Le vent est tombé d’un coup après presque deux décennies d’alizé soutenu. L’an dernier, seules 420 nouvelles éoliennes ont été construites en République fédérale et 203 anciennes installations ont été démantelées. La puissance nette raccordée au réseau a atteint tout juste 1 208 MW. Ce chiffre est largement supérieur aux 981 MW de l’année précédente mais il représente une chute brutale comparée aux 3,1 GW enregistrés chaque année entre 2009 et 2018. «En ce qui concerne l’expansion de l’éolien terrestre, l’Allemagne est passée de la voie rapide à la bande d’arrêt d’urgence», résume Achim Derck, le président de la Fédération allemande des chambres de commerce et d’industrie.
Les investisseurs ne se bousculent plus sur ce marché jugé trop compliqué et pas assez rentable. L’an dernier, un tiers des appels d’offres lancés par le gouvernement pour construire de nouveaux parcs n’ont pas trouvé preneur. Ce résultat est toutefois plus encourageant que celui de l’année précédente. La moitié des marchés publics n’avaient pas été attribués en 2019 faute de candidats. Mais une chose est claire, les groupes privés n’ont plus d’intérêt pour ce secteur. Leur réticence s’explique facilement.
Pour réussir à monter un projet maintenant, il faut surtout de bons avocats
Pour ériger de nouvelles éoliennes, un promoteur doit d’abord aujourd’hui faire preuve de patience et avoir de très bons avocats. «Entre le lancement de l’appel d’offre, la préparation du dossier de candidature, la prise de décision des pouvoirs publics, les poursuites judiciaires que ne manqueront pas de lancer vos opposants et la construction de l’installation, vous devez de nos jours patienter en moyenne cinq ans, regrette Christoph Zipf, le porte-parole de l’association WindEurope. Au début des années 2000, ce processus ne prenait pas plus d’un an…» Le vent ne fait plus tourner les têtes des Allemands. Tout aujourd’hui semble plus compliqué et confus.
«Les principaux obstacles à l’augmentation du nombre d’éoliennes terrestres en Allemagne sont la disponibilité des autorisations qui est une condition préalable à la participation aux appels d’offres, la disponibilité des terrains et les infrastructures correspondantes», explique Beatrix Fontius, la porte-parole de l’Association allemande des constructeurs mécanique et de l’ingénierie (VDMA). Les investisseurs privés font tous le même constat. «À l’heure actuelle, il faut cinq à sept ans avant même de savoir si l’on pourra réaliser son projet, expliquait au Financial Times le directeur financier du conglomérat allemand RWE, Markus Krebber. L’Allemagne ne doit pas oublier qu’elle est en concurrence avec d’autres pays lorsqu’il s’agit d’investir dans les énergies renouvelables (ER). Les entreprises ne peuvent dépenser leurs euros ou leurs dollars qu’une seule fois. Si vous le dépensez aux États-Unis, vous savez que l’installation sera opérationnelle dans un an.» Le fournisseur d’électricité EnBW ne dit rien d’autre. «Les autorités (allemandes) sont désormais plus prudentes pour accorder de nouveaux permis et de plus en plus d’autorisations sont ensuite poursuivies devant les tribunaux», constate Andreas Pick, la responsable du développement des projets d’éoliennes terrestres de ce groupe qui exploite en République fédérale 44 parcs d’une puissance totale de 500 MW.
Plus de 1.130 «initiatives citoyennes» et associations ont été fondées à ce jour pour lutter contre des projets éoliens. Ces opposants ne représentent pas la majorité de la population. Loin de là. «Les sondages montrent qu’environ 80% de la population soutient l’éolien et plus des deux-tiers des personnes interrogées affirment que notre pays n’a pas pris suffisamment de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique, affirme Christoph Zipf. Ces chiffres sont stables depuis des années. Lorsqu’on demande aux citoyens qui vivent près d’éoliennes ce qu’ils pensent de ces installations, le pourcentage de résidents qui soutiennent cette énergie renouvelable est encore supérieur à la moyenne nationale car ils ont constaté les effets positifs que pouvaient avoir les turbines sur leur commune. Les statistiques montrent en effet qu’une éolienne génère 10 millions d’euros de retombées économiques.
Une opposition de mieux en mieux organisée
Malgré cela, les groupements opposés à l’éolien se multiplient année après année. Leur nombre est aujourd’hui comparable à celui des associations anti- nucléaires dans le passé. Et même s’ils sont relativement peu nombreux, les « ennemis du vent » sont très bien organisés. «Ils sont issus généralement de cercles conservateurs, juge Mirko Moser-Abt, le conseiller politique et pour les affaires européennes de l’Association allemande de l’énergie éolienne (BWE). Ils invoquent souvent des arguments liés à la protection de la nature, à la conservation et à la sauvegarde des espèces mais la plupart d’entre eux ne se sont jamais préoccupés de la biodiversité dans le passé. Comme les éoliennes modifient le paysage et sont visibles de loin, elles ne sont pas toujours bien accueillies par ces conservateurs.»
Christoph Zipf fait le même constat. «Les personnes qui soutiennent les initiatives citoyennes sont souvent plutôt âgées, éduquées et riches, énumère le porte-parole de WindEurope. Il s’agit souvent de résidents qui ont quitté la ville pour vivre à la campagne et ils ne veulent pas que des turbines troublent leur tranquillité ou perturbent leur panorama.» Les arguments qu’ils avancent pour retarder l’érection de nouvelles éoliennes sont nombreux.
La plupart des opposants critiquent notamment l’impact environnemental des turbines qui tueraient, selon eux, des milliers d’oiseaux et de chauve-souris chaque année. Le vrombissement régulier des pales perturberait également les vaches dans les champs alentour. Ces arguments n’ont pas été choisis par hasard. «Les règlements liés à la protection de la biodiversité sont très compliqués en Allemagne, déplore Christoph Zipf. Ils protègent chaque oiseau au lieu de s’intéresser aux populations d’oiseaux en général. Cette vérité ne date pas d’hier mais tous les sites les moins exposés ont déjà été utilisés et les exploitants cherchent aujourd’hui à construire des turbines dans des zones plus contestées. Les opposants sont, de leur côté, bien mieux organisés que dans le passé et ils s’échangent sans cesse des informations pour tenter de trouver des arguments juridiques supplémentaires.»
Les énergies renouvelables coûteraient également bien trop chères, selon leurs détracteurs. Une étude de l’Institut de Düsseldorf (DICE) citée par la Cour des comptes en Allemagne estime que les coûts cumulés pour 2000 à 2025 de la transition énergétique pour le seul secteur électrique devraient atteindre 520 milliards d’euros. Le prix de l’électricité pour les ménages et les PME outre-Rhin est déjà le plus élevé en Europe. Il est aujourd’hui 43 % supérieur à la moyenne de l’UE. Le système actuel de tarification de l’électricité ne risque pas d’inverser cette tendance. Bien au contraire. Le développement massif des énergies renouvelables, la modernisation du réseau électrique et la taxe sur le CO2 risquent d’entraîner la poursuite de l’augmentation du prix.
Les opposants à l’éolien montrent du doigt, par ailleurs, la dangerosité supposée des éoliennes. Entre le 11 décembre 2016 et le 3 janvier 2017, quatre éoliennes géantes ont été détruites en Allemagne. Pale tordue par le vent, nacelle écrasée sur le sol en raison du bris du mât… Une route nationale a même dû être fermée pendant une demi-journée pour permettre aux techniciens de démonter une pale qui risquait de s’effondrer. Les enquêtes ont montré que ces accidents qui se sont produits dans quatre régions avaient tous la même cause. Le système de régulation aérodynamique actif de ces modèles construits entre 1999 et 2002 qui permet de varier l’angle de calage des pales ne limitait pas assez rapidement la puissance des éoliennes lorsque le vent soufflait trop fort. Ce souci n’est pas le seul qui peut fragiliser une installation.
Dans le passé, des incendies ont déjà détruit des turbines outre-Rhin. Un système de freinage défectueux peut également provoquer l’explosion de la nacelle comme cela s’est déjà produit au Danemark. Lors d’une telle catastrophe, des débris peuvent être projetés à plus de 500 mètres de l’emplacement du mât. L’an dernier, 194 accidents d’éolienne ont été répertoriés à travers le monde. Les 2.840 incidents graves, repérés par l’association britannique de protection de l’environnement caithnesswindfarms, auraient provoqué la mort de 155 personnes.
L’ancienneté grandissante de nombreuses turbines en Allemagne pourrait accroître cette dangerosité mais les opérateurs ont pris conscience de ce problème. 1 600 installations trop anciennes d’une puissance installée de l’ordre de 2,5 GW devraient être mises hors service chaque année entre 2021 et 2026, si l’on en croit les calculs du cabinet de conseil Deutsche WindGuard. Ces démantèlements auraient, selon les opposants de l’éolien, des conséquences désastreuses pour l’environnement. Les experts de ce secteur balaient toutefois ces attaques d’un revers de la main. «Plus de 90% des turbines sont recyclables, réplique Beatrix Fontius du VDMA. Les pales, qui ne le sont pas encore, sont envoyés dans des usines au nord de l’Allemagne où elles sont broyées et brûlées et leurs résidus sont utilisés comme substitut au ciment.»
Privilégier les éoliennes marines
Les critiques de plus en plus virulentes contre l’énergie éolienne ont eu des conséquences politiques. Les maires hésitent de plus en plus à octroyer des permis de construire aux exploitants de parc car ils craignent de perdre des voix aux prochaines élections. Le gouvernement fédéral a failli aller plus loin en voulant imposant une distance minimale de 1 000 mètres entre les turbines et les zones habitées. Si une telle réglementation avait été mise en place en 2000, près de la moitié du parc actuel n’aurait pu voir le jour, selon l’institut Agora Energiewende.
L’an dernier, la grande coalition au pouvoir à Berlin a finalement décidé d’abandonner ce projet de loi. Les Lander définissent désormais leur propre réglementation mais aucun état-région ne peut, depuis l’an dernier, imposer une limite supérieure à 1 000 mètres, ce qui représente un véritable camouflet pour la Bavière qui interdisait la construction de parc si la distance entre les installations et les habitations n’était pas au minimum le décuple de la hauteur de l’éolienne. Ce virage à 180 degrés des autorités fédérales s’explique.
Pour permettre de porter à 65% la part des énergies renouvelables dans la consommation brute d’électricité d’ici 2030, une nouvelle loi votée l’an dernier (EEG 2021) vise à faire passer en dix ans la capacité installée pour l’éolien terrestre de 54,4 GW à 71 GW. Les installations en mer devraient, elles, générer 20 GW en 2030 contre 7,8 GW dix ans plus tôt. Ces objectifs ambitieux semblent avoir redonné quelques espoirs aux investisseurs. La hausse du nombre de turbines érigées l’an dernier est considérée comme un signe encourageant. «L’énergie éolienne est un pilier important de la décarbonisation de l’industrie énergétique allemande et les récentes décisions du gouvernement et de la justice devraient donner à ce secteur un coup de fouet», prédit Mirko Moser-Abt.
Frédéric Therin