Pourquoi le charbon résiste

14 janvier 2021

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Train Charbon Wikimedia
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Pourquoi le charbon résiste

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Le charbon assure environ 60% des besoins en énergie primaire de la Chine, le pays qui consomme le plus d'énergie au monde, et 60% de l'électricité produite par l'Inde, le troisième pays le plus consommateur d'énergie. Il est pourtant responsable de près de la moitié des émissions de CO2 dans le monde provenant de l'énergie. Mais pour des raisons de coûts, d'indépendance énergétique et de facilité technique d'utilisation, son déclin est lent.

À l’heure des énergies renouvelables, le charbon a-t-il un avenir? Est-il en mesure de se transformer en énergie propre, comme le promettent certains? Les exploitations minières laisseront-elles un jour derrière elles des terres vierges de pollution et des régions en mesure de se redynamiser?

Le charbon constitue une source d’énergie présentant un certain nombre d’avantages: ses réserves mondiales sont importantes et pourraient, selon les estimations, être exploitées pendant encore un siècle et demi. Il se transporte aisément, n’est pas toujours coûteux, mais s’avère très polluant. Responsable de près de la moitié des émissions de CO2 dans le monde, il rejette des gaz soufrés, des oxydes d’azote ainsi que des particules fines.

Actuellement, 36% de l’électricité mondiale est produite dans des centrales à charbon, dont le nombre augmente notamment dans des pays qui s’accordent… sur la nécessité de protéger le climat !

La Chine et l’Inde n’ont pas renoncé au charbon, au contraire

Depuis quelques années, en Chine, de nombreuses centrales électriques ont été construites. Or, l’empire du Milieu est déjà le plus important émetteur de gaz à effet de serre dans le monde. Dans ce pays où 60% des besoins en énergie primaire sont assurés par le charbon, un marché national du CO2 a été mis en place fin 2017.

En Inde, la production et la consommation de charbon augmentent également et le secteur emploie quelque 350.000 personnes. 60% de l’électricité indienne provient de la houille, mais comme en Chine, le gouvernement dit vouloir encourager les énergies renouvelables… En Asie du Sud-Est, en Indonésie et au Bangladesh, de nouvelles centrales électriques au charbon ont été prévues pour être construites respectivement à Kalselteng 2 dans l’île de Kalimantan et à Matarbari, district de Cox Bazar, dans le Sud-Est du pays.

En Afrique, une centrale électrique au charbon a été mise en route fin 2018 à Safi, au Maroc, alors que le gouvernement chérifien annonce être capable en 2030 de produire un plus de la moitié de son électricité grâce aux énergies renouvelables. L’Afrique du Sud ne fait pas exception avec Medupi 2, dans la province de Limpopo. Sa nouvelle centrale électrique est alimentée par le charbon de la mine à ciel ouvert de Grootegeluk située non loin, 3.200 personnes y travaillent.

Grand pollueur, les États-Unis ont vu en 2019 leur consommation de charbon plonger au plus bas depuis 1975, grâce notamment à la fermeture d’une cinquantaine de centrales électriques. Selon un rapport indépendant, rédigé par le groupe Rhodium, les émissions de CO2auraient diminué d’environ 2% au cours de la même période. Pourtant, en Virginie, dans de petites communautés charbonnières depuis longtemps en déclin – à l’image de Logan et de Dixie, bourgades blotties au cœur des Appalaches –, les habitants appauvris ont placé tous leurs espoirs en Donald Trump, grand défenseur du «King coal» (le charbon roi).

En Australie, où ce minerai est exploité depuis la fin du XVIIIe siècle sur la côte au nord de Sydney, la grande époque du charbon tire à sa fin. Pays exportateur, l’Australie voit ses plus gros clients, le Japon et la Chine, mettre un frein à leurs commandes.

Comme dans d’autres pays, des mouvements de protestation ont éclaté contre des projets d’ouverture de mines jugées trop polluantes. Les banques semblent, quant à elles, hésiter à financer ce type de projet. Si Glencore, une société suisse présente en Australie, n’abandonne pas le charbon, elle se tourne néanmoins progressivement vers d’autres minerais, tels que le cobalt, le cuivre et le nickel, censés favoriser la transition vers les énergies renouvelables.

Une place marginale en Europe, sauf pour l’Allemagne et la Pologne

À l’échelle mondiale, le poids du charbon européen est marginal. À terme, sa production est sans doute destinée à disparaître. Alors qu’en Allemagne près de 40% de l’électricité provient toujours de la combustion de la houille et de la lignite, les autorités disent vouloir «sortir» du charbon. Or, en 2019, la construction d’une nouvelle centrale électrique à Datteln, dans le land de Rhénanie, a été mise en route…

En Pologne, où le charbon est à l’origine d’environ 75% de l’électricité, les dirigeants déclarent vouloir en avoir fini avec ce minerai, dont le coût de production est relativement élevé… mais pas avant 2050! En Serbie, c’est grâce à des prêts chinois qu’une unité thermique a récemment été construite, à Kostolac sur le Danube.

Au Royaume-Uni, à Whitehaven, dans le comté de West Cumbria, où une mine de charbon sous-marine a été exploitée jusqu’en 1986, la communauté de communes a accordé le 2 octobre dernier, un permis de construire à la West Cumbria Mining (WCM). Cette compagnie prévoit d’extraire 3 millions de tonnes de houille par an, destinées à la production d’acier. Mais les écologistes sont vent debout et le gouvernement n’a pas encore donné son accord pour le lancement du chantier.

En France, quatre centrales électriques sont encore en activité. Celle de Cordemais (Loire-Atlantique) continuera, à bas régime, jusqu’en 2024, voire 2026. Au Havre (Seine-Maritime) et à Saint-Avold (Moselle), la fin est programmée respectivement pour avril 2021 et 2022. Enfin, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), la fermeture devrait avoir lieu prochainement, le président Emmanuel Macron s’étant engagé à mettre un terme à leur activité avant la fin de son mandat. En France, 1,5% à 2% de l’électricité est produite avec du charbon et «seulement» 1.400 emplois sont concernés par cette mesure.

Quelle reconversion pour les sites miniers?

Une fois les centrales électriques fermées et les bassins miniers abandonnés, est-il possible de donner une nouvelle vie à ces lieux et de proposer des alternatives aux employés du secteur? La tâche est très difficile, comme nous le rappelle l’exemple du bassin du Nord-Pas-de-Calais en France et celui des anciennes régions minières d’Angleterre.

Même des expériences qui se voulaient novatrices n’ont pas été pas convaincantes, à l’image de celle lancée par l’ONG «Mined mines» dans les Appalaches, région minière nord-américaine en déshérence. Destinée à réorienter les ex-mineurs dans les métiers du codage informatique pour les aider à trouver un emploi lucratif tout en demeurant dans leur région d’origine, elle a beaucoup déçu.

Sur le front des dégâts écologiques causés par l’exploitation minière, rappelons qu’ils ne concernent pas uniquement le charbon. À Cuidanovita, ville minière située dans les montagnes roumaines du Banat, où l’uranium a été exploité à partir des années 1960 par une société roumano-soviétique, l’extraction est au point mort. Les anciens ouvriers mineurs et leurs familles vivent au milieu de fortes radiations émanant de terrils radioactifs. Ils se servent d’une eau provenant d’une nappe phréatique dont le taux de pollution est extrêmement élevé.

En France, à Salsigne (Aude), située à une vingtaine kilomètres de Carcassonne, l’extraction de l’or s’est arrêtée en 2004. La vallée de l’Orbiel, dite «Vallée de l’arsenic», site de l’ancienne plus grande mine d’or de France, est désormais le lieu le plus pollué de l’Hexagone.

Même la France

Comment, dans l’avenir, poursuivre l’activité minière dans de meilleures conditions? Le charbon peut-il véritablement devenir «propre» grâce au système prôné par certains défenseurs du «carbon capture and storage» (CCS)? Cet ensemble de techniques a pour objectif d’améliorer le rendement, de diminuer les émissions de CO2 et de traiter les fumées, mais pour le moment son coût reste prohibitif.

Une fois le charbon abandonné, il y aura toujours des exploitations minières dangereuses et polluantes : d’uranium, de cuivre, d’étain de cuivre, de zinc, d’or… que rejettent souvent les populations locales.

En Roumanie, en Grèce et en Macédoine du Nord, des villes entières se sont opposées à des projets miniers. Lors d’un référendum organisé en 2017, les habitants de Gevgelija (Macédoine du Nord) ont voté contre l’ouverture d’une mine d’or et de cuivre à ciel ouvert de trois kilomètres de diamètre et de 700 mètres de profondeur sur le territoire de leur commune, par crainte des conséquences écologiques. Son exploitation aurait entraîné, comme à Salsigne, une pollution de longue durée à l’arsenic et au cyanure, matières utilisées dans ce type de mine.

En Albanie, à Bulqizë, dans le nord du pays à 40 kilomètres de Tirana, des manifestations ont eu lieu dans une mine de chrome –substance hautement toxique– en 2011 et en 2019. Après le renvoi de leurs délégués syndicaux, les mineurs se sont mis en grève, y compris de la faim, pour de meilleurs salaires –les habitants de cette ville sont parmi les plus pauvres du pays– et de meilleures conditions de travail, les mineurs intervenant à 1.400 mètres de profondeur. Des arrestations ont eu lieu et les informations sur ces conflits sont rares.

Le charbon a sans aucun doute un avenir, en particulier dans les pays qui ne peuvent se passer de son apport énergétique. La France n’a-t-elle pas, au mois de septembre dernier, relancé certaines de ses centrales thermiques? Ce recours à la houille n’empêche pas les dirigeants des pays concernés de multiplier les déclarations encourageantes au sujet du passage aux énergies renouvelables. Mais dans quel délai pourront-elles résoudre les problèmes posés par le réchauffement climatique et la pollution environnementale?

Diana Cooper-Richet Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.

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