Il s’agit d’une question souvent négligée voire ignorée, mais elle est plus importante pour la réussite de la transition énergétique que d’installer des éoliennes et des panneaux solaires. Les huit plus grandes chaînes d’approvisionnement mondiales représentent plus de 50% des émissions de CO2. Il s’agit de l’alimentation, la construction, la mode, l’électronique, les produits de grande consommation, l’automobile, les services professionnels et les transports de marchandises. Un rapport récent du World Economic Forum et du Boston Consulting Group montre que décarboner ces huit chaînes d’approvisionnement se traduirait seulement par une augmentation des prix de 1% à 4% de nombreux produits quotidiens pour les consommateurs.
Productions agricoles et industrie lourde
Il montre également que les dirigeants d’entreprises font une erreur quand ils négligent de faire pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils décarbonent de bout en bout leurs chaînes d’approvisionnement. Car contrairement aux idées reçues et pour de nombreuses entreprises, notamment celles qui s’adressent directement aux consommateurs, les émissions provenant de leurs fournisseurs sont bien plus importantes que celles provenant de leurs propres activités de fabrication et de distribution.
«Pour un distributeur typique de produits alimentaires ou de vêtements, par exemple, seulement 5% de ces émissions proviennent de la fabrication et celles générées par la chaîne d’approvisionnement peuvent être 5 à 10 fois plus importantes», écrit le World Economic Forum. Pousser leurs fournisseurs à diminuer leur empreinte carbone permettrait à de nombreuses sociétés d’avoir un impact bien plus important qu’en s’occupant uniquement de leur propre activité. En y ajoutant la dimension planétaire aujourd’hui de nombreuses chaînes d’approvisionnement, le potentiel est considérable car des actions menées par des sociétés à un bout du monde ont un effet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’autre bout et dans des pays ou cela n’est pas une priorité politique.
Quand on regarde les huit chaînes d’approvisionnement essentielles, il est tout de suite évident que les productions agricoles et provenant de l’industrie lourde représentent la grande majorité des émissions liées aux produits que nous consommons quotidiennement. Cela signifie que ces activités doivent devenir la priorité de la transition, même si cela est techniquement et économiquement difficile. Dans de nombreux domaines clés, les engrais et l’ammoniac, la sidérurgie, la production de ciments, la pétrochimie, les technologies de substitution aux énergies fossiles sont loin d’être développées et économiquement viable.
Pouvoir partager les coûts avec le consommateur final
Mais pour le World Economic Forum et le Boston Consulting Group, la taille de ces activités et les milliards de consommateurs qu’elles alimentent indirectement offrent la solution. «Les matériaux de base comme l’acier, le ciment, les produits chimiques peuvent être très coûteux à décarboner pour leurs producteurs. Mais quand ces coûts sont partagés par le consommateur final, le fardeau devient bien plus léger».
Pour le World Economic Forum, il est indispensable que les sociétés qui ont une relation directe avec les consommateurs, qui ont souvent les marges les plus élevées et une base de clients engagés auprès de leurs marques, collaborent avec leurs fournisseurs. Elles doivent les inciter à agir et financer leur transition. «Quand la collaboration est bien menée, cela change la donne…».
La chaîne d’approvisionnement de l’industrie automobile offre un bon exemple. Le rapport du World Economic Forum et du Boston Consulting Group montre que les équipementiers qui fournissent les pièces d’origines aux constructeurs peuvent réduire jusqu’à 60% leurs émissions avec des actions qui coûtent moins de 10 dollars par tonne d’équivalent CO2. Et elles peuvent être mises en place en quelques mois. Si cela coûte bien plus cher au groupe sidérurgique de produire de l’acier décarboné pour construire une voiture, cela se traduira par une augmentation de moins de 2% du prix de la voiture pour l’acheteur. Financer le nouveau processus de fabrication est un obstacle relativement facile à franchir si le sidérurgiste et le constructeur automobile en partagent le coût.
Difficile de prendre l’initiative
Mais si cela est si simple, pourquoi ce type de pratique n’existe quasiment pas aujourd’hui? Pour le World Economic Forum, cela tient au fait que de nombreuses sociétés ne savent tout simplement pas par où commencer. Elles travaillent avec de nombreux fournisseurs qui eux même ont de nombreux fournisseurs et personne n’a une vision d’ensemble de la chaine. Il est aussi difficile de prendre des initiatives qui se traduisent par une augmentation des coûts et des prix pour des entreprises soumises à la concurrence et dont toute la logique vise à être compétitives.
Cela signifie que la pression doit venir des consommateurs, des investisseurs et des gouvernements afin d’inciter les entreprises à prendre ce genre d’initiatives. Elles doivent y voir un intérêt économique tangible et immédiat, pas seulement une «bonne action» au sens de leur responsabilité sociale.