En septembre dernier, le rapport du Sénat sur les concessions autoroutières dressait un constat sans appel: depuis la privatisation de 2006, elles affichaient un taux de rentabilité bien plus élevé que prévu. Ce n’est pas la première fois que les concessions sont montrées du doigt. Même si ces sociétés se défendent de n’avoir augmenté leurs tarifs que dans les mêmes proportions que ceux d’autres transports, elles avaient par exemple été critiquées en 2017 par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières qui estimait que les hausses de tarifs, liées aux plans d’investissements, excédaient «le juste niveau qu’il serait légitime de faire supporter aux usagers».
Dans une nouvelle publication de l’EDHEC Infrastructure Institute intitulée «Le coût du capital dans les concessions autoroutières en France. Pour une approche moderne de la réglementation des péages» et citée dans le rapport du Sénat, nous montrons que, en effet, de tels niveaux de rentabilité ne sont pas justifiables au regard des risques encourus par les concessionnaires et ne correspondent pas aux primes de risque observables sur les marchés d’investissement dans les infrastructures privées.
Aucun risque pour l’investisseur
S’appuyant sur une base de données qui permet de mesurer le coût du risque pour différents types de projets d’infrastructure au cours du temps, nous démontrons que le coût moyen pondéré du capital (CMPC) des concessions autoroutières en France a baissé d’un niveau moyen de 6% à 2% en 10 ans, du fait de la hausse des prix de ce type d’actifs, très convoités par les investisseurs (ce qui induit une baisse de la prime de risque), et de la baisse permanente du coût de la dette doublée d’une augmentation de l’endettement de ces mêmes sociétés.
Or, c’est ce CMPC qui détermine les augmentations de péages négociées avec l’État: plus le CMPC est élevé, plus les péages doivent augmenter leurs tarifs pour couvrir les nouveaux travaux. Depuis 10 ans, l’État et l’autorité de régulation des transports acceptent un CMPC très élevé, entre 6 et 8%. En 2019 encore, dans une réponse à la Cour des comptes, le ministère des Transports faisait état d’un taux de 5,9% pour les derniers contrats de plan. Ce taux affiché permet donc de justifier des augmentations de péages sans commune mesure avec la réalité du coût du risque pour les actionnaires des concessions.
Comme en Italie ou en Espagne, dont les autoroutes ont été privatisées quelques années avant la France, le CMPC moyen suit pourtant une tendance longue à la baisse. S’il était bien d’environ 6% en 2010, comme le recommandait l’État, il a ensuite baissé jusqu’à atteindre moins de 2%. On constate une remontée de ce taux au début de 2020, juste au-dessus de 2%, en raison de la crise de la Covid-19 et son impact sur le coût du capital des entreprises d’infrastructures, en particulier celles fournissant des services de transport, durant cette période.
Cette baisse s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, une diminution du coût du risque, qui coïncide avec l’intérêt croissant des investisseurs pour les projets d’infrastructure pendant cette période, a allégé le coût des capitaux propres. Le coût de la dette a également suivi la même tendance grâce à la baisse des taux. Enfin, l’augmentation de la part de la dette dans la structure financière des concessions autoroutières contribue à cette baisse du CMPC dans le temps.
Les prix des péages sont anormalement élevés
L’étude démontre que si un coût du capital plus proche de la réalité du marché était utilisé par l’État dans ses négociations avec les concessionnaires, les péages demandés aux usagers pourraient être considérablement plus bas. Ainsi, avec un point de pourcentage de CMPC en moins, on pourrait baisser en moyenne les péages de 15%. En fait, le taux utilisé par le ministère des Transports est plusieurs points de pourcentages au-dessus du coût du risque réellement supporté par les actionnaires.
Dans son rapport, le Sénat appelle à ne plus renouveler ou allonger ces contrats et à chercher un nouveau modèle de relation avec les concessionnaires comprenant des clauses de revoyure qui permettraient de prendre en compte l’évolution du coût du capital des investisseurs privés. Malheureusement, cette nécessaire évolution est renvoyée aux termes des contrats existants.
On ne peut que regretter que les négociations sur l’allongement de la durée des contrats des concessions accordées en 2015 n’aient pas permis de réformer ceux-ci pour les rendre plus équitables. Sachant que celles-ci ont encore en moyenne 20 ans de revenus à percevoir, on peut imaginer une attitude du législateur un peu moins attentiste, ce qui permettrait de retrouver plus tôt un juste prix des péages payés par les automobilistes.
Frédéric Blanc-Brude Directeur de l’EDHEC Infrastructure Institute, EDHEC Business School
Noël Amenc Professeur de finance, EDHEC Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.