Dans la stratégie de remplacement, au moins intermittent, des centrales nucléaires, la France suit le modèle allemand et entend accélérer le déploiement d’éoliennes terrestres. Elles sont aujourd’hui environ 8.000 et selon la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) plus de 15.000 supplémentaires devraient être installées d’ici 2035. La PPE, contrairement à ce que son intitulé indique, n’est au mieux qu’indicative et soumise aux fluctuations politiques et au principe de réalité qu’elle ignore assez souvent. Ainsi, la dernière mouture rendue publique en avril dernier ignorait presque totalement l’hydrogène dans laquelle le gouvernement a décidé 5 mois plus tard d’investir 7 milliards d’euros…
Oppositions locales grandissantes
Reste à savoir si 15.000 éoliennes supplémentaires en France en 15 ans est à la fois souhaitable et réaliste. Avant d’entrer dans les considérations techniques et économiques, il faut déjà bien mesurer les oppositions locales grandissantes et de plus en plus organisées à l’installation des éoliennes. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont souvent considérées comme des décisions prises à Paris et imposées à la France périphérique avec même parfois des relents de révolte des gilets jaunes.
Aujourd’hui en France, au moins 70% des projets éoliens terrestres font l’objet de recours. Ce qui est frappant est l’ambivalence de l’opinion à l’égard des éoliennes. Selon un sondage OpinionWay rendu public en février 2020, près de 94% des Français sont «tout à fait» ou «plutôt» favorables au développement des renouvelables. Mais ils sont seulement 45% à être prêt à accepter «qu’un parc de 5 à 10 éoliennes soit installé à moins d’un kilomètre de chez eux». Et il ne s’agit pas d’un phénomène français. En Allemagne, qui compte 30.000 éoliennes, il est devenu presque impossible d’en installer de nouvelles.
Pour ce qui est de la réalité technique française, une tribune dans le Figaro de Jean-Louis Butré, membre du groupe d’experts «Energie et vérité», permet de bien mesurer l’ampleur du projet.
Les 15.000 éoliennes terrestres devraient représenter une puissance nominale voisine de 33 gigawatts, cela correspond à 36 réacteurs nucléaires de type ancien comme les deux qui ont été fermés cette année à Fessenheim. Mais la notion de puissance nominale est très importante. L’activité des éoliennes est limitée dans le temps. Elles ne sont en France en moyenne à leur puissance nominale que 23% du temps. On est à 90% sur la durée de vie d’une centrale nucléaire. Une éolienne atteint son maximum de puissance, la puissance nominale, pour des vitesses de vent élevées, voisines de 65 à 70 km/h, et s’arrête pour des vents inférieurs à 10 ou 15 km/h. Elle doit être mise hors service pour éviter une casse au-delà de la vitesse de mise en sécurité de l’ordre de 90 km/h.
Une énergie extensive qui nécessite des surfaces et des constructions importantes
L’autre problème des éoliennes est qu’il s’agit d’une production d’électricité non pas intensive mais extensive. Elle nécessite des surfaces importantes et des constructions importantes pour offrir une certaine puissance. Ainsi, pour construire les socles en béton de 15.000 éoliennes, il en faudra plus de 36 millions de tonnes. Jean-Louis Butré a calculé que cela correspond à une file de 1,8 million de camions toupies de 20 tonnes dont la longueur ferait presque la moitié du tour de la terre.
Il y a beaucoup d’autres matériaux nécessaires pour construire ces équipements, de l’acier pour les tours et des plastiques composites pour les pâles très difficilement recyclables. Il faut ainsi 8 millions de tonnes d’acier ordinaire et d’aciers spéciaux, 435.000 tonnes de plastiques spéciaux pour les pâles, 6.000 tonnes de terres rares pour fabriquer les aimants des alternateurs et 15.000 tonnes par an d’huile de vidange. Enfin, il faut y ajouter des centaines de milliers de tonnes de cuivre, pour les génératrices, les câbles électriques, les milliers de transformateurs constituant les postes sources, sans compter les milliers de kilomètres de nouvelles lignes à haute tension pour raccorder les 15.000 éoliennes au réseau et distribuer leur courant intermittent.
Le ministère de l’Ecologie est soudain peu soucieux de l’environnement
Le gouvernement, par un arrêté publié le 22 juin 2020, a fixé les règles applicables au démantèlement de ces installations. On ne peut pas dire que la protection de l’environnement semble être dans ce cas une priorité. Remplacer le nucléaire par l’éolien justifie un laisser-aller même étonnant de la part du ministère de l’Ecologie. On même peut parler de laxisme en matière de règles de gestion des déchets et surtout de remise en état des sites.
A tel point que le 26 novembre dernier, la Fédération Environnement Durable (FED) qui regroupe 1.500 associations de toutes les régions rurales, a saisi le Conseil d’État concernant cet arrêté estimant «qu’aucune structure de dépollution, de traitement, ni de recyclage, n’a été mise en place à la hauteur de la quantité de déchets industriels en cour de dissémination, dont des matériaux chimiques toxiques potentiellement dangereux pour la santé et la sécurité humaine».
Le principal problème tient aux exigences financières demandées aux promoteurs et qui ne correspondent en rien au coût réel d’un démantèlement. Cela promet de sérieux problèmes à l’issue de la durée de vie des éoliennes de 20-25 ans. Mais d’ici-là ceux qui ont pris ces décisions auront été oubliés depuis longtemps. Un côté après-moi le déluge…
Une sous-estimation manifeste du coût de démantèlement
Selon un rapport du groupe Energie & vérité, intitulé «Rapport Démantèlement des aérogénérateurs terrestres en France: Coûts, contraintes et perspectives», le coût du démantèlement et du recyclage d’une éolienne, en enlevant la totalité de la partie superficielle du béton armé sur 80 centimètres, sans les infrastructures, est de l’ordre de 210.000 euros TTC par mégawatt. Ce chiffre est à comparer au montant prévu par le nouvel arrêté de 50.000 euros pour une éolienne de moins de 2 mégawatt et un peu plus de 60.000 euros pour celles qui dépassent cette puissance.
Cette estimation ne prend en compte ni la remise en état d’origine des parties communes du parc éolien (aires de parking et grutage, chemins d’accès et poste(s) de livraison), ni l’enlèvement total du socle en béton. Selon l’étude, l’estimation de la remise en état complet du site pourrait faire doubler la facture. Pour la totalité du parc français de 33GW à l’horizon 2035 ces chiffres conduisent à une facture pouvant aller de 8 à 16 milliards d’euros.
Pour illustrer la mauvaise foi du ministère de l’Ecologie, ce dernier n’a même pas tenu compte des chiffres de France Energie éoliennes qui par la voix de M. Grandidier, co-fondateur de ce syndicat et promoteur éolien lui- même avait expliqué devant l’Assemblée nationale en mai 2019 que: «le démantèlement d’un parc éolien coûte 50.000 à 75.000 euros par MW, soit 3% à 5% du coût de construction».
L’énergie éolienne est incontestablement un élément de la transition énergétique. Mais sans doute un élément bien plus marginal que l’espéraient à la fois les lobbys éoliens et des administrations coupées des réalités techniques comme sociales.