Après avoir connu une expansion spectaculaire pendant une quinzaine d’années, la croissance de l’éolien terrestre en Europe est tombée à son niveau le plus bas depuis vingt ans, notamment à cause du fort ralentissement subi en Allemagne et au Royaume-Uni et au marasme persistant des implantations en France. La construction de milliers de turbines est freinée par les oppositions locales et les problèmes d’autorisations et de recours juridiques qui en découlent. Ils créent trop d’incertitudes pour les développeurs qui ne cherchent plus trop à soumissionner aux enchères pour des contrats de compléments de rémunération. Quelques pays comme l’Espagne et la Suède montrent encore une certaine appétence à développer l’éolien terrestre, qui était encore il y a peu la technique EnR (énergie renouvelable) la moins chère, ce qui s’explique par leur densité démographique modérée. Le boom de l’éolien terrestre est désormais bien loin. Les fabricants souffrent: Siemens-Vestas, Enercon et Nordex suppriment des centaines d’emplois, tandis que Senvion, connu sous le nom de Repower Systems jusqu’en 2014, a déposé le bilan en 2019.
Une faible densité énergétique
Les EnR électriques, et en particulier l’éolien terrestre, rencontrent des problèmes d’occupation de l’espace qui sont inhérents à leur faible densité énergétique, ce qui les expose à des risques d’opposition locale. Concernant l’encombrement visuel (imaginons l’effet de l’installation d’une dizaine de mâts de 150 mètres de haut sur les collines d’un paysage vierge près de villages résidentiels), les motivations des opposants sont à la fois liées au heurt des valeurs des habitants (esthétique, préservation du patrimoine et des caractères des régions) et – économiques (perte de la valeur foncière, moindre attractivité touristique) et aux nuisances sonores et radioélectriques. Il n’y a rien de moins écologique que des aérogénérateurs qui stérilisent chacun 0,6 hectare de surface agricole. Les sols sont stérilisés par un socle de 1.500 tonnes de béton pour chaque pylône.
Certes, entre les éoliennes et hors les chemins d’accès, la terre est cultivable et l’herbe peut pousser. Mais il n’y en a pas moins des impacts sur l’écosystème liés à la surface totale de la ferme éolienne et à sa localisation: menaces pour l’avifaune et les chauves-souris, perturbation de l’habitat et des déplacements de la faune locale. Elle est appelée à disparaître dans un milieu qui lui était pourtant favorable. Plus un programme éolien se veut ambitieux, plus la question des sites acceptables se pose, avec le souci d’éviter les chemins migratoires, mais aussi de ne pas fragmenter localement les habitats de cette faune.
Les pays tablant sur un recours massif sur les EnR à apports variables (EnRv), notamment l’éolien terrestre, ne peuveut ignorer les contraintes physiques et politiques dues à la faible densité de leurs productions. Vers 2050, les parcs éoliens développeront en moyenne une puissance de 8 MW électriques par km2 (puissance totale divisée par l’emprise totale au sol), dont 1% artificialisé (tours d’éoliennes, transformateurs, chemins d’accès) selon les chiffres de l’Ademe. En prenant les objectifs français de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) avec 34 GW d’éolien terrestre qu’il faudrait atteindre en 2030, la surface totale des parcs en occupation au sol non exclusive serait de l’ordre de 0,6% du territoire (3.000 km2). Si l’on tient compte maintenant des productions effectives d’électricité, en TWh par an, il faudra 60 km2 de ferme éolienne pour produire 1 TWh par an, soit 6.000 km2 pour produire 100TWh.
Si, pris de façon générale, il est matériellement possible de mobiliser autant de foncier à très grande échelle, cela ne peut pas se faire sans un coût politique très élevé dans les pays européens à densité démographique moyenne ou élevée, en se confrontant à des problèmes croissants d’acceptation locale des projets, même dans ceux où les sondages sont favorables aux EnR. Partout il faudra trouver un équilibre subtil entre la recherche du soutien local, les impacts visuels et environnementaux et l’intérêt de produire de l’électricité EnR. Il faut arriver à rendre ces développements compatibles avec la préservation des paysages et encourager l’association des citoyens aux projets et l’intéressement des municipalités aux revenus des installations pour conduire à l’adhésion locale, comme cela a été longtemps le cas au Danemark et en Allemagne.
Les blocages risquent de s’étendre à la rénovation des éoliennes
Il est important de souligner que les blocages risquent de s’étendre à la ré- novation des équipements éoliens en fin de période d’autorisation et de tarifs d’achat. Les possibilités de repowering des installations d’éoliennes à terre peuvent sans doute être l’occasion de moderniser les installations par des turbines plus puissantes (3 à 5 MW au lieu de 1 MW vers 2000) et de sup- primer de nombreux mâts en préservant la capacité des installations existantes. C’est ce que compte faire le Danemark où le gouvernement prévoit de réduire le nombre actuel de machines de 4.300 à 1.850 d’ici 2030, selon l’accord politique de 2018. Mais cela ne semble pas si simple en Allemagne ou au Royaume-Uni. Outre-Manche, la plupart des parcs éoliens terrestres, qui bénéficient d’une autorisation accordée pour vingt cinq ans, doivent retirer les turbines à cette échéance. S’il existe un potentiel de rééquipement des sites en plaçant de nouvelles turbines, tous les sites ne le feront pas à cause de l’opposition locale qui engagera des recours, ou de l’empiètement de nouveaux développements à proximité. Si les sites existants ne sont pas modernisés, la production éolienne terrestre totale risque de diminuer lentement au fil du temps parce qu’en parallèle les installations nouvelles croissent trop modérément.
Vers un déclin de l’éolien terrestre allemand
Prenons le cas emblématique de l’Allemagne (lire page 40). Le pays a des objectifs très ambitieux de développement de l’éolien à terre et en mer pour porter la part de l’électricité renouvelable d’ici à 2030 de 51% à 65%, sachant qu’environ trois quarts de la capacité supplémentaire devront provenir de l’éolien. Malgré les difficultés actuelles d’implantation des installations à terre, la nouvelle loi EEG 2021 maintient l’objectif de capacité éolienne terrestre de 71 GW en 2030 (55 GW en 2020). Une installation annuelle de 2,5 GW d’éoliennes terrestres serait nécessaire pour atteindre cet objectif, car les fermetures des installations mises en place il y a vingt ans vont commencer avec la fin des contrats de tarifs d’achat de vingt ans (on compte déjà sur des fermetures probables de 1 GW en 2022).
Mais les installations annuelles sont en forte baisse depuis 2017. Seul 0,9 GW a été installé en 2019, et 1,4 GW en 2020, ce qui est nettement inférieur à la moyenne de 4,3 GW/an au cours des années 2014-2017. Conséquence de la crise de l’éolien à terre, le gouvernement cherche à accélérer le développement des projets en mer en rehaussant l’objectif d’installation en 2030 de 5 GW (25 GW au lieu de 20 GW).
Le développement rapide de l’éolien à terre depuis 1995 a suscité des mouvements croissants de protestation qui sont de plus en plus efficaces depuis la fin des années 2010. Selon le site web Windwahn.de («délire éolien»), plus de 660 initiatives citoyennes actives se sont opposés aux projets d’énergie éolienne depuis quinze ans. Des groupes nationaux tels que Vernunftkraft («le pouvoir de la raison») et des avocats spécialisés offrent leurs services aux résidents locaux pour s’opposer aux projets devant les tribunaux, en intentant des recours juridiques liés à la conservation des espèces, la pollution sonore, la protection des monuments, les interférences radioélectriques, l’impact visuel de mâts de plus en plus grands. Pour apaiser les oppositions, certains Länder, dont celui de Bavière, ont introduit en 2014 une règle prévoyant une distance minimale de 1.000 mètres entre les éoliennes et les zones résidentielles (10 fois la hauteur du mât et de l’hé- lice). Cela a contraint fortement les nouvelles installations en réduisant de 40 % la surface accessible.
Les difficultés d’obtention d’un permis ont créé beaucoup d’insécurité juridique, car la plupart des projets sont contestés devant les tribunaux de façon de plus en plus professionnelle. Ceci refroidit les candidatures à soumettre aux enchères pour l’obtention de contrats de garanties de revenus, qui n’ont pu obtenir des soumissions suffisantes pour la capacité voulue ces trois dernières années. Il n’y a guère de nouveaux projets qui ne se trouvent confrontés à des recours juridiques. Aujourd’hui, entre la signature d’un contrat d’occupation des sols et la mise en service d’une installation, il faut soixante mois contre quarante mois antérieurement. Même certains projets sélectionnés à la suite des enchères pour les renouvelables ne sont toujours pas réalisés car ils n’ont pu disposer des permis nécessaires.
Une solution par la participation citoyenne aux projets?
L’atténuation de ces problèmes d’acceptation pour trouver l’adhésion aux projets locaux a été traditionnellement recherchée par l’association étroite du public aux phases de préparation des nouveaux projets. Mais surtout, elle a été longtemps facilitée par le développement de projets éoliens par des coopératives impliquant les habitants, les agriculteurs ou les municipalités avec l’appui du réseau des banques locales très puissant en Allemagne. Il y avait 1.024 coopératives enregistrées en 2016, dont 967 fondées depuis 2008. Le pic de créations a été en- registré en 2011, avec 200 nouvelles coopératives, mais en 2016, seules 27 coopératives ont été créées. En 2018, pour toutes les renouvelables électriques, hors hydraulique (100,3 GW), 42% correspondaient à des coopératives. Les contraintes sur les nouveaux projets coopératifs sont dues à l’augmentation de la taille des turbines (passage de kW à MW), des projets (de moins de 1 MW à plus de 10 MW) et celle des ressources en capitaux à mobiliser, qui ont rendu de plus en plus difficile la mise sur pied de projets coopératifs. Le passage en 2017 du dispositif des tarifs d’achat très simple aux contrats de complément de rémunération attribués par enchères a compliqué un peu plus la tâche pour les projets coopératifs, compte tenu des compétences nécessaires pour candidater, mais aussi pour gérer les installations dont les productions (qui ne bénéficient de l’obligation d’achat par les réseaux) doivent être vendues sur les marchés horaires.
Beaucoup de réflexions ont porté ces dernières années sur le sujet de l’adhésion des communautés locales avec des pro- positions qui ont été discutées lors de la conférence de concertation sur l’éolien organisée en septembre 2019 par le ministre de l’économie Peter Altmaier pour assurer la poursuite durable du développement de l’éolien à terre. L’objectif recherché est de faciliter la mise à disposition de surfaces pour l’installation de parcs éoliens et accélérer l’octroi des autorisations en limitant les recours juridiques et en facilitant l’adhésion locale. L’idée est de transformer le syndrome NIMBY (Not In My Backyard ou «Pas dans mon jardin») en une tendance PIMBY (Pay In My Backyard ou «Payer dans mon jardin») où l’attitude des citoyens résidents deviendrait «S’il vous plaît dans mon jardin» s’ils ont le sentiment de recevoir une part adéquate des bénéfices des installations. Ce peut être par leur participation au capital des sociétés de projet avec des cessions gratuites ou peu chères d’actions, ou encore par le versement aux municipalités d’un « euro éolien », c’est-à-dire d’une part des bénéfices générés par les parcs éoliens, et pas seulement des taxes locales. Le gouvernement a adopté fin 2019 un plan en 18 points pour améliorer la procédure des permis, incluant ces mesures d’intéressement. Certaines ont été introduites dans la nouvelle loi EEG de début 2021. L’avenir dira si le mouvement d’installations peut reprendre.
À noter que ça ne résoudra pas le problème des installations en fin de période de vingt ans quand il faudra se lancer dans du repowering. Deutsche Windguard estime qu’environ 50 % des parcs éoliens actuels ne pourront pas être rééquipés en raison de la modification des plans d’aménagement du territoire. 20 à 30% supplémentaires ne seront probablement pas rééquipés en raison de nouvelles restrictions d’aménage- ment dues à des implantations ou à des préoccupations liées à la faune. Ce qui est une mauvaise nouvelle, car les anciennes installations sont généralement les mieux acceptées par la population locale, qui s’y est habituée depuis les vingt ans de leur implantation.
Dominique Finon
Les cas britanniques et français
Au Royaume-Uni, Boris Johnson vient d’annoncer un objectif ambitieux de développement des EnR électriques dans le cadre de l’accélération de la politique de transition avec l’objectif de 37% de part d’EnRi en 2030 (contre 20 % environ en 2020). Mais tandis que l’éolien terrestre avait connu un développement rapide entre 2010 et 2016 en passant de 4,2 GW à 13 GW, il croît lentement depuis en n’atteignant que 14,2 GW en 2020. Seules huit demandes de parcs éoliens terrestres pour des sites nouveaux ou des extensions ont été soumises en Angleterre entre 2016 et 2020, contre 237 demandes entre 2011 et 2015. Seules 16 nouvelles turbines ont obtenu un permis de construire entre 2016 et 2020, sur sept sites distincts, contre 435 turbines sur 108 sites entre 2011 et 2015. Les obstacles récents viennent des contraintes mises sur les autorisations.
Les conseils municipaux n’accordent l’autorisation d’un nouveau parc éolien que s’ils répondent à deux exigences. D’abord tous les problèmes d’aménités identifiées par la population locale doivent avoir une réponse. Ensuite, depuis une loi de 2015 introduite par les députés conservateurs, le projet doit être situé à un endroit désigné comme propice dans un plan local spécifique défini par les autorités locales. Ce qui est d’autant plus contraignant que, dans beaucoup de cas, ils n’ont pas encore été définis ou le sont très tardivement car elles manquent de personnel ou de ressources pour le faire.
Alors que le gouvernement qui vise une capacité installée de 30 GW en 2030 et souhaite relancer l’éolien terrestre en rétablissant le dispositif simple de tarifs d’achat supprimé en 2017, il n’y a actuellement aucun plan pour alléger les contraintes du processus d’autorisation et rechercher plus de soutien des communautés locales. Dans un tel contexte, les développeurs ne prennent pas le risque d’engager des dépenses importantes pour préparer et soumettre une demande d’autorisation si celle-ci risque être bloquée par un petit nombre d’opposants. Le gouvernement se replie alors sur le développement de l’éolien en mer, avec l’objectif très ambitieux de passage de la capacité installée de 9,8 GW en 2020 à 40 GW en 2030.
En France, où il s’agit de doubler les capacités actuelles d’ici 2030 de 15,8 GW à 33 GW selon la PPE (qui définit une trajectoire visant 30% de production des EnRi en 2035), il faudrait atteindre un rythme de 2 GW/an de mise en service alors qu’on ne parvient à installer que 1 GW/an en moyenne depuis quelques années, du fait des ralentissements administratifs (demande d’études, etc.) et de nombreux recours juridiques à plusieurs niveaux, par des résidents locaux mais surtout par des organisations nationales telles que la Fédération Environnement Durable (FED). En 2017, dans l’ensemble des tribunaux, on dénombrait pas moins de 289 dossiers de recours. Certes 95 % sont rejetés, mais il n’empêche que le temps de développement d’un projet est de six à sept ans, plus important que ceux observables en Allemagne passés seulement de quatre à cinq ans avec les difficultés actuelles.
Une correction du processus a été récemment apportée pour réduire les délais en limitant le niveau des recours juridiques au seul niveau des cours d’appel. Ceci dit, le pouvoir politique n’est pas insensible aux protestations. Lors d’une table ronde qui s’est tenue à Pau le 14 janvier 2020, sur le thème de «L’écologie dans nos territoires» le président de la République a reconnu que « la capacité a développer l’éolien terrestre est réduite [car] le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays […]. Il y a de plus en plus de gens qui ne veulent plus voir d’éolien près de chez eux, et considèrent que leur paysage est dégradé».