L’«Airbus des batteries» semblait être une bonne idée mobilisant à l’échelle de l’Europe les ressources nécessaires pour sauver l’industrie automobile et lui permette de passer à l’électrique sans trop de casse. Après l’avoir contrainte à se lancer à marches forcées vers l’électrique sans avoir l’outil industriel pour cela, l’Europe tentait de retrouver une souveraineté dans une industrie stratégique. Cette ambition n’aura pas duré deux étés. Ce qui ne veut pas dire qu’individuellement certains constructeurs ne parviendront pas à retrouver une certaine autonomie économique et technologique. Mais lancé réellement en janvier 2020, le projet de regrouper les forces automobiles européennes s’est fracassé sur les réalités industrielles et économiques.
Un marché aux mains des groupes asiatiques
Le marché automobile n’a rien à voir en terme de concurrence, d’acteurs et de croissance potentielle avec ce qu’était l’aviation civile dans les années 1970 quand le GIE Airbus a vu le jour. Et puis quand la communication politique s’empare de projets industriels, il faut faire attention aux discours enthousiastes et volontaires. L’inauguration en fanfare par Emmanuel Macron au début de la semaine de la future usine de batteries de Douai en apporte une nouvelle démonstration. Car elle signifie la fin de l’«Airbus des batteries» et le chacun pour soi des constructeurs automobiles européens et français. Leurs fournisseurs asiatiques peuvent se frotter les mains.
Ainsi, contrairement aux propos enthousiastes du Président de la République, l’installation en France du puissant conglomérat industriel chinois Envision, qui va fournir des batteries à Renault, n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’avenir de l’automobile français en terme financier comme technologique. Il s’agit d’un nouveau coup porté à l’«Airbus de la batterie», grand projet de souveraineté européen lancé il y a moins de deux ans.
Les choix européens en matière automobile ont mis aujourd’hui dans une situation périlleuse l’industrie automobile européenne. Elle était encore il y a quelques années dominante. Elle est contrainte de se lancer à marches forcées dans l’électrification mais ne possède pas l’outil industriel pour cela. Promouvoir la voiture électrique revient ainsi aujourd’hui à gonfler les carnets de commande, déjà bien garnis, des industriels asiatiques et plus particulièrement chinois qui fournissent la quasi-totalité des batteries aux constructeurs européens.
Une véritable guerre des batteries
Non seulement, l’industrie automobile européenne a perdu son avance technologique mais elle est dépendante pour passer à la motorisation électrique à batteries de fournisseurs asiatiques. Environ 85% des cellules de batteries lithium-ion produites dans le monde sortent aujourd’hui d’usines chinoises. Même les groupes japonais et coréens produisent dans ce pays. Et les batteries sont l’élément majeur d’un véhicule électrique. Elles représentent une grande partie de son coût de fabrication (environ 40%), de sa valeur ajoutée et de ses performances.
Le marché des batteries lithium-ion de véhicules électriques est aujourd’hui entre les mains de six groupes industriels: le Japonais Panasonic, les Sud-Coréens LG-Chem et Samsung SDI, les Chinois Contemporary Amperex Technology (CATL) et BYD et l’Américain Tesla. Ils assurent plus de 80% de la production mondiale.
L’Airbus de la batterie lancé il y a deux ans se voulait une réponse européenne, sans doute déjà tardive, à un retard industriel et technologique. Mais il mésestimait totalement la réalité du marché automobile mondial et les enjeux pour les constructeurs. Ces derniers jouent leur survie dans un environnement extrêmement concurrentiel et font face à de nouveaux acteurs chinois et américains. Ils sont pour la plupart en retard sur le plan technologique et très endettés. Ils ont été touchés par les conséquences économiques de la pandémie et aucun d’entre eux ne gagne de l’argent en vendant un véhicule électrique.
Résultat, on assiste à un sauve-qui-peut industriel et à un chacun pour soi le tout alimenté par une course aux subventions. Il existe ainsi aujourd’hui dans toute l’Europe pas moins de 38 projets différents d’usines de fabrication de batteries pour un total d’investissements de 40 milliards d’euros. Au moins 17 projets auraient aujourd’hui des financements suffisants. Mais faut-il encore que le marché bascule bien totalement vers l’électrique à batteries, que la demande suive, que les technologies ne soient pas rapidement dépassées et que l’approvisionnement en matières premières, notamment lithium, cobalt et nickel, puisse suivre. Sans surprise, la Chine a pris de l’avance et cherche depuis des années à contrôler les marchés de ses métaux stratégiques.
Comme le résume Philippe Escande dans Le Monde: «Dans un système capitaliste, y compris en Chine, l’innovation est stimulée par la concurrence, pas par la mise sous tutelle… Sitôt posée la première pierre d’un projet baptisé un peu rapidement ainsi [Airbus de la batterie], en janvier 2020, les pouvoirs publics français, qui rêvaient de placer sous un même toit les constructeurs automobiles français et allemands, ont compris que les choses ne se passeraient pas comme cela. Le projet ACC, qu’ils ont porté à bout de bras, ne réunira finalement que deux entreprises françaises, Stellantis et Saft, la filiale de Total, ce qui n’est pas vraiment la définition d’un projet paneuropéen de grande ampleur.» Cette usine n’aura d’ailleurs comme client que… Stellantis.
Une formidable opportunité pour l’industrie chinoise
PSA devenu Stellantis et Renault sont avant tout des concurrents. Et Renault a fait le choix d’un fournisseur chinois a qui la France a déroulé le tapis rouge quand Emmanuel Macron, accompagné par une ribambelle de ministres, a lancé les travaux de la future usine. Cela représente deux milliards d’euros d’investissement pour créer 1.000 emplois sur place d’ici à 2025 et 2.500 d’ici à 2028. Sur cet investissement, il y aura «plus de 200 millions d’euros d’argent public aux côtés des industriels» venant des collectivités locales et de l’Etat français et près de 100 millions de fonds européens.
Envision a repris en août 2018 les activités de batteries de Nissan le partenaire de Renault. Renault qui équipe depuis 2011 ses Zoé électriques de batteries fabriquées par le Coréen LG Chem change ses sources d’approvisionnement pour avoir les mêmes que son allié Nissan. Mais cela renforce un peu plus la présence en Europe des industriels asiatiques dans un domaine stratégique.
LG Chem et Samsung SDI sont ainsi installés en Hongrie et en Pologne. Envision compte annoncer très prochainement un accord avec Nissan en vue de la construction d’une usine en Angleterre. Elle sera sans doute implantée près de Sunderland, là où Nissan produit ses véhicules. CATL a pour sa part des projets avancés en Allemagne.
Et ce n’est pas tout. Fin 2020, Tesla a annoncé la construction à Berlin avec Panasonic de «la plus grande usine mondiale de batteries» à l’occasion de la construction de son premier site de fabrication de véhicules en Europe. L’américain a prévu de fabriquer plus de batteries que nécessaire pour équiper ses voitures et d’en vendre aux marques européennes. Tesla bénéficie de subventions européennes de l’ordre d’un milliard d’euros.
La Chine qui a échoué à créer une grande industrie automobile avec des voitures à moteur thermique a aujourd’hui une formidable opportunité de dominer cette industrie stratégique et entend bien la saisir.
Les stratégies du chacun pour soi
Volkswagen a compris la menace et a décidé de tourner le dos aux projets européens communs en mettant à lui seul 24 milliards d’euros sur la table pour ouvrir 6 usines d’ici 2026, et diviser par deux le coût d’une batterie. Volkswagen mise notamment sur la société suédoise Northvolt qui a réussi à lever plus de 5 milliards d’euros de prêts et de capitaux et à engranger près de 23 milliards d’euros de commandes.Volkswagen est son premier actionnaire mais s’est aussi associé à BMW et Volvo.
Renault a également son champion local, la société Verkor, qui rêve de devenir le Northvolt du sud de l’Europe. Fondée, comme l’entreprise suédoise, par un ancien de Tesla, elle est soutenue notamment par Schneider Electric et vient de conclure un accord avec Renault qui devrait prendre «plus de 20% de son capital».
Il est impossible aujourd’hui de savoir si l’industrie automobile européenne en général et française en particulier vont survivre à terme au choc technologique et économique qu’elles subissent. Il faudra attendre une décennie pour avoir la réponse. Une seule chose semble évidente aujourd’hui. Carlos Tavares, le patron de PSA et alors président de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), avait raison de fustiger il y a deux ans «l’amateurisme» de Bruxelles. Il ne s’agit pas de contester la logique des décisions prises à Bruxelles et par les gouvernements en matière de transition dans l’automobile. Mais de se rendre compte qu’elles ont été prises sans même chercher à en mesurer les conséquences industrielles, économiques et sociales.