Une fois encore, RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, met en garde sur la sécurité d’approvisionnement du pays. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir prévenu et de ne pas avoir ainsi montré qu’il ne pouvait être responsable de la situation… RTE estime dans son rapport sur les perspectives des dix prochaines années, rendu public cette semaine, que le risque de pénurie est important au moins jusqu’en 2024. Et sans doute au-delà.
En tout cas, au cours des trois prochains hivers, les «marges seront très faibles». Cela signifie que la France pourrait connaître des coupures et des pénuries d’électricité. Ce que France Stratégie écrivait il y a deux mois à l’échelle de l’Europe en ajoutant que la situation ne pouvait qu’empirer d’ici 2030. En novembre 2020, RTE avait déjà prévenu que l’hiver 2020-2021 pourrait être difficile. Finalement, il s’est bien passé, grâce à une météo plutôt clémente et grâce… à la pandémie qui a pesé sur l’activité économique et la demande en énergie.
La maintenance retardées des centrales nucléaires
Mais la pandémie a d’autres conséquences plus problématiquesmême si elle offre un prétexte commode. Elle aurait totalement chamboulé et retardé de plusieurs années le calendrier apparemment très serré de maintenance des centrales nucléaires et donc de leur niveau de production. D’ici à 2025, pas moins de 21 réacteurs sur les 56 en service doivent passer la visite décennale. Cette inspection nécessite l’arrêt complet du réacteur. Elle est indispensable pour permettre de poursuivre leur activité. Comme l’explique RTE, certaines opérations de maintenance peuvent durer plus longtemps que prévu. L’an dernier, par exemple, le réacteur Bugey 2 (Ain) a été stoppé plus d’un an au lieu de six mois. Il est facile d’imaginer que la multiplication de retards de redémarrage de réacteurs pourrait réduire fortement la capacité de production.
Il faut évidemment ajouter à cela les retards répétés de l’entrée en service du nouveau réacteur nucléaire de dernière génération (EPR) de Flamanville. Il devrait commencer à produire au mieux en 2023… rien n’est moins sûr. RTE ne prévoit pas de toute façon son fonctionnement à pleine puissance avant le printemps 2025.
Il faudra aussi attendre 2025, au mieux, avant que les champs d’éoliennes marines commencent à produire significativement et de toute façon de manière intermittente. L’arrêt définitif l’an dernier des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, pour des raisons de pur affichage politique, n’a évidemment rien arrangé.
Maintenir en activité la centrale thermique de Cordemais
Conséquence de décisions politiques irresponsables et des défauts répétés de planification d’EDF comme du gouvernement, la situation est potentiellement périlleuse. «Le cumul de configurations défavorables ne peut être exclu, et il conduirait à un déficit de capacité de production à cet horizon [2025]», prévient RTE.
Le gestionnaire du réseau fait donc deux recommandations pas politiquement correctes. La première est «le maintien en disponibilité» de la centrale thermique d’EDF à Cordemais (Loire-Atlantique) au moins jusqu’en 2024 et sans doute jusqu’en 2026. Il s’agit de la dernière des quatre centrales au charbon française (voir carte ci-dessus). Mais il faudrait pour cela qu’Emmanuel Macron revienne sur sa promesse inconsidérée de mettre fin à l’utilisation du charbon en France en 2022 pour produire de l’électricité. RTE met notamment en avant le déséquilibre territorial de son réseau et l’isolement de la Bretagne. Il y a aussi la nécessité d’avoir des sources de production dites pilotables, mobilisables à tout moment en cas de nécessité. Car les renouvelables, éolien et solaire, sont par définition intermittents et aléatoires. Il n’est tout simplement pas possible de planifier leur production.
Le problème avec la centrale de Cordemais est qu’elle a été arrêtée, en théorie définitivement, à la mi-mars. La CGT porte un projet de transformation de la centrale, appelé Ecocombust. Il est soutenu sans grande conviction par EDF. Ecocombust permettrait au gouvernement et Président de la République de sauver la face. Car la centrale fonctionnerait avant tout avec des granulés de bois et seulement à encore environ 20% avec du charbon. L’investissement nécessaire pour adapter la centrale serait d’une centaine de millions d’euros, dont la moitié en subventions. «Les derniers essais ont été concluants et le dossier sera envoyé avant la fin du mois au ministère. La balle est maintenant dans son camp», affirme la CGT. Pour RTE, «cette opération apparaît nécessaire pour garantir l’équilibre local du système en Bretagne et le respect du critère national de sécurité d’approvisionnement, sur la période 2022-2024 a minima».
Sujet encore plus sensible à un an d’une élection présidentielle, RTE estime qu’il serait dangereux de fermer deux réacteurs nucléaires supplémentaires entre 2024 et 2026, après ceux de Fessenheim l’an dernier. Cela est prévu par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), pour se conformer à la décision de ramener à 50% la part du nucléaire dans la production électrique en 2035. En tout, la France doit stopper définitivement 14 réacteurs dans les 14 prochaines années.
Mais en 2030, les problèmes auront disparu…
Mais à cet horizon, selon RTE, il n’y aura plus le moindre problème. Ils auront disparu par enchantement… Ce dont France Stratégie n’est pas du tout convaincu. «À l’horizon 2030, le système électrique français sera prêt à répondre aux mutations de l’économie et aux nouveaux modes de consommation», écrit RTE. Certes, les questions de maintenance des centrales nucléaires seront réglées, mais de nombreux réacteurs seront fermés définitivement. Et surtout ce scénario est construit sur une hypothèse très fragile, celle d’une augmentation modérée de 5% de la consommation d’électricité en 2030 par rapport à 2019.
Elle part du principe que le pays sera capable de réaliser d’importantes économies d’énergie. Mais elle est en contradiction avec la logique même de la transition énergétique qui consiste à augmenter fortement les usages de l’électricité pour se substituer aux énergies fossiles. Autre problème, les prévisions officielles de consommation électrique au cours des prochaines années sont peu fiables. Elles sont même sans cesse révisées à la hausse même si là la dimension politique et idéologique de la question contribue au fait qu’elle ne soit pas abordée de front.
La conclusion du rapport de RTE, outre la confirmation des risques grandissants de pénurie d’électricité en France et en Europe dans les prochaines années, est que l’accumulation de décisions hasardeuses et de non décisions sur le programme nucléaire et de renouvelables, vont se traduire par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Si la France manque de courant aux heures de pointe lors des prochains hivers, notamment parce que les éoliennes et les panneaux solaires produisent trop peu et les centrales nucléaires sont à l’arrêt, il lui faudra importer de l’électricité allemande… si c’est possible. Elle proviendra notamment de centrales au charbon qui tournent à plein régime l’hiver quand les températures sont basses.