La bataille fait rage dans les médias depuis des années sur la réalité de l’empreinte carbone laissée tout au long de leur vie par les voitures électriques à batteries et celles à motorisation thermique. Il ne se passe pas quelques semaines sans que les partisans du véhicule électrique ou leurs adversaires et les différents lobbys ne mettent en avant une nouvelle étude qui met fin définitivement au débat. À chaque fois ou presque, la plupart des médias reprennent les arguments « définitifs » sans vraiment s’interroger sur la pertinence des études… et les intérêts de ceux qui les diffusent. Le dernier exemple en date est le rapport rendu public en août par l’International Council on Clean Transportation qui donne des résultats très favorables à l’électrique. Il est difficile de s’attendre à autre chose de la part d’une ONG certes respectable, à l’origine du scandale du Dieselgate, mais dont la vocation est de promouvoir l’électrique. Les hypothèses retenues par l’étude, notamment en terme d’espérance de vie des véhicules, de kilométrages parcourus, et de coût énergétique de fabrication des batteries, peuvent être contestées.
Des données et des hypothèses objectives et subjectives
Par principe, il faut se garder de prendre la plupart des études au pied de la lettre. Les résultats obtenus peuvent être très différents avec des variations minimes des hypothèses retenues. Que ce soit les caractéristiques des véhicules, la façon de prendre en compte l’ensemble de leur cycle de vie, les pays où ils sont fabriqués et ceux où ils sont utilisés et rechargés. Considérer que la durée de vie et d’utilisation des véhicules sera de dix, quinze ou vingt ans change totalement les calculs. Et personne aujourd’hui ne peut dire que les voitures électriques auront, avec leur batterie d’origine, une espérance de vie comparable à celle des véhicules thermiques.
L’avantage du véhicule électrique est clair. Il tient avant tout à son usage. Recharger des batteries émet dans la quasi-totalité des cas moins de carbone que consommer des litres d’essence ou de diesel. Cela tient à l’efficacité énergétique plus grande du moteur électrique, même quand il est rechargé avec de l’électricité provenant d’une centrale au charbon. Mais pour ce qui est de l’usage, la différence en terme d’empreinte carbone entre un véhicule électrique et thermique dépend de plusieurs facteurs dont la consommation moyenne d’énergie des véhicules retenus pour la comparaison, leur kilométrage annuel envisagé et leur espérance de vie.
Les études mêlent à la fois des données objectives et subjectives. Le résultat ne sera pas du tout le même si l’étude part du principe que les véhicules seront recyclés après avoir parcouru 150.000 ou 300.000 kilomètres. Sachant en plus qu’un véhicules électrique ayant fonctionné pendant vingt ans devra sans doute avoir changé sa batterie ce qui aura un impact important sur son empreinte carbone.
Distinguer pollution atmosphérique et empreinte carbone
Pour illustrer le fait que personne ne peut mesurer précisément aujourd’hui l’empreinte carbone d’un véhicule électrique, il suffit de se pencher sur les coûts énergétiques de fabrication d’une batterie.
Selon les analyses existantes, il faut l’équivalent de deux à six barils de pétrole pour fabriquer une batterie qui peut stocker l’équivalent d’un gallon (3,7 litres) d’essence. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autre de la myriade d’incertitudes cachées derrière les calculs et les études. On peut néanmoins affirmer un certain nombre de choses sans trop risquer d’être contredits par les faits.
- Pour ce qui est de la pollution atmosphérique, qui n’a rien à voir avec les émissions de CO2, il faut le répéter, la voiture électrique représente un progrès indéniable. Les émissions de particules fines sont réduites de moitié (il reste celles provenant de l’abrasion des pneus et du freinage) et il n’y a plus de gaz d’échappement donc plus de dioxyde d’azote. Mais les émissions de polluants lors de la fabrication de la voiture électrique et plus particulièrement des cellules de sa batterie sont plus importantes que pour un véhicule thermique car elle réclame plus d’énergie. Par ailleurs, la fabrication des cellules a lieu essentiellement en Chine qui produit la majeure partie de son électricité dans des centrales au charbon. On peut parler ainsi de délocalisation de la pollution atmosphérique…
- Pour ce qui est de l’empreinte carbone proprement dite, elle provient d’un calcul intégrant les émissions de gaz à effet de serre provenant de la fabrication des véhicules (électriques et thermiques) et de leur destruction et recyclage et des conditions de leur utilisation. Selon le véhicule électrique, selon sa puissance, son poids, les performances de sa batterie, l’endroit où il est produit et de quelle source provient l’énergie utilisée pour cela, la construction de la voiture électrique émet entre 1,5 et 3 fois plus de CO2 que celle d’un véhicule thermique.
Une batterie lithium-ion d’un peu plus de 400 kilos, d’une technologie classique, contient 15 kilos de lithium, 30 kilos de cobalt, 60 kilos de nickel, 90 kilos de graphite et 40 kilos de cuivre. Plus parlant encore, pour en retirer les 15 kilos nécessaires, il faut traiter 10 tonnes de saumure de lithium. Pour obtenir les 30 kilos de cobalt, c’est 30 tonnes de minerai. Pour les 60 kilos de nickel, on en est à 5 tonnes de minerai. Il faut 6 tonnes pour les 40 kilos de cuivre et une tonne pour les 90 kilos de graphite.
Selon une méta analyse publiée à la fin de l’année dernière par la revue scientifique suisse MDPI et recensant une cinquantaine d’études universitaires, le coût carbone de la fabrication d’une voiture électrique est compris entre 8 et 20 tonnes. Dans le haut de la fourchette, cela représente une quantité très proche de ce qu’émet un véhicule thermique tout au long de sa durée de vie.
- Pour ce qui est de l’utilisation des véhicules, les données à prendre en compte sont leur consommation moyenne d’essence ou de diesel, leur durée de vie et la façon dont est produite l’électricité pour les recharger (véhicule électrique). Une voiture électrique rechargée avec de l’électricité au charbon ou de l’électricité nucléaire (la moins carbonée) n’aura pas du tout la même empreinte carbone. De la même façon, les petits véhicules diesel en voie de disparition sont du côté des thermiques ceux qui émettent le moins de CO2. C’est une des raisons pour lesquelles au cours des dernières années les pouvoirs publics les ont subventionnés avant de leur interdire très prochainement de circuler dans les grandes agglomérations…
Si on fait une synthèse des études récentes sérieuses sur la question de l’empreinte carbone des véhicules électriques et thermiques, et si on évacue la propagande, le marketing et la communication, il ressort que le véhicule électrique a un avantage réel, mais relativement limité. Son coût de fabrication et de recyclage plus élevé est amorti plus ou moins rapidement en fonction de la façon dont est produite l’électricité qui sert à le recharger. Une voiture électrique «au charbon» demandera bien plus de 100.000 kilomètres pour permettre un gain carbone et une voiture électrique «nucléaire» quelques dizaines de milliers de kilomètres.
On peut accorder un certain crédit aux chiffres de l’Avere France (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), même si évidemment cet organisme a pour objet la promotion du véhicule électrique… Ces calculs sur la durée de vie d’un véhicule électrique indiquent que les émissions sont inférieures de 28% aux voitures à essence et de 22% aux automobiles diesel.
Léon Thau