Plusieurs pays européens ont pris des mesures d’urgence ou s’apprêtent à en prendre pour limiter les conséquences sociales de l’envolée des prix de l’énergie. Depuis le début de l’année, tous les prix de l’énergie, sans exception, ce qui est rare, se sont envolés. Que ce soit les carburants (essence et diesel), le gaz et l’électricité Et dans des proportions importantes. Ainsi, le tarif réglementé du gaz a connu en France un été meurtrier avec des hausses successives de 9,9% le 1er juillet, de 5,3% le 1er août et encore de 8,7% le 1er septembre… Et cela pourrait bien continuer, surtout si l’hiver est rigoureux. «L’Europe va vivre un hiver très rude» prévient Julien Hoarau, patron de l’analyse des marchés de Engie cité par le magazine Capital. «Le problème n’a même pas encore commencé», ajoute-t-il.
Cours records du gaz naturel
L’Europe fait face à une conjonction de facteurs défavorables et de choix stratégiques qui ont fragilisé son approvisionnement en énergie. Pour ce qui est des énergies fossiles, les hausses sont la conséquence à la fois d’une reprise rapide et forte de la demande de pétrole, de gaz et même de charbon dans le monde face à des capacités de production limitées, par un manque d’investissements ou volontairement.
Après avoir connu un effondrement des cours l’an dernier au plus fort de la pandémie, les producteurs de pétrole réunis au sein d’un super cartel baptisé Opep+ ont décidé d’augmenter très progressivement leur production en dépit d’une remontée continue des prix du baril depuis plus d’un an. Il se situe aujourd’hui entre 70 et 75 dollars. Conséquence, Les deux carburants les plus vendus en France (le gazole et l’essence sans plomb 95) ont progressé de 13% et 15% respectivement depuis le début de l’année.
Quant au gaz, ce sont à la fois les capacités de production et de distribution qui sont insuffisantes. En début de semaine, les prix du gaz ont ainsi atteint de nouveaux records. Le contrat à terme de référence européen pour livraison en janvier 2022 s’st établi à 66 euros par mégawattheure contre 16 euros il y a un an et 13 euros au plus fort de la crise du Covid. Cela a des conséquences à la fois sur les factures de chauffage des ménages, limitées en cette période de l’année, et aussi et surtout sur le prix de l’électricité produit par les centrales à gaz qui se sont multipliées en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, en Allemagne… Elles sont le complément «naturel» des éoliennes et des panneaux solaires dont elles pallient l’intermittence.
Les prix du gaz se sont emballés depuis le printemps, lorsque les stocks ont commencé à tomber en dessous de la moyenne pré-pandémique de 2015-2019. Car faute de vent pour faire tourner les éoliennes, il a fallu faire fonctionner à plein les centrales à gaz. Comme l’écrivait au début de la semaine le Wall Street Journal, «les prix sur les marchés du gaz naturel et de l’électricité étaient déjà à la hausse en Europe quand un nouveau catalyseur est apparu: le vent a cessé de souffler en mer du nord». Du coup, les réserves de gaz peinent à se reconstituer et les craintes de pénurie grandissent en cas d’hiver froid. Les stocks européens ne sont remplis qu’à 71%. La moyenne était de 84% à cette époque de l’année avant le Covid, selon les données de Gas Infrastructure Europe. En outre, les importateurs européens de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) souffrent de la concurrence de l’Asie, où les prix du gaz sont également très élevés en raison du surplus de demande d’électricité généré par la reprise économique. La Chine fait face depuis des mois à des pénuries d’électricité et des blackouts tout en faisant tourner à plein régime ses centrales au charbon…
Absence de vent
Il vient s’ajouter à des phénomènes conjoncturels des tendances de fond. Le développement des renouvelables, éolien et solaire, se traduit mécaniquement par des hausses de tarifs de l’électricité et des augmentations de taxes pour subventionner les nouvelles infrastructures. Si on ajoute le manque de vent au cours des derniers mois et l’envolée des prix du gaz, les tarifs de l’électricité ne peuvent que grimper. Selon les données de RTE, l’opérateur du réseau de transport d’électricité français, les prix spots sur les deux principales Bourses européennes (EPEX et Nord Pool) ont quasiment doublé depuis début juillet, dépassant même les 200 euros par mégawattheure en Belgique ou aux Pays-Bas.
Les pays qui ont fait le choix technologique de se doter de centrales à gaz sont les plus affectés à l’image de l’Espagne où les prix de l’électricité avaient à la fin du mois d’août augmenté de 34,5% en un an… Une situation politique qui devient intenable.
Le gouvernement français, qui grâce à une production d’électricité nucléaire à 70% n’est pas confronté aux mêmes problèmes, commence pourtant à s’inquiéter des répercussions des hausses continues des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat… à sept mois de l’élection présidentielle. Il n’a pas oublié que le mouvement des gilets jaunes a été déclenché par une augmentation de taxes sur les prix des carburants. Et puis sur le marché à terme, l’électricité pour livraison en 2022 en France vient de battre un record à plus de 100 euros le MWh (le dernier record en date remontait à juillet 2008 avec 93,29 euros du MWh). Même si cela n’aura pas une répercussion directe sur les factures d’électricité des particuliers, le Premier ministre, Jean Castex, va annoncer une augmentation de 100 euros du chèque énergie et songe aussi à en élargir l’accès. Près de 5,8 millions de ménages en sont bénéficiaires aujourd’hui et il est compris entre 48 et 277 euros par an. Les ménages éligibles n’auront pas de démarche à effectuer et recevront l’aide supplémentaire en décembre.
L’Espagne va ponctionner les «surprofits» des producteurs d’énergie
Ailleurs en Europe, les possibilités budgétaires sont parfois moindres, mais les gouvernements font preuve d’imagination. L’Espagne veut ponctionner les «surprofits» des producteurs et distributeurs de gaz et d’électricité. L’Italie envisage de revoir le mode de calcul des factures.
Le gouvernement espagnol vient d’annoncer de nouvelles mesures pour réduire la facture moyenne d’électricité du consommateur de 22% par mois jusqu’à la fin de l’année. En juillet, Madrid avait déjà décidé une réduction temporaire de la TVA sur l’énergie domestique, de 21% à 10%. Cette fois, les grands énergéticiens du pays vont être mis à contribution via un mécanisme permettant de ponctionner les bénéfices réalisés grâce aux prix élevés de l’énergie sur les marchés internationaux. En vigueur jusqu’au 31 mars 2022, cette mesure devrait permettre au gouvernement de récupérer 2,6 milliards d’euros.
Le plan espagnol prévoit aussi la mise en œuvre de nouvelles réductions de taxes. L’impôt sur l’électricité passera ade 5,11% à 0,5%, soit le minimum autorisé par la réglementation européenne, tandis que la taxe sur la valeur de la production d’électricité, de 7%, sera suspendue jusqu’à la fin de l’année. L’exécutif espagnol prévoit aussi un plafonnement de la hausse des prix du gaz naturel payé par les usagers pendant un semestre, à 4,6%.
L’Italie envisage de son côté de revoir le mode de calcul des factures d’électricité alors que le gouvernement craint une hausse de 40% des prix de détail de l’électricité au cours du prochain trimestre, après déjà une augmentation de 9,9% au deuxième trimestre.
Si l’hiver prochain est rigoureux en Europe, non seulement les prix de l’énergie vont continuer à s’envoler, mais les risques existeront également de coupures fréquentes d’électricité. Le monde ancien, celui d’une énergie abondante et peu coûteuse, disparait.