La Convention citoyenne a vu le jour parce qu’Emmanuel Macron espérait ainsi réconcilier la transition, la question de la «fin du monde», et la France périphérique, celle des gilets jaunes, avant tout préoccupée par la «fin du mois». On ne peut pas dire que le résultat soit probant. La Convention citoyenne a ignoré allégrement les réalités sociales, économiques et technologiques. Elle a préféré donner libre cours à un catalogue de bonnes intentions, assez peu réalistes, et à une obsession pour les transports et plus particulièrement l’automobile.
Sa mesure phare, en tout cas la plus citée et la plus controversée, consiste à abaisser à 110 km/h la vitesse maximum sur les autoroutes. Le problème est qu’il s’agit d’une mesure avant tout symbolique qui ne peut avoir un réel impact sur l’objectif premier de la transition énergétique, réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle est même tout simplement nuisible en aliénant, pour de seules raisons idéologiques d’hostilité à l’automobile, la France périphérique contrainte de l’utiliser. Cette mesure a de surcroît un coût économique non négligeable dans un pays qui va connaître cette année sa pire récession depuis 1941…
Une baisse effective de 5 km/h
La Convention citoyenne évolue en apesanteur, pas de passé, pas de présent. Le mouvement des Gilets jaunes, qui a ébranlé le pays, est pourtant né de la taxe carbone sur les carburants et du sentiment de la France périphérique d’être stigmatisée et pressurée par la réduction de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale sur les routes secondaires.
Premier élément objectif, diminuer de 20 km/h la vitesse maximum ne réduirait pas d’autant la vitesse réelle. Si la vitesse maximum sur autoroute est de 130 km/h, la vitesse moyenne des automobilistes sur ces axes est de 113 km/h. Selon le Commissariat général au développement durable, qui a travaillé sur le sujet, une baisse de 20 km/h de la vitesse maximale autorisée reviendrait à une baisse de la vitesse effective de 5 km/h seulement. Au lieu de rouler en moyenne à 113 km/h sur autoroute, les automobilistes rouleraient donc à 108 km/h. Cette diminution de la vitesse entraînerait, en théorie, un recul de la consommation de carburant de 4,7%, ce qui représenterait 0,9 million de tonnes de CO2 émises en moins. A condition toutefois que la moindre vitesse moyenne de circulation et donc d’écoulement des véhicules ne se traduise pas dans certains cas par des embouteillages et des congestions plus importantes et donc plus polluantes.
Admettons pourtant que les 0,9 million de tonnes de CO2 en moins dans l’atmosphère s’approchent de la réalité, cela représente 0,7% des rejets de la circulation routière en France et 0,2% des rejets du pays. Autant dire, une variation qui correspond à peine à quelques jours de grand froid en hiver.
S’aliéner la France périphérique pour un gain marginal
Et changer la limite de vitesse n’aurait pas seulement pour effet de réduire l’allure des véhicules qui empruntent les axes concernés. Elle provoquerait également un changement de comportement des automobilistes. Il est facile à imaginer qu’un certain nombre d’entres eux renonceront à utiliser une autoroute payante offrent les mêmes limites de vitesses que des nationales gratuites… Ces routes, aujourd’hui limitées à 110 km/h, connaîtront alors un trafic accru et plus de congestions et de ralentissements.
Il faut aussi prendre en compte le coût économique de l’abaissement de la vitesse, qui ne serait pas, lui négligeable. La raison en est simple, le temps perdu. Ce serait le cas, par exemple, par un commercial qui verrait moins de clients ou un infirmier moins de patients. L’économiste Rémy Prud’homme a fait une simulation pour BFM. En prenant en compte l’abaissement de la vitesse moyenne, le nombre de personnes concernées (1,7 passager en moyenne par voiture), il estime à 65 millions d’heures perdues par an l’impact de cette mesure. Soit l’équivalent du temps de travail annuel de 50.000 travailleurs, ce qui représente une perte de 936 millions d’euros.
74% des Français y sont opposés
Le dernier argument avancé est celui de la sécurité routière. Il est à prendre en compte même si ce n’était pas vraiment le sujet de la Convention citoyenne. Là encore, le gain théorique existe, mais il est marginal. A la fois parce que les autoroutes sont de loin les axes les plus sûrs et parce que la vitesse sur ces chaussées est rarement la cause des accidents même si elle reste évidemment un facteur aggravant. Une diminution de 4% de la vitesse moyenne pourrait permettre une réduction allant jusqu’à 10% du nombre de morts sur autoroute, cela représentait environ 16 vies pour un total de 157 personnes qui ont été tuées sur une autoroute française l’an dernier.
Il y a enfin peut-être la question la plus importante sur les 110 km/h sur les autoroutes: comment cette mesure serait perçue par une partie des Français, grands utilisateurs d’automobiles faute d’alternative, qui se sentent déjà négligés et brimés? La réponse est très mal. Selon un sondage Odoxa-Dentsu pour France Info et le Figaro, publié jeudi 25 juin, les trois-quart des Français (74%) sont opposés à cette mesure. Même les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts n’y sont favorables qu’à 47%! Pas moins de 69% des personnes interrogées considèrent que la mesure allongerait leur temps de déplacement et 66% y voient une décision technocratique prise par des personnes qui ne comprennent rien à la vie quotidienne des Français.
La transition énergétique ne pourra se faire et réussir que si elle est comprise et acceptée par une grande partie de la société. Elle ne se fera pas contre elle à moins de vivre sous un régime autoritaire. S’aliéner une partie des Français pour un gain plus que minime est-il une bonne stratégie pour convaincre?