La question de la taxonomie, c’est-à-dire des énergies estampillées par l’Union Européenne comme étant «durables» et ouvrant ainsi la voie à des financements dans des conditions favorables, continue, sans surprise, à déchirer l’Europe. Elle montre une fois encore que l’Europe de l’énergie est une mascarade tant les situations des différents pays, énergétiques et politiques, et leurs stratégies de transition n’ont rien en commun. Du coup, quand il s’agit de tenter de définir un dénominateur commun cela devient impossible. Les égoïsmes nationaux et les considérations de politique intérieure prennent systématiquement le pas. Et ce n’est pas la Commission acquise au modèle allemand de transition par le tout renouvelable, qui ne fonctionne pas, qui peut tracer un chemin. D’autant plus, que la libéralisation du marché européen de l’électricité qu’elle a orchestrée depuis plus d »une décennie est un échec et n’est pas pour rien dans la flambée des prix enregistrée depuis des mois…
Le nucléaire, la source d’énergie la moins carbonée, est un bon exemple, parmi d’autres, des errements énergétiques européens. Au point, que certains observateurs estiment que Bruxelles montre exactement tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de transition énergétique. La question nucléaire, qui ne figurait pas au programme officiel, a ainsi fait l’objet de passes d’armes lors de la rencontre des ministres européens de l’Environnement et de l’Énergie à Amiens à la fin de la semaine dernière. Dévoilé fin décembre, le projet de taxonomie de la Commission européenne classe comme «durables» les investissements dans les centrales nucléaires et à gaz, afin de faciliter le financement d’activités contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les États membres avaient jusqu’au 21 janvier pour réclamer des modifications à la Commission, avant qu’elle ne publie son texte définitif. Celui-ci sera considéré comme adopté après quatre mois (fin mai), sauf rejet par une majorité simple au Parlement européen ou par une majorité qualifiée de 20 États. Ce dernier cas de figure semble très peu vraisemblable puisque une douzaine de pays soutiennent l’atome, autour de la France.
L’Autriche et le Luxembourg menacent de poursuites judiciaires pour empêcher la qualification du nucléaire de «durable»
La France a transmis sa contribution à la Commission, réaffirmant sa volonté que le «nucléaire soit considéré comme une énergie bas carbone» tout en demandant des aménagements sur des contraintes «techniques» ou de calendrier. Autre défenseur de l’inclusion du nucléaire, Varsovie réclame des «clarifications», regrettant que la proposition n’inclue pas la gestion du cycle du combustible (enrichissement de l’uranium, traitement du combustible usé…). «Le nucléaire est décarboné. On ne peut pas s’en priver au moment où nous devons baisser très rapidement nos émissions», a affirmé la ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili. Elle qui dans le passé était une adversaire résolue de l’énergie nucléaire…
«Ce n’est pas une énergie verte ni durable» tandis que «la question de la gestion des déchets n’est pas résolue», a rétorqué le secrétaire d’État allemand à l’Environnement Stefan Tidow. «Ça serait du greenwashing. Cela enverrait le mauvais signal: ce n’est même pas une énergie de transition» a déclaré la ministre luxembourgeoise de l’Environnement Carole Dieschbourg. Le Luxembourg et l’Autriche se disent prêts à engager une action devant la justice européenne en cas de labellisation durable du nucléaire.
Taxe carbone sur les carburants, les menaces de la Commission contre les pays réticents
L’Allemagne qui a renoncé au nucléaire pour des questions de politique intérieure va fermer cette année ses trois dernières centrales. Et cela même si sa stratégie de transition construite sur le tout renouvelable ne fonctionne pas et s’est traduite l’an dernier par une augmentation sensible de ses émissions de CO2. De fait, les adversaires les plus résolus du nucléaire n’en ont rien à faire de la façon dont les autres pays de l’Union entendent atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’Autriche et le Luxembourg bénéficient, pour le premier, de sa géographie et de ressources hydroélectriques très abondantes et le second, c’est encore mieux, de l’électricité produite par ses voisins à qui il vient donner des leçons…
Le gaz naturel considéré aussi par la Commission comme «durable» suscite également des réticences, mais pas des mêmes pays. Les Pays-Bas, favorables au nucléaire, ne voient «aucune raison scientifique d’intégrer le gaz». A contrario, l’Allemagne estime que le gaz peut s’avérer nécessaire pour assurer la transition, en permettant «une sortie rapide du charbon» et en accompagnant «la montée en puissance des renouvelables»… qui étant intermittents nécessitent des centrales mobilisables à tout moment. L’Allemagne ne peut ainsi pas se passer du charbon et du gaz naturel russe.
Pour ce qui est de la taxe carbone, les 27 pays de l’Union ont examiné à Amiens «les façons de rendre supportable et acceptable socialement» le projet controversé de la Commission dans le cadre de son «green new deal» de renchérir le prix des carburants et du fioul de chauffage. Après les industriels et énergéticiens, la Commission a proposé que les fournisseurs de carburant routier et de fioul domestique puissent être aussi contraints d’acheter des «quotas d’émissions» dès 2025. Une majorité d’Etats membres a exprimé sa vive opposition, en dépit de la création d’un «fonds social» prévu par Bruxelles. Ils rejettent un système qui consiste à créer des taxes et à distribuer des chèques pour en atténuer les effets.
Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement européen et proche du président français Emmanuel Macron, est farouchement hostile à la proposition, redoutant «un effet gilet jaunes européen». A l’inverse, le commissaire à l’Environnement Virginijus Sinkevicius considère «ce marché carbone comme un outil efficace pour atteindre nos objectifs de décarbonation. Et si les Etats n’en veulent pas, il faut le remplacer par des mesures alternatives pour sabrer les émissions dans les transports routiers et les bâtiments». Une forme de menace…