté de l’électrique à hydrogène que de l’électrique à batteries. D’ailleurs, le constructeur poursuit le développement en parallèle des deux technologies et de deux gammes. Si les prix des batteries continuent à augmenter et les ressources en matériaux stratégiques pour les fabriquer continuent à être trop limitées, le constructeur allemand développera en priorité la solution hydrogène.
«Dans une pile à combustible, il y a beaucoup moins de matières premières et nous ne sommes pas en compétition avec des millions de voitures pour obtenir les mêmes matériaux», déclare Martin Daum. Il s’est félicité du fait que le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, a signé la semaine dernière un accord avec le Qatar pour la livraison d’hydrogène, ainsi que pour la fourniture de gaz naturel liquéfié. Mais il a critiqué les autorités antitrust de Bruxelles pour avoir traîné les pieds lorsqu’il s’agit d’approuver une joint-venture entre Daimler et ses principaux concurrents Volvo et Traton, qui dépensera 500 millions d’euros pour développer un réseau de 1.700 points de recharge hydrogène pour camions en Europe. «Nous sommes prêts à investir l’argent», a-t-il déclaré, «nous avons quelqu’un qui est prêt à assumer le rôle de directeur général et elle ne peut pas le faire car nous n’avons pas l’approbation… Cela aurait dû être fait il y a trois mois. Nous devrions déjà être opérationnels».