Puisque l’on préfère communiquer que de faire redémarrer la machine industrielle, autant y aller fort. Mais dans le plan dit de relance, la colonisation de la planète Mars a été oubliée: programme mobilisateur et consensuel sans danger de contestation des populations autochtones!
Il s’agissait donc pour les technocrates qui sont supposés nous diriger de nous convaincre qu’ils mettaient 100 milliards d’euros sur la table pour redresser un pays fortement affaibli par une politique de confinement lors du premier semestre 2020. Le cocktail à avaler est connu: emploi, écologie, compétitivité et les commentaires immédiats dans chaque catégorie, pas assez. Diriger c’est choisir : il ne s’agit donc pas de cela, mais de plaire et de faire parler, et donc de saupoudrer.
Un pays qui ne croit plus au théâtre
Le diagnostic à l’origine de cette machine infernale est que l’on a évité au pays une explosion sociale en généralisant le chômage partiel et en le maintenant un peu jusqu’à décembre. Mais la consommation n’a que peu repris et l’épargne continue à grossir. La reprise économique ne peut donc venir que de l’offre, il faut aider les entreprises: oui, mais pas trop, pour ne pas se fâcher avec une partie de la population qui va attaquer sur les «cadeaux» aux entreprises. Il faut par conséquent présenter un programme écologie et un programme emploi pour éviter l’accumulation des critiques.
Ce diagnostic étant partagé par une partie importante des voix qui comptent dans les médias, on peut espérer «passer entre les gouttes» et apparaitre comme des gens de bon sens injustement critiqués par des extrémistes. Effectivement l’écologie politique a été immédiatement aux premières loges pour fustiger un habillage et des mesures insignifiantes, tandis que la CGT regrettait l’absence de contreparties sur l’emploi des contributions prévues.
On pourrait aussi regarder la situation de notre pays autrement. Nous sommes au début de 2020 dans un écosystème qui ne fonctionne plus, qui a cru au changement et qui se fracasse contre les réalités de la désindustrialisation et de la montée des communautarismes. Le confinement s’est invité dans une France déjà fragile, qui a perdu l’espoir, psychologiquement très atteinte par les Gilets jaunes, les attentats terroristes et les percées de l’Islam radical, en état de désintégration sociale. Le déconfinement a laissé sur le bord de la route des milliers de professionnels toujours interdits de fonctionner librement. L’écosystème malmené n’arrive pas à se rétablir, il n’attend pas un cocktail plus ou moins buvable, il attend une espérance, un projet, un redressement, une envie. L’ouverture des bistrots, des stades, des cinémas, des fêtes, de la vie sont plus importantes qu’un catalogue de dépenses qui lui donnent le vertige et dont il sait qu’il ne verra pas la couleur. On lui dirait que le gouvernement a décidé de dépenser 100 milliards pour conquérir la planète Mars, cela lui ferait le même effet, il ne croit plus au théâtre. Faites ce que vous voulez avec un argent qui vient on ne sait d’où, mais permettez-nous de vivre!
Un état bureaucratique qui a laminé son industrie
Les Français sont obéissants, ils mettent les masques, mais tout cela leur pèse, ils sont apeurés et apathiques, résignés, mais ils n’aiment pas les hauts fonctionnaires, leur révolte intérieure est profonde. Il ne peut y avoir de «relance» sans la remotivation de la nation, c’est à cela qu’il fallait répondre.
On peut ensuite discuter d’un plan qui passe à coté du réel problème posé au pays et dire tranquillement que si l’on pense vraiment à la nécessité de réindustrialiser le pays, il faut abandonner l’idée du cocktail. Il faut regarder, pour une fois, les choses en face. La France est devenue un État bureaucratique qui impose et règlemente au point que son industrie, pour rester compétitive, doit soit émigrer, soit être possédée par des propriétaires qui ne veulent pas gagner d’argent.
Non seulement l’entreprise est imposée plus que partout ailleurs, mais elle doit subir l’inquisition permanente d’une armée de fonctionnaires chargés de faire respecter lois et décrets de plus en plus pondéreux et incompréhensibles. En trente ans, on a fait disparaître la moitié de notre secteur de production, mais cela continue.
La première idée d’une «relance» serait de diminuer la pression fiscale et de demander aux administrations d’aider les entreprises à se conformer aux règlementations et non de chercher à les punir. Nos impôts de production sont aux alentours de 80 milliards d’euros, ils sont quasiment inconnus chez nos voisins, cela nous conduit à 3,6% de charges en plus de tous nos confrères. Commençons par là plutôt que de nous chanter la messe avec une baisse l’année prochaine de 10 milliards, nous serons toujours avec 3,2% de trop.
«La définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer des résultats différents»
Ensuite les normes et règlements permettant de respecter l’environnement et la santé, le travail, la vie sociale… sont parfaitement légitimes mais on ne peut pas vouloir produire en France et ne plus avoir d’usines parce qu’elles sont sales et que les patrons ne sont pas toujours aimables. Il faut supposer que les chefs d’entreprises aient envie de faire de bons produits, satisfaisant les clients, utiles à la société, respectant la santé et l’épanouissement de leur personnel… On ne peut pas poursuivre dans la République du soupçon permanent!
La France meurt de ses dépenses publiques trop importantes, qui pèsent sur la compétitivité de ses entreprises, on le sait. La réindustrialisation a besoin d’un État moins goinfre, moins obèse et moins interventionniste. C’est tout l’inverse qui nous est proposé, la cerise sur le gâteau étant que pour contrôler la bonne marche d’un programme éparpillé sur tous les sujets à la mode et qui ne verra le jour au mieux qu’à mi-2021, de vouloir nommer des surveillants de la relance dans les départements en y envoyant des sous-préfets spécialisés.
Puisque nous souffrons d’un État tatillon et tentaculaire, que le Covid-19 a montré l’impuissance, l’incompétence et l’inefficacité de l’organisation administrative, on nous en promet encore plus. Les bureaucrates, qui ont montré qu’ils étaient incapables de gérer les projets d’avenir, récidivent de nouveau en définissant les voies choisies pour préparer notre futur. On sait que cela ne marche pas, donc on recommence. «La définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer des résultats différents», nous disait Albert Einstein.
Loïk Le Floch-Prigent