Il s’agit enfin d’une bonne nouvelle pour la filière nucléaire française. Le réacteur nucléaire de troisième génération de conception française, EPR, dont la construction a été lancée en 2005 par Areva va enfin entrer en service. Il s’agit du vrai prototype de l’EPR, construit à Olkiluoto en Finlande, sur une île dans le sud-ouest du pays (voir photographie ci-dessus). L’autorité finlandaise de sûreté nucléaire vient de donner il y a quelques jours son feu vert au chargement du combustible dans le réacteur. Le démarrage commercial devrait intervenir au début de l’année prochaine… avec plus d’une décennie de retard.
Les deux EPR chinois sont en service depuis 2018 et 2019
Il s’agira en fait du troisième réacteur EPR à entrer en service après les deux chinois, Taishan 1 et Taishan 2. Ils fonctionnent respectivement depuis décembre 2018 et décembre 2019 dans une centrale qui se situe à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong. Leurs constructions ont été lancées en 2009 et 2010. Ils fonctionnent parfaitement avec un taux d’utilisation de 7.500 heures par an, soit 86% du temps et fournissent de l’électricité à environ 5 millions de personnes. Leurs chantiers auront tout de même eu cinq ans de retard sur le calendrier initial et le coût total de 12,2 milliards d’euros par réacteur aura été supérieur de 60% au budget prévu…
Trois autres EPR sont aujourd’hui en construction dans le monde, un en France à Flamanville commencé en 2007 et qui devrait entrer en service en 2023 et deux au Royaume-Uni à Hinkley Point dont les chantiers ont été lancés en décembre 2018 et décembre 2019. Le Royaume-Uni envisage d’en construire deux supplémentaires.
Un incident en mars 2020
Après le chargement de l’uranium, l’étape suivante à Olkiluoto sera celle des premiers essais «à chaud». Ensuite, en octobre, le réacteur sera connecté au réseau électrique. Sa mise en service commerciale est prévue en février 2022. Elle aurait dû intervenir cette année car le chargement du combustible était programmé en juin 2020. Il a été retardé à la suite d’un énième incident lors d’un test effectué il y a un an en mars 2020. Il a été constaté alors la défaillance d’une soupape de sûreté du pressuriseur, un élément essentiel de la sûreté du réacteur dont la fonction est de réguler la pression et la température du circuit primaire de vapeur. Les soupapes de sûreté du pressuriseur du réacteur nucléaire permettent de relâcher la vapeur au cas où la pression devient trop forte dans le circuit primaire. Il y en a trois dans l’EPR.
Une surpression non maîtrisée, si les soupapes ne s’ouvrent pas, peut conduire à la rupture de la cuve. Si les soupapes de sûreté ne se referment pas, cela peut conduire à un accident tout aussi grave, la vidange du circuit primaire et la fusion du combustible nucléaire. L’accident nucléaire à la centrale de Three Mile Island (Etats-Unis), le 28 mars 1979, a été provoqué en partie parce qu’une vanne du pressuriseur ne s’était pas refermée, ce qui a entraîné la fusion partielle du combustible.
Dans son rapport sur les difficultés de l’EPR de Flamanville, remis en octobre 2019, Jean-Martin Folz pointait les difficultés liées à ces soupapes comme l’une des causes des «dérives» du réacteur. «Ces soupapes fabriquées par un fournisseur allemand et issues de la technologie du réacteur Konvoi s’avèrent très difficiles à qualifier aux conditions normales et accidentelles selon les règles françaises». En 2017 et 2018, des dysfonctionnements des soupapes s’étaient produits lors d’essais et avaient contraint EDF à en revoir plusieurs fois la conception. Le problème a maintenant été réglé en Finlande, mais aussi sur l’ensemble des EPR.
Un prototype qu’il aura fallu plus de 15 ans pour développer
Confiée à un consortium entre Areva l’ex-fleuron français du nucléaire et l’allemand Siemens, la construction de l’EPR finlandais a commencé en 2005. C’était le premier réacteur de ce type a être construit et le symbole de ce qui devait être à l’époque une renaissance de l’atome civil. Mais l’EPR finlandais comme son équivalent français de Flamanville dont la construction a été lancée deux ans plus tard a connu une succession ininterrompue de retards, de problèmes techniques et de surcoûts. Il devait initialement être mis en service en 2009 et se joindre alors aux deux réacteurs classiques existants à Olkiluoto.
Cette longue série de retards qui s’est étendue sur plus d’une décennie a créé de fortes tensions entre l’opérateur finlandais TVO et Areva et n’a pas été pour rien dans le démantèlement du groupe français partagé entre EDF et une nouvelle entité baptisée Orano. Areva n’a plus aujourd’hui qu’une seule activité, terminer le chantier d’Olkiluoto.
Le contentieux finlandais s’est soldé en 2018 par un premier accord coûteux pour la partie française: Areva devait verser 450 millions d’euros à TVO en compensation. L’accord prévoyait aussi un malus supplémentaire de 20 millions d’euros par mois de retard au-delà de la fin 2019.
Et pourtant, les EPR sont en théorie les réacteurs les plus sûrs au monde. Fruit d’une collaboration franco-allemande qui remonte aux années 1990 après la catastrophe de Tchernobyl, ils ont été conçus pour offrir la plus grande sûreté possible. Ainsi, les principaux systèmes de sûreté ainsi que leurs systèmes support (alimentation électrique, circuit de refroidissement, contrôle-commande) comportent quatre voies indépendantes et géographiquement séparées. Des vannes de dépressurisation ultime du circuit primaire équipent le pressuriseur afin d’«éliminer pratiquement» le risque d’une fusion du cœur. Il existe même un récupérateur de corium qui permet de refroidir le cœur fondu en cas d’accident grave. Situé au fond du bâtiment du réacteur, il permet de recueillir et de refroidir le corium (mélange résultant de la fusion du combustible et des structures internes de la cuve).
La France envisage la construction de six autres EPR après celui de Flamanville qui devrait entrer en service en 2023 mais il n’y aura pas de décision officielle avant l’élection présidentielle de 2022, la question étant considérée comme politiquement trop sensible…