L’avenir d’EDF se joue en ce moment à Bruxelles. L’électricien français se trouve dans une situation financière périlleuse. Elle l’a conduit dans le piège d’une indispensable restructuration baptisée Hercule, sur laquelle le gouvernement français et la Commission Européenne se déchirent. Sans parler des syndicats qui ne veulent pas en entendre parler et sont soutenus par plusieurs partis de gauche.
Le schéma proposé par le gouvernement français, pour pouvoir injecter les dizaines de milliards d’euros -indispensables à la remise à niveau du parc nucléaire, à la fermeture des centrales les plus vieilles, à la construction d’EPR de nouvelle génération, à la poursuite du déploiement des renouvelables et à la modernisation indispensable du réseau- consiste schématiquement à renationaliser le nucléaire et l’hydraulique et ensuite à reprivatiser la partie commerciale et les énergies renouvelables.
Les marchés financiers prennent peur
Mais la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne y voit une entorse… à la concurrence et exige en contrepartie qu’EDF soit transformé en une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales. Le risque aujourd’hui est de voir EDF disparaître en tant qu’entreprise intégrée. Chaque activité, nucléaire, hydraulique, renouvelables, réseaux, commercialisation étant indépendante sous la tutelle d’une holding «sans rôle opérationnel et sans contrôle sur ses filiales» comme l’exige Bruxelles.
Une hypothèse à laquelle sont sensibles les marchés financiers tout comme au niveau de prix auquel EDF sera contraint, toujours par Bruxelles, de vendre son électricité nucléaire à ses concurrents. Sa situation financière future en dépend. Cela explique pourquoi l’action EDF a soudain dévissé lundi 25 janvier avant de se reprendre un peu mardi 26 janvier. Il a suffit d’un article publié le 25 janvier par BFM Business affirmant que les négociations entre Paris et Bruxelles étaient en train d’échouer pour que l’action du groupe s’écroule et perde jusqu’à 18% dans l’après-midi pour terminer finalement la séance à -15%. Bercy a tenté de limiter les dégâts en démentant l’échec des négociations, mais le titre EDF n’a regagné qu’un peu plus de 3% le 26 janvier.
BFM Business affirme notamment que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, entend faire plier l’Etat français. «Elle est restée sur ses positions et n’a pas voulu accélérer le calendrier», affirme une source citée par BFM Business. Bruxelles joue la montre et aurait demandé encore six mois de négociations à la France, un délai trop long pour faire voter la réforme d’EDF au Parlement d’ici la fin de l’année et pour permettre au groupe public de financer des investissements indispensables.
EDF subit depuis 20 ans une accumulation de contraintes ingérables
Les informations apportées par BFM Business sont en tout cas considérées comme très vraisemblables sur les marchés financiers. «Cet article semble suffisamment bien informé pour nous amener à envisager que cela pourrait être le cas et qu’une impasse pourrait avoir été atteinte, aussi surprenant que cela puisse paraître», écrit ainsi la banque JP Morgan dans une note aux investisseurs.
EDF paye aujourd’hui très cher le prix d’une accumulation de contraintes ingérables qui lui ont été infligées par les gouvernements successifs depuis vingt ans. L’électricien est écartelé entre l’État régulateur, l’État actionnaire et l’État stratège. L’entreprise publique doit maintenir des ventes d’électricité à des tarifs règlementés tout en se voyant imposer le dispositif ahurissant de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) pour permettre une concurrence artificielle exigée par Bruxelles. EDF doit ainsi offrir son électricité nucléaire amortie à ses concurrents mais doit investir à grands frais dans le nouveau nucléaire et la rénovation de l’existant à des coûts amplifiés par une surenchère permanente en matière de sûreté de l’autorité la plus sévère au monde.
EDF a par ailleurs cessé d’investir dans l’hydraulique, du fait d’un différend entre l’État français et Bruxelles sur l’ouverture à la concurrence, et subit le développement hors marché des énergies renouvelables intermittentes qui laminent ses marges. Enfin, l’entreprise publique doit préserver les avantages sociaux et la cogestion avec les syndicats tout en subissant la concurrence d’entreprises qui n’ont pas les mêmes contraintes. Le résultat quasi mécanique de cette accumulation invraisemblable est l’alourdissement de sa dette, des pertes continues de parts de marché et la disqualification d’EDF sur les marchés financiers.
Le gouvernement pourrait encore chercher à gagner du temps jusqu’à l’élection présidentielle
L’affaiblissement continu du groupe public, qui jusqu’en 2017 était encore le premier électricien mondial, est une calamité pour la transition comme pour la capacité de la France à maîtriser son avenir énergétique. Car la transition passe nécessairement par une électrification plus grande des usages, notamment dans le transport, la chaleur et l’industrie. Si EDF n’est plus une entreprise intégrée, cela se traduira tôt ou tard par un appauvrissement du pays. Il se manifeste déjà par le risque grandissant de pénurie d’électricité.
Face à la difficulté de la négociation avec Bruxelles et à la fronde syndicale, le gouvernement est tenté de gagner du temps en reportant tout simplement la question de l’avenir d’EDF et de la stratégie électrique du pays à 2023, après l’élection présidentielle. Encore un renoncement…
A lire, le dernier numéro du magazine Transitions & Energies.