Il y a dix ans, le 11 mars 2011, le tremblement de terre le plus violent jamais mesuré dans l’histoire du Japon a frappé les côtes nord-est de l’archipel. Il était suivi d’un tsunami qui a pénétré jusqu’à 10 kilomètres à l’intérieur des terres et atteint une hauteur de plus de 43 mètres à certains endroits détruisant en quelques secondes des villes entières.
Le désastre a fait 19.000 morts et disparus et a détruit la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi à 220 kilomètres au nord-est de Tokyo, répandant des matériaux radioactifs sur une large zone. L’accident a déclenché une évacuation massive des populations, des pertes économiques considérables et l’arrêt de tous les réacteurs nucléaires du Japon. Une décennie plus tard, l’industrie nucléaire japonaise ne s’est pas remise du tsunami qui l’a frappé, au sens propre et figuré.
Une accumulation d’erreurs humaines
De nombreuses enquêtes sur l’accident, dont celles conduites par la Commission nationale indépendante japonaise mandatée par le Parlement connue sous le sigle de NAIIC et celle menée par la U.S. National Academy of Sciences, ont conclu qu’une succession d’erreurs humaines sont à l’origine de la destruction de la centrale. De mauvaises décisions prises par des opérateurs et une culture de la sécurité défaillante ont joué un rôle majeur à Fukushima comme d’ailleurs dans les deux autres grands accidents nucléaires civils à Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979 et à Tchernobyl en Ukraine en 1986.
Les enquêtes ont montré que la catastrophe aurait pu être évitée, ce qui a été le cas dans d’autres centrales japonaises tout aussi exposées à des conditions naturelles extrêmes. La centrale de Fukushima a ainsi subi deux catastrophes naturelles d’une violence inouïe. D’abord, un tremblement d’une magnitude de 9 a coupé l’alimentation électrique du site. Ensuite, le tsunami a brisé les digues qui le protégeait et l’a inondé. L’inondation a mis hors d’état les systèmes de surveillance, de contrôle et de refroidissement à de nombreux endroits dans le complexe qui comporte six réacteurs. En dépit des efforts souvent héroïques du personnel, trois réacteurs ont subi des dommages sévères qui ont touché leurs cœurs et les trois bâtiments abritant ces réacteurs ont été endommagés par des explosions.
La centrale d’Onogawa, proche de Fukushima, a été arrêtée en toute sécurité
Des matériaux radioactifs ont contaminé Fukushima et plusieurs localités proches. Pas moins de 160.000 personnes ont été évacuées et le gouvernement japonais a établi une zone d’exclusion de plus de 800 kilomètres carrés dans sa phase maximum. Mais comme le montre un rapport très récent de l’ONU, les radiations n’ont pas eu d’impact mesurable sur la santé des populations et n’ont pas augmenté les risques de cancer affirme le United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR). «C’est une catastrophe, mais pas une catastrophe en terme de radiations» explique ainsi Anna Friedl, biologiste, spécialiste des radiations. Et sur les 170 membres du personnel de la centrale exposés à de fortes radiations, l’UNSCEAR estime que deux à trois d’entre eux pourraient développer des cancers.
En fait, les conséquences de l’accident ont été nettement plus importantes pour la démocratie et son fonctionnement au Japon. Pour la première fois dans l’histoire du Japon démocratique, le Parlement a décidé de créer une commission d’enquête indépendante. Elle a conclu que l’autorité japonaise de sûreté nucléaire n’a jamais été réellement indépendante de l’industrie et du ministère de l’économie et de l’industrie. Par ailleurs, l’opérateur de la centrale de Fukushima, Tokyo Electric Power Company ou TEPCO, avait dans le passé fait preuve à de multiples reprises de négligences sur les questions de sécurité qui n’ont pas été sanctionnées. Et son évaluation des risques à Fukushima était totalement insuffisante.
L’accident aurait ainsi pu être évité comme le montre de façon éclatante ce qu’il s’est passé à la centrale de Onogawa située à 64 kilomètres de Fukushima. Elle était même plus proche de l’épicentre du tremblement de terre et a été frappée par un tsunami plus important. Ces trois réacteurs sont exactement du même type et du même âge que ceux de Fukushima et étaient soumis aux mêmes normes, contrôles et régulations. Mais les réacteurs d’Onogawa ont été éteints en toute sécurité et la centrale n’a pas été du tout endommagée. Tout simplement parce que son opérateur, la Tohoku Electric Power Company, possède une vraie culture du risque. La société a sans cesse amélioré les procédures et les équipements de sécurité et appris des tremblements de terre et des tsunamis, notamment d’un désastre majeur intervenu au Chili en 2010. Ce que TEPCO n’a jamais fait. Non seulement cette société n’avait pas de culture de la sécurité, mais en outre elle était très marquée par l’état d’esprit japonais qui met en avant la hiérarchie et l’obéissance et décourage le fait de poser des questions.
Regagner la confiance
La faute revient aussi au régulateur et contrôleur public. Comme le montre le rapport de la NAIIC, Fukushima est un exemple même de corruption de son contrôleur par une industrie. Les régulateurs japonais «n’ont pas surveillé et supervisé la sécurité nucléaire… Ils ont fait défaut à leurs responsabilités directes en laissant les opérateurs mettre en œuvre les réglementations sur une base volontaire».
Il y a aujourd’hui 440 réacteur nucléaires en service dans le monde et environ 50 en construction notamment en Chine, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, en Biélorussie, en Turquie et aux Emirats arabes unis. Pour de nombreuses institutions internationales comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’énergie nucléaire est indispensable à la transition énergétique. Mais l’industrie nucléaire, pour gagner et regagner la confiance des populations et des gouvernements, doit faire partout dans le monde de la sécurité sa priorité absolue. Elle ne survivrait sans doute pas à un nouveau Fukushima.