La Cour des comptes européenne vient de rendre public il y a quelques jours un rapport très critique sur le déploiement en Europe des bornes de recharge pour voitures électriques, des infrastructures pourtant indispensables au déploiement de ce type de véhicules. L’Union Européenne fait ainsi preuve d’incohérence. Elle incite fortement, via de lourdes amendes, les constructeurs à promouvoir la voiture électrique. Elle a l’intention d’interdire totalement dans moins de deux décennies la commercialisation de véhicules neufs à moteur thermique, mais dans le même temps les pays européens ne respectent pas leurs engagements pour doter leurs territoires de bornes permettant l’utilisation de ces mêmes véhicules électriques à batteries.
Survie de son industrie automobile et capacité de croissance de l’Europe
La question est encore plus importante qu’il n’y parait. Elle conditionne la survie d’une industrie automobile européenne surendettée qui a investi des dizaines de milliards d’euros dans la motorisation électrique. Dans le classement des sociétés les plus endettées au monde à la fin de l’année 2019, l’automobile est le secteur le plus représenté. Volkswagen est le numéro un mondial avec 192 milliards de dollars de dettes, Daimler Benz est quatrième (151 milliards) et BMW huitième (114 milliards). L’installation d’infrastructures permettant une transition sans trop de difficultés vers les véhicules électriques conditionne aussi la capacité de l’économie européenne a connaître à nouveau le développement et la croissance dans les prochaines années. Les transports sont un élément majeur et essentiel de l’activité économique.
Il faut se rendre compte du fait que la transition vers la motorisation électrique est sans précédent. Il y a une différence profonde de nature entre une rupture technologique résultant d’un progrès indéniable et d’une demande populaire massive, comme par exemple avec la révolution des téléphones portables, qui sont devenus des outils sociaux et professionnels indispensables, et la vente forcée d’un nouveau produit souvent inférieur et plus coûteux que le précédent. Pour la première fois de l’histoire automobile, une technologie est imposée non par les consommateurs ou l’industrie, mais par les pouvoirs publics.
Or, l’un des principaux freins au développement des véhicules électriques tient à l’insuffisance quantitative et qualitative du réseau de bornes électriques. Il y en a trop peu. Elles offrent une puissance et donc une rapidité de recharge souvent insuffisantes. Elles sont assez peu fiables et leur utilisation est compliquée avec une multitude de type de paiements et d’abonnements différents. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, selon un sondage réalisé au début de l’année par l’équipementier Continental, une majorité de Français et d’Allemands n’a pas aujourd’hui l’intention de passer à l’électrique.
«Pas d’objectifs clairs et cohérents»
Si le titre du rapport est assez anodin et technocratique, «Des bornes de recharge plus nombreuses mais inégalement réparties dans l’UE, ce qui complique les déplacements», sa conclusion est plus directe, «parcourir l’UE au volant d’un véhicule électrique reste compliqué». L’UE a pour mission de soutenir «le déploiement d’infrastructures de recharge électrique par les États membres en fournissant des leviers d’action et des financements, et en assurant la coordination». Elle en est loin.
Le rapport souligne que «l’UE ne s’est dotée ni d’objectifs clairs et cohérents, ni d’exigences minimales communes en matière d’infrastructures. La multiplicité des systèmes de paiement et d’information complique l’expérience des utilisateurs. Par exemple, les informations sur la disponibilité en temps réel, la recharge et la facturation ne sont guère coordonnées entre les différents réseaux»
Pourtant, dans son plan d’action de 2017, l’Europe avait un objectif ambitieux: avoir 440.000 points de charge répartis sur le continent avant la fin de l’année 2020 et un million fin 2025. À l’époque, 34.000 bornes étaient disponibles. En septembre de l’année dernière, la commission en a recensé 250.000. Le nombre de borne a donc été multiplié par plus de 7 en 3 ans. Pour autant les objectifs chiffrés ne seront pas tenus sachant que le nombre de bornes ne suffit pas. Il faut encore pouvoir les utiliser… Pour ce qui est du nombre, pour avoir un million de bornes d’ici 2025, il faudrait en implanter 3.000 par semaine durant les 4 prochaines années. Difficile à imaginer (voir le graphique ci-dessous).
Plus encore, la cour des comptes pointe du doigt ce qui est évident pour tout conducteur de véhicule électrique aujourd’hui: s’y retrouver entre tous les opérateurs et les différentes méthodes de facturation est un parcours du combattant. Selon les exploitants de points de recharge et les prestataires de services auxquels ils font appel, les conducteurs de véhicules électriques doivent souscrire plusieurs abonnements et utiliser différentes méthodes de paiement. Le problème ne sera pas résolu tant que tous les points de charge ne pourront pas être utilisés sans souscription obligatoire d’un contrat. Là encore, la partie n’est pas gagnée.
Le problème de la poule et de l’œuf
Autre problème, la répartition très inégale des bornes sur le continent qui correspond d’ailleurs étroitement à une Europe de la voiture électrique à deux vitesses. Si les ventes de véhicules électriques ont atteint des niveaux records l’an dernier en Europe, cela ne concerne en fait que les pays du nord et les plus riches. L’Europe du sud et de l’est est toujours réfractaire à la motorisation électrique. Cela s’explique avant tout par le fait que les véhicules électriques ne se vendent qu’avec des subventions massives.
De la même façon, au sein de l’Europe des 27, trois pays concentrent près de 70% de l’ensemble des bornes de recharge: l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. On peut parler dans le reste de l’Europe, surtout à l’est et au sud, de déserts électriques. Cela rend tout simplement impossible les déplacements dans ces pays avec des véhicules électriques.
L’explication première de cette insuffisance d’infrastructures et de la lenteur de leur mise en place est en fait avant tout économique. Les taux d’utilisation actuels des bornes de recharge sont trop faibles pour assurer une rentabilité aux opérateurs. Il s’agit d’un paradoxe: beaucoup plus de bornes sont nécessaires pour développer et installer la mobilité électrique en Europe, mais les bornes existantes sont sous-utilisées et trop peu rentables. L’histoire éternelle de la poule et de l’œuf comme le souligne d’ailleurs avec un certain humour le rapport de la Cour des comptes européenne.