Le fossé rhénan possède un trésor sous-terrain. A plusieurs milliers de mètres de profondeur se trouvent des nappes d’eau chaude abondantes. Elles peuvent fournir de l’énergie géothermique renouvelable, ce qui est déjà le cas en France, en Allemagne et en Suisse. Et ce qui est plus inattendu, ces réservoirs d’eau contiennent de grandes quantités de lithium.
Selon plusieurs études géologiques, sur une zone de 300 kilomètres de long et de 40 kilomètres de large le long de la vallée du Rhin au niveau de la forêt noire se trouve l’un des plus importants gisements de lithium au monde. S’il est exploité un jour, il peut totalement transformer l’industrie automobile allemande et européenne en lui donnant les moyens de son indépendance dans la fabrication des batteries et des voitures électriques. Des discussions existent déjà entre plusieurs groupes géothermiques et des constructeurs automobiles allemands. Mais pour l’instant, il s’agit seulement de projets.
Car il faudra d’abord surmonter les résistances locales. Les mésaventures survenues en Alsace avec les forages de géothermie profonde du groupe Fonroche, qui mal calibrés ont provoqué des séismes, montrent qu’il n’est pas anodin de creuser à 5.000 mètres sous terre dans des failles d’y prélever de l’eau chaude et de la réinjecter ensuite sous pression.
Mais cela n’empêche pas de l’autre côté du Rhin en Allemagne, la jeune société germano-australienne Vulcan Energy Resources d’avoir des projets d’exploitation du lithium extrêmement ambitieux pour extraire via cinq installations de l’eau chaude et du lithium. L’électricien allemand EnBW, qui possède déjà des stations géothermiques fonctionnelles, a commencé pour sa part l’étude de l’extraction du lithium, même si ce n’est pas son premier domaine de compétence. EnBW estime qu’il pourrait produire 900 tonnes de lithium par an à partir de sa centrale géothermique de Bruchsal dans la forêt noire. Les tests doivent commencer à la fin de l’année et une décision définitive sera prise en 2024.
15.000 tonnes par an d’ici 2024
Les ambitions de Vulcan Energy Resources sont à une toute autre échelle. «Le gisement de lithium dont nous parlons est gigantesque et ses propriétés idéales pour notre objectif qui est de produire du lithium de haute qualité à une grande échelle industrielle en Allemagne», explique à l’agence Reuters Horst Kreufer, co-fondateur de Vulcan Energy Resources. Sa société planifie un investissement considérable de 1,7 milliard d’euros pour construire les infrastructures nécessaires pour extraire le lithium.
Elle envisage de produire 15.000 tonnes d’hydroxyde de Lithium sur deux sites d’ici 2024 et dans une seconde phase, qui commencerait en 2025, de passer à 40.000 tonnes par an avec trois sites supplémentaires. Horst Kreufer ajoute qu’il a déjà commencé des discussions avec des fabricants de batteries et des constructeurs automobiles. Mercedes et BMW sont cités. Vulcan Energy Resources bénéficie notamment du soutien d’un des grands investisseurs australiens, Hancock Prospecting.
L’Allemagne a importé l’an dernier 5.300 tonnes de lithium. La demande devrait atteindre au moins 9.000 tonnes en 2024. Bon nombre d’experts estime que la production de lithium sera insuffisante d’ici quelques années compte tenu de l’explosion de la demande provenant des batteries de véhicules électriques. Ainsi, la banque UBS a réalisé à la fin de l’année dernière une étude approfondie réservée à ses clients investisseurs sur les matières premières des batteries lithium-ion. L’une de ses principales conclusions est qu’il y aura une pénurie de lithium dans le monde d’ici 2025. La production ne pourra pas suivre la demande, faute d’investissements suffisants réalisés au cours des dernières années dans de nouvelles mines. La faiblesse des cours du lithium n’a pas incité les groupes miniers à lancer l’exploitation de nouveaux gisements. Et cette situation pourrait limiter le succès commercial des véhicules électriques.
Un métal qui n’est pas rare mais difficile à extraire
Elle explique aussi l’engouement actuel pour le lithium surnommé l’or blanc. Il a pourtant une histoire chaotique faite d’envolées et d’effondrements des cours, d’investissements hasardeux et de promesses non tenues. Le lithium n’est pas un métal rare. Mais il est enfoui profondément dans la croute terrestre. Cela signifie que pour l’extraire, il faut des mines dont l’exploitation est coûteuse et qui nécessitent des investissements de long terme pas toujours rentables au cours des dernières années. Entre 2018 et 2020, les prix du lithium se sont effondrés et ont perdu au plus bas entre 60 et 70% avant de remonter. Cela a contraint les groupes miniers à réduire leurs investissements et limiter les nouveaux projets. Conséquence, les producteurs de lithium seront incapables de faire face à une envolée de la demande inévitable dans les toutes prochaines années L’Union Européenne estime que l’Europe aura besoin pour passer massivement au véhicule électrique de 18 fois plus de lithium en 2030 qu’en 2020 et de 60 fois plus en 2050…
Aujourd’hui, le lithium est produit pour l’essentiel en Amérique du sud par évaporation de marais salants. L’Australie produit également du lithium contenu dans les roches mais par un procédé coûteux qui consomme beaucoup d’énergie et dégrade l’environnement. En Europe, le principal producteur de lithium est le Portugal, mais il fournit avant tout l’industrie de la céramique et se met tout juste à produire le lithium de haute qualité nécessaire à la production des batteries.
Selon Vulcan Energy Resources, la stabilité des cours à leur niveau actuel, de 13.000 dollars la tonne, suffit amplement à rentabiliser les investissements envisagés. Le coût d’extraction du lithium dans le bassin rhénan sera nettement inférieur. D’autant plus que la production d’énergie géothermale apportera une part importante de chiffre d’affaires pour rentabiliser plus rapidement les installations.