<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Comment l’Etat va aider EDF à construire six réacteurs nucléaires EPR

10 novembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Flamanville Chantier EDF
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Comment l’Etat va aider EDF à construire six réacteurs nucléaires EPR

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Selon un rapport interne du Trésor, l'Etat devra apporter une aide massive à EDF pour lui permettre de construire six nouveaux réacteurs nucléaires EPR de nouvelle génération. Ils permettront de remplacer les plus vieilles centrales nucléaires qui devront être fermées. Cet investissement, évalué à 47 milliards d'euros, est jugé indispensable pour permettre à la France d'avoir des capacités de production d'électricité suffisantes dans les prochaines décennies. Et encore, il faudra sans doute prolonger la durée de vie de certaines vieilles centrales.

Le site Contexte révèle l’existence d’un rapport interne de la direction générale du Trésor, intitulé «Nouveau nucléaire français». Il détaille les hypothèses du gouvernement pour remplacer, au moins en partie, les vieilles centrales nucléaires d’EDF par des réacteurs EPR de dernière génération. Des investissements jugés indispensables, mais un sujet considéré comme politiquement très sensible et qui ne sera pas abordé officiellement avant 2022 et l’élection présidentielle. Le courage politique manque, même si le temps presse.

Les hypothèses d’un groupe de travail

Le constat est le suivant. Le parc nucléaire français fournit aujourd’hui plus de 70% de la production électrique. Mais les centrales vieillissent. Ainsi, 52 des 56 réacteurs en service après la fermeture de ceux de Fessenheim cette année, ont été construits dans les années 1970-1980. Seuls les quatre réacteurs de Chooz et de Civeaux sont plus récents. Tous arriveront en fin de vie d’ici 2040. Même dans l’hypothèse ou la loi de transition énergétique serait bien appliquée, rien n’est moins sûr, qui prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique à 50% en 2035, il faudra construire de nouveaux réacteurs nucléaires pour remplacer une partie du parc existant. Il est plus que temps de prendre des décisions. Pour maintenir en 2035 la production électrique de la France à son niveau et à son coût actuels, EDF table, a minima, sur la construction de trois paires de deux réacteurs de type EPR. Cela prendra sans doute plus de quinze ans…

En date du 1er septembre, le rapport du Trésor présente les hypothèses  d’un groupe de travail réunissant le ministère des Finances, la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de la Transition écologique) et EDF. Ce groupe de travail répond à une première question: comment financer la construction de six nouveaux réacteurs, prévue dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2019 à 2028. La PPE a été rendue publique en avril avec 18 mois de retard.

Le Monde révélait dès l’automne 2019 l’existence d’un programme de construction de six EPR et annonçait un coût évalué alors à 46 milliards d’euros. Il a depuis légèrement augmenté et selon le document du Trésor est maintenant estimé à 47,2 milliards d’euros.

EDF est incapable de financer seul un tel investissement

Le problème est qu’EDF est incapable de financer un tel investissement. L’électricien public est dans une situation financière très dégradée, sa restructuration est inévitable et son avenir incertain. En cas d’aides massives de l’Etat, la Commission européenne exigerait un démantèlement du groupe public.

Selon le document de la direction générale du Trésor, la dette nette de l’électricien devrait atteindre des niveaux insupportables d’ici 2028. Elle passerait de 41 milliards d’euros à la fin de l’année dernière à 56,9 milliards en 2028. EDF est aujourd’hui incapable de se désendetter car sa rentabilité est trop faible. C’est pour cela que la société est incapable de financer la construction de nouveaux EPR sans un soutien massif de l’Etat. «La trajectoire financière d’EDF au cours des prochaines années avec une capacité d’endettement additionnelle du groupe très contrainte […] rend nécessaire une importante intervention de l’État dans le programme sous forme de subventions d’investissement», souligne le rapport.

L’État apporterait plus de la moitié des fonds nécessaires à la construction des EPR, soit 25,6 milliards d’euros. Il est loin d’être sûr que cela soit suffisant. Il suffit de mesurer les retards et l’explosion du budget du chantier du premier EPR français de Flamanville. Il devait coûter 3,3 milliards d’euros et entrer en service en 2012. Il aura coûté plus de 13 milliards d’euros, si tout se passe bien, et entrera en service en 2023 ou 2024.

Les autres EPR en construction dans le monde ont aussi connu des retards importants et des surcoûts. C’est notamment le cas du réacteur finlandais d’Olkiluoto, le premier lancé et qui n’est toujours pas fonctionnel, de celui, dont le chantier est le plus récent de Hinkley Point au Royaume-Uni et même des deux EPR chinois de Taishan, qui sont d’ailleurs les seuls à être entrés en service.

En cas de dérapage des coûts des EPR, tout est d’ailleurs déjà prévu par le Trésor… L’État contribuera alors à nouveau au financement. Jusqu’à 30% de surcoûts, il prendra à sa charge entre 50 et 100% de la facture supplémentaire, et 100% au-delà de 30%.

Prix de vente garanti pour l’électricité produite

Deuxième proposition du groupe de travail, garantir à EDF un prix de vente de l’électricité produite avec les nouveaux réacteurs pour assurer à l’électricien public les moyens de couvrir ces investissements. En fonction du niveau du taux de retour sur investissement jugé nécessaire à l’équilibre financier d’EDF (entre 5,5 % et 8,5 %), le prix de l’électricité EPR serait compris entre 45 et 63 euros par MWh. EDF estime aujourd’hui les coûts d’exploitation annuels de ses nouveaux réacteurs à 33 euros par MWh, un niveau similaire à ceux de son parc en exploitation, à condition que les coûts de fabrication des centrales ne s’envolent pas…

Un tel plan de financement n’est aujourd’hui qu’une hypothèse. Plusieurs difficultés ne sont pas abordées. Quelles contreparties l’Union européenne, qui encadre strictement les aides publiques, va-t-elle demander?

Comment l’État va financer ces 25 milliards? Pour le moment, le nucléaire ne fait pas partie des énergies vertes définies par la Commission européenne et par le Parlement européen pour pouvoir bénéficier des financements verts. Ce qui d’un strict point de vue des émissions de gaz à effet de serre est une pure aberration. Le nucléaire est avec l’éolien le moyen émettant le moins de CO2 pour produire de l’électricité.

Des capacités de production d’électricité insuffisantes en France à moyen terme

Autre sérieux problème, la construction de six EPR entre 2024 et 2044 ne permettra pas de répondre en totalité au problème des capacités de production d’électricité en France à moyen terme. D’ici à 2040, 34 réacteurs (le parc de 900 MW) vont atteindre les soixante années d’exploitation. C’est aujourd’hui la durée de vie maximale qu’EDF a déterminé pour ses réacteurs. Des travaux sont en cours pour étudier la possibilité de la prolonger jusqu’à quatre-vingts ans, mais quels seront alors les investissements nécessaires pour continuer à exploiter les vieilles centrales? Même si les EPR sont plus puissants que les anciens réacteurs (1650 MW contre 900 MW), en construire six ne permettra pas de maintenir un niveau de production suffisant. Le développement de capacités de production électrique renouvelables (éolien et solaire) se heurte au problème de leur intermittence. La nuit et quand il n’y a pas de vent, il faut des capacités de production dites pilotables suffisantes. Cela signifie que la stratégie de l’Etat est aujourd’hui insuffisante et irréaliste. Les hypothèses farfelues de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) qui parie sur une baisse de la consommation n’y changeront rien. Une hypothèse d’autant plus contestable que la traduction énergétique consiste notamment à électrifier les usages, notamment dans les transports, la chaleur et même l’industrie.

L’avenir de l’énergie nucléaire est une question majeure en France pour trois raisons. Tout d’abord, le risque grandissant d’un manque de capacités de production d’électricité avec les conséquences économiques et sociales que cela pourrait avoir. Ensuite, l’atout que le nucléaire représente pour assurer une production d’électricité décarbonée. Enfin, le nucléaire est un des rares domaines dans l’énergie ou, en dépit de déboires récents et répétés, la technologie française assure encore une certaine indépendance au pays. Même l’Agence internationale de l’énergie considère que le nucléaire est un élément clé de la transition énergétique, au moins au cours des prochaines décennies.

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