Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2, il n’existe que deux moyens. Le pre- mier consiste à en émettre moins en utilisant notamment des énergies dites décarbonées et en les substi- tuant aux énergies fossiles. Ce processus est encours, mais comme toutes les transitions énergétiques de l’histoire, il est lent et difficile. Notamment parce que dans des domaines clés grands consommateurs d’énergie comme les transports, le chauffage, l’industrie et l’agriculture, il existe peu ou pas d’éner- gies desubstitution aux carburants fossiles. Cela signifie qu’il faudra utiliser le second moyen pour réduire les émissions de CO2, empêcherqu’elles se répandent dans l’atmosphère en les capturant et en les stockant ensuite dans le sous-sol.
« Cela est tout à fait faisable »
Selon une étude publiée en mai par l’Imperial College de Londres, capturer 2 700 gigatonnes de CO2 serait suffisant pour atteindrel’objectif du GIEC de limiter à 2 degrés Cel- sius le réchauffement climatique à la fin du siècle. « Presque toutes les voies permettant delimiter le réchauffement à 2 degrés nécessitent que des dizaines de gigatonnes de CO2 soient stockées chaque année d’ici le milieu du siècle», explique le docteur Christopher Zahasky du département des sciences de la terre de l’Imperial College.
« Mais jusqu’à maintenant, nous ne savions pas si ses objectifs étaient atteignables, compte tenu notamment des capacités de stockage dansle sous-sol. Avec cette étude, nous pouvons affirmer que cela est tout à fait faisable. Notamment parce qu’elle montre qu’il ne sera pas nécessaire de capturer plus de 2 700 gi-gatonnes de CO2 alors qu’il existe, selon plusieurs études, des capacités de stockage dans lemonde de l’ordre de 1 000 gigatonnes », ajoute-t-il.
L’étude de l’Imperial College montre aussi que plus tôt la capture et le stockage de CO2 commenceront à grande échelle, plus il serafacile d’atteindre les objectifs et que donc les gouvernements doivent maintenant prendre leurs responsabilités.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le World Economic tforum sont parvenus aux mêmes conclusions. Ils ont calculé qu’il fautque cette technologie soit cent fois plus utilisée qu’aujourd’hui dans les trente prochaines années. Et que cela ne peut se faire qu’avec unsoutien d’ampleur des États et des grandes entreprises.
La peur des écologistes
Mais jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements ont été particulièrement prudents et discrets avec le stockage de CO2. Ils craignent des’attirer les foudres d’écologistes qui ne veulent pas en entendre parler car ils y voient un moyen de ne pas les faire les efforts nécessairesqu’ils jugent « moralement » indispensables. Ils redoutent encore plus de soulever des craintes, injustifiées, dans l’opinion publique.
Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’AIE, expliquait il y a plusieurs mois dans une tribune à Connaissance des Énergies lecaractère absurde et dangereux de ce rejet irrationnel, notamment en France.
Car le CO2 n’est pas un polluant dangereux au sens premier du terme. Il a un impact sur le réchauffement climatique, mais il estindispensable à la vie et il en sort en permanence de nos appareils respiratoires.
La capture et le stockage du dioxyde de carbone concernent en premier lieu les installations industrielles particulièrement polluantes(centrales thermiques au charbon, au gaz ou au fioul, raffineries de pétrole, usines sidérurgiques ou pétrochimiques, cimenteries…). Les processus mis en œuvre consistent à isoler puis capturer (par postcombustion, précombustion ou oxycombustion) le CO2 émis et enfin à le stocker.
La taxe carbone doit être suffisamment élevée
Une fois capturé, le CO2 est transporté (par canalisation, pipeline, véhicule, bateau…) afin de le stocker dans le sous- sol terrestre. Ilexiste d’autres façons d’entreposer ce gaz à effet de serre, comme la séquestration minérale ou l’injection dans les fonds des océans. Mais la solution privilégiée, qui présente le moins de risques pour la faune et la flore, est le stockage géologique, c’est-à-dire l’injection du CO2 dansdes aquifères profonds ou des réservoirs d’hydrocarbures vides. Ces derniers sont déjà fréquemment utilisés. Les réserves de gazstratégiques françaises sont, par exemple, stockées dans les anciens gisements de gaz de Lacq et d’ailleurs.
Outre la frilosité des gouvernements, le problème est économique. Il tient au niveau de la taxe carbone. Celle-ci doit être suffisammentélevée pour que les groupes industriels trou- vent plus rentable de capturer et stocker le CO2 émis plutôt que de payer la taxe. La Commissionde haut niveau sur les prix du carbone estime que la valeur de la taxe carbone doit être comprise entre 40 et 80 dollars la tonne. Le Fonds monétaire international (FMI) pense qu’elle doit atteindre 75 dollars d’ici à 2030 contre 2 dollars aujourd’hui. Selon les calculs de l’AIE, une taxecarbone à 40 dollars la tonne conduirait déjà à la capture de 450 millions de tonnes de CO2 par an.
Il faudra aussi mobiliser la finance verte pour rendre les infrastructures industrielles et de transport compatibles avec les objectifs deréduction des émissions de gaz à effet de serre. Les obligations vertes représentent déjà des centaines de milliards d’euros qu’il faut canaliser vers la construction d’équipements de capture et de stockage de CO2.
Il y a aujourd’hui dix-neuf installations importantes dans le monde, il en faut 2000
Les technologies et les savoir-faire existent, même s’ils doi- vent être approfondis et améliorés. « Les procédés de capture (amines ouammoniac) sont connus et mis en œuvre depuis des décennies (ça ne veut pas dire qu’on ne devra pas progresser); le transport du CO2 est uneactivité banale par tuyaux ; son injection en réservoir profond ne pose pas plus de problèmes de principe que l’injection de gaz naturel dansun stockage », explique Claude Mandil.
Il y a aujourd’hui en fonctionnement dans le monde 19 systèmes importants de capture et de stockage du CO2 dans 9 pays, à savoir lesÉtats-Unis, le Canada, la Norvège, les Pays- Bas, le Royaume-Uni, l’Australie, la Chine, le Japon et les Émi- rats arabes unis. Il en faudrait aumoins 2 000 selon l’AIE pour que leur impact soit significatif. Pouvoir y parvenir ne de- mande pas des mesures extraordinaires. Celanécessite des en- gagements fermes et constants des gouvernements comme des entreprises.
Signes encourageants, on voit les projets et les études se multiplier. Ainsi par exemple, le pétrolier français Total, le ci- mentier LafargeHolcim et le spécialiste du captage de carbone Svante ont lancé un projet commun aux États-Unis de captage et de stockage du CO2. Il vise àdévelopper la technologie et le savoir-faire pour réduire drastiquement le bilan carbone d’une cimenterie du groupe Lafarge Holcim situéedans le Colorado. Ce dispositif industriel permettrait de capter annuellement plus de 750 000 tonnes de gaz à effet de serre.
E.L.