La SMEG (Société monégasque de l’électricité et du gaz) est l’opérateur historique de l’énergie dans la principauté. Elle assure depuis plus de cent trente ans la distribution et la fourniture de l’électricité et de gaz à Monaco. Elle a pour actionnaires Engie (64 %), l’État monégasque (20 %) et EDF (15 %). Elle est un acteur essentiel de la transition énergétique, mais ses ambitions ne s’arrêtent plus aux frontières de Monaco.
T&E : La SMEG a une histoire singulière étroitement associée à celle de la principauté. Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de cette association et le rôle joué aujourd’hui par la SMEG dans l’approvisionnement énergétique de Monaco ?
Thomas Battaglione: La Société monégasque de l’électricité et du gaz a effectivement un rôle particulier auprès de la Principauté de Monaco en tant qu’opérateur énergétique de l’État. Sa mission première, et historique, est d’assurer la distribution et la fourniture énergétique de Monaco, en toutes circonstances et en toute sécurité. Cela concerne l’électricité, principale source d’énergie utilisée (520 GWh), mais également le gaz (65 GWh).
Toutes les compétences qui existent dans différentes sociétés en France sont agrégées ici au sein d’une même entité. Avec un territoire de 2km2, Monaco n’a pas aujourd’hui la capacité de produire à l’intérieur de ses frontières toute l’électricité dont elle a besoin. Cette électricité est donc produite en France et son approvisionnement est régi par une convention bilatérale entre États. Cette convention permet à la SMEG de s’approvisionner dans les mêmes conditions qu’un fournisseur sur le territoire français, et donc de bénéficier de la compétition qui s’y exerce.
La situation à Monaco a ceci de particulier que nous avons en quelque sorte le meilleur des deux mondes. Nos clients ont la SMEG comme unique fournisseur, et, conformément aux dispositions du traité de concession qui nous lie au Gouvernement Princier, bénéficient de prix de vente aussi compétitifs que nos voisins français, avec une qualité de service bien supérieure.
Vous êtes aussi très présent dans l’alimentation des bâtiments en chaleur et en climatisation.
Oui, nous avons un périmètre qui s’étend à d’autres énergies. Nous gérons depuis trente ans une centrale de production et un réseau de distribution de chaud et de froid dans le quartier de Fontvieille. La production se fait à partir de la valorisation énergétique des déchets, mais pas de manière classique, comme on peut le voir ailleurs. Généralement, en France et en Europe, vous avez soit une unité de traitement des déchets, soit une unité de valorisation qui, le plus souvent, sert à produire de la chaleur. Nous faisons, ce qui est innovant : la trigénération. Les déchets produits localement génèrent de la vapeur. Cette vapeur permet de produire de l’électricité toute l’année. De plus, selon les saisons, son exploitation permet également d’alimenter 100 % du réseau de chaleur l’hiver et, avec des groupes froids à absorption, de fournir une grande partie de la climatisation l’été. Ce système fait l’objet d’innovations régulières pour optimiser le fonctionnement d’ensemble des équipements. Ainsi, le dispositif a été complété il y a une dizaine d’années par une station de pompage qui puise l’eau à environ 1 km des côtes. Cette technologie permet d’exploiter le potentiel thermique de la Mer : la Thalassothermie. Forte de ces expertises en la matière, la SMEG a remporté en 2020 l’appel d’offres initié par le Gouvernement princier et portant sur la conception, la construction et l’exploitation durant 30 ans de deux nouvelles boucles thalassothermiques sur les quartiers du Larvotto et de la Condamine.
Installer les deux boucles en question a été un tour de force technique.
À Monaco, les contraintes sont importantes et ont pour noms exiguïté, densité et encombrement des sous-sols. Ces derniers sont totalement saturés par tous les réseaux des différents opérateurs qui doivent fournir l’ensemble des services nécessaires à 40 000 habitants sur un territoire de 2km2. Construire un tracé de 4,5 km de boucles thalassothermiques s’est révélé être un incroyable casse-tête. Cela oblige à être très innovant et peut également justifier des coûts supplémentaires par rapport à la même technologie utilisée ailleurs.
Comment toutes ces activités sont-elles organisées au sein de la SMEG ?
On peut en fait parler de groupe SMEG. En effet, avec ses filiales, telles que la SMA pour la gestion des déchets et MER pour la production d’énergie renouvelables, la SMEG couvre l’ensemble des chaines de valeur de l’énergie et des déchets. Afin d’optimiser son organisation, en cohérence avec ses différentes activités, le groupe SMEG s’est structuré autour de cinq grandes directions métiers : l’électricité et le gaz, les réseaux de chaleur et de froid, la mobilité électrique, la production d’électricité renouvelable et la gestion des déchets (nettoiement, collecte, valorisation). Quel est votre rôle dans le processus de transition énergétique monégasque ? — Nous sommes totalement engagés et investis auprès du gouvernement dans sa stratégie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Parmi l’arsenal à disposition pour atteindre les objectifs fixés, le gouvernement porte l’ensemble des moyens qui relèvent de la politique publique, telles que l’incitation, l’interdiction, les aides, les subventions… et s’appuie sur son opérateur, la SMEG, pour sa déclinaison technologique et industrielle Les émissions de CO2 de la principauté peuvent être schématiquement divisées en trois principaux postes représentant chacun environ un tiers des émissions : le chauffage des bâtiments, les transports, et l’usine de valorisation des déchets. Le Groupe SMEG dispose des compétences et a la capacité de s’engager, auprès du gouvernement, sur chacun de ces trois domaines. Concernant le chauffage, les boucles thalassothermiques sont un formidable moyen de disposer d’une énergie thermique totalement décarbonée. C’est donc une solution technologique privilégiée par le gouvernement monégasque. On estime qu’à terme 50 % du territoire pourra être raccordé. Sur le volet des transports, un vaste programme est engagé par la Principauté pour encourager la mobilité propre ainsi que les transports en commun. Les politiques incitatives à l’achat de véhicules électriques en sont une illustration. Afin de soutenir l’effort de développement de la mobilité électrique, la SMEG propose, sous la marque evzen, une offre complète d’infrastructures de recharges, en voirie et dans les parkings publics et privés. Avec déjà plus de 350 points de charge, Monaco est vraisemblablement l’État le plus densément équipé au monde. Par ailleurs, nous avons repris et renforcé, il y a un an, les activités d’autopartage Mobee pour lesquelles nous disposons de 30 Renault Twizy et 25 Peugeot e208 100 % électriques. C’est une offre alternative de mobilité qui vient compléter celles proposées par le Gouvernement, et dont la principale ambition est de limiter l’achat de véhicules personnels. Concernant l’usine de valorisation des déchets, nous avons un projet très ambitieux et innovant en cours de discussion avec les institutions monégasques qui pourrait voir le jour entre 2028 et 2029. Le principe proposé est de ne plus considérer le déchet comme une seule contrainte dont on doit se débarrasser, mais comme une ressource locale, disponible toute l’année, qu’il convient d’exploiter au mieux… Tout l’enjeu consiste à préparer les déchets en un combustible le plus biogénique possible, ceci en extrayant en amont une grande partie des plastiques qui s’y trouvent, principale source d’émissions de CO2. Ce projet de nouveau centre de valorisation des déchets s’inscrit pleinement dans cette dynamique d’économie circulaire vertueuse, avec des résultats très spectaculaires attendus, tant en termes de valorisation énergétiques que de réduction des émissions de GES. En amont de l’ensemble des actions décrites ci-dessus, il convient de rappeler sans cesse que le moyen le plus efficace de limiter les émissions de CO2 consiste à diminuer notre consommation d’énergie. Et pour cela il est nécessaire de bien l’identifier et la comprendre. L’énergie est une notion complexe et abstraite qu’il est difficile d’appréhender. Pour ce faire, nous proposons à nos clients des outils numériques innovants et performants qui ont prouvé leur contribution efficace dans la réduction des consommations. Sur le segment des grands professionnels, le gouvernement a décidé d’engager un vaste programme, nommé « Smart+ », concernant une centaine de sites, qui représentent 30 % de l’électricité consommée à Monaco. Ces bâtiments, principalement des hôtels et des immeubles d’habitation, avaient du mal à identifier l’utilisation qu’ils faisaient de l’électricité. En s’appuyant sur l’expertise de la SMEG et ses outils numériques, les sites concernés disposent désormais de la décomposition précise de leur consommation électrique selon chacun des usages. Ils savent maintenant distinguer ce qui relève de l’éclairage, du chauffage, de la ventilation, des ascenseurs etc. Et grâce à cette connaissance, les clients ont pu engager des actions, souvent sans investissement, qui leur ont fait économiser des quantités non négligeables d’électricité (en moyenne 8 %, certains ayant même dépassé les 30 %). D’un point de vue collectif, la principauté est, à notre avis, le seul territoire qui dispose d’un panorama aussi détaillé des usages des énergies.
En effet, les informations agrégées et anonymes que la SMEG fournit au gouvernement permet à celui-ci de prioriser ses initiatives et, surtout, d’en mesurer les effets. Comment cela fonctionne-t-il ?
Il nous suffit d’installer un unique point de mesure en tête de l’installation du client qui enregistre à haute fréquence le courant électrique. Grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle, la signature électrique des équipements est reconnue, ce qui permet d’isoler la consommation de chaque type de matériel électrique. Une plateforme numérique est à la disposition du client pour gérer et analyser ces informations. Le même type d’outil est également accessible par les services de l’État pour disposer d’une vision d’ensemble.
Vous avez aussi d’autres axes de développement hors du territoire monégasque.
L’action de la SMEG ne se limite pas au territoire monégasque, mais s’étend effectivement en région PACA. Dans quelle logique se font les développements réalisés et en cours ? L’exemple de Smart+, l’outil numérique d’efficacité énergétique, que l’on vient d’évoquer est une illustration de l’extension naturelle de nos offres hors de nos frontières. Nous nous sommes rendu compte que le programme mis en œuvre à Monaco pouvait intéresser des collectivités locales et des clients privés, gestionnaires d’immeubles, en France. Les contacts pris ont tous été très positifs et nous avons quelques discussions très avancées pour mettre en œuvre un dispositif similaire ailleurs qu’à Monaco, avec certainement un résultat tout aussi positif. Dans un autre registre, le déploiement par la SMEG de l’offre evZen en France relève également de la même logique. Cette offre indépendante et agile a été retenue par de nombreuses collectivités, ce qui nous positionne actuellement comme le premier opérateur de bornes de recharge en voirie et en ERP de la région. Ce résultat provient d’une approche différente de celle qui prévaut chez la plupart des autres acteurs : nous proposons une solution clés en main, indépendante des marques de matériel, et nous rendons un service au client depuis les études jusqu’à l’exploitation, la supervision et l’assistance 24 h/24. Nous proposons les solutions les plus adaptées à la demande et nous nous engageons à ce qu’elles fonctionnent sur la durée. Nous pensons que cette vision nous a placé en très bonne place pour remporter l’appel d’offres du réseau d’Aix-Marseille Métropole avec 300 bornes de recharge, ou celui des centres d’un grand distributeur du sud de la France qui sera très prochainement annoncé.
Il est clair que nous souhaitons conserver une identité d’opérateur local, avec une taille raisonnable qui nous permet de conserver flexibilité et proximité avec nos clients. Par ailleurs, notre structure intégrée nous donne l’opportunité d’apporter des solutions multiples : on peut ainsi à l’occasion d’une consultation sur des bornes de recharge, également proposer la mise en place des panneaux photovoltaïque qui vont alimenter ces bornes. On propose aussi systématiquement une option d’accès à des outils d’efficacité énergétique, comme Smart+. Cela contribue au développement de la société, des compétences internes et à l’export du savoir-faire monégasque. Pourquoi la transition à Monaco, en dépit de contraintes fortes, semble menée de façon plus efficace que dans la plupart des autres pays ? — Tout d’abord, il est important de souligner l’implication du prince souverain dans la protection de l’environnement, que ce soit au travers de sa fondation, ou dans l’impulsion qu’il procure à son gouvernement et, plus généralement, à l’ensemble de la principauté. Ce consensus dans l’objectif à atteindre n’empêche pas les débats et les discussions sur les stratégies à adopter pour, notamment, surpasser les contraintes géographiques. Cependant les circuits de décisions restent courts et permettent une mise en œuvre rapide.
Il faut se rappeler que Monaco est l’Etat le plus dense au monde, loin devant Singapour et Hongkong. De plus, il se situe en façade maritime. Selon l’ONU, plus de 60 % de la population mondiale vivra en zone urbaine en 2030, principalement à proximité immédiate des mers ou océans. Les défis technologiques auxquels nous sommes confrontés à Monaco, et les réponses innovantes que nous apportons – utilisation du potentiel thermique de la mer, économie circulaire et valorisation des déchets, électrification de la mobilité et autopartage, outils numériques d’efficacité énergétique… – sont autant de sources d’inspiration pour d’autres zones géographiques.
Notre rôle est de contribuer à la création d’un nouveau modèle énergétique vertueux et respectueux de l’environnement, et d’en faire bénéficier le plus grand nombre en l’exportant au-delà de nos frontières